Si vous avez récemment fait un tour sur Twitter, plateforme sur laquelle les hashtags #JusticeforJohnny and #MenToo, ou encore #AmberTurd, #MePoo et #AmberHeardisaLiar sont régulièrement en tendance, ou sur TikTok où vous pourrez visionner des milliers de vidéos tournant Amber Heard au ridicule, en ajoutant par exemple un filtre de Pinocchio sur un enregistrement de l’actrice à la barre, montrant son nez qui grandit pendant qu’elle témoigne, alors vous aurez forcément entendu parler du procès qui oppose la jeune actrice à son ex-mari, Johnny Depp. En effet, le célèbre acteur qui interprète le capitaine Jack Sparrow accuse son ex-femme de diffamation après qu’elle l’ait elle-même accusé de violences conjugales, qui a valu à l’acteur l’annulation de tous ses contrats avec Disney, ainsi qu’évidemment, une mauvaise pub. A l’opposé de nombreux internautes qui commentent en continu le procès, diffusé en direct dans le monde entier, je ne m’appliquerai pas ici à déterminer qui est le coupable, bien que les preuves tendent pour le moment à penser que c’est Amber Heard. Au lieu de cela, mon but est de prouver que les vrais perdants de ce procès sont les victimes de violences domestiques à travers le monde.
Ce que je veux aborder, c’est la façon dont les misogynes utilisent l’affaire pour faire croire qu’il ne faut pas faire confiance aux femmes. Selon moi, l’affaire a mis en évidence le fait que beaucoup ne se soucient en fait pas vraiment des hommes victimes de violence, puisqu’ils s’en servent plutôt pour « prouver » que le féminisme est « toxique » et pour discréditer les femmes victimes de violence, plutôt que pour montrer leur soutien ou défendre la victime. Dites-moi si je me trompe, mais je n’ai malheureusement vu aucun partage des ressources sur la façon de repérer les signes de maltraitance ou d’encourager les gens à faire des dons à des organismes voués à lutter contre les violences domestiques. Ce que j’ai vu en revanche, c’est un vitriol sans fin envers les femmes qui accusent leur conjoint d’abus.
En effet, c’est finalement un récit familier dont nous sommes témoins: l’histoire séculaire de la façon dont une femme séduisante mais trompeuse a causé la chute d’un homme noble et innocent. Alors que les preuves avancées pendant le procès sont légales, recevables et prouvent en effet pour la plupart que Johnny Depp a bien été victime d’abus de la part de son ex-femme, pour nombre de fans, les vidéos de l’acteur en costume de Jack Sparrow visitant des enfants dans un hôpital suffisent à prouver définitivement l’innocence de la star de cinéma. Cependant, laisser entendre que Depp ne peut pas être un agresseur parce qu’il est attirant et attachant implique que la violence domestique est l’apanage des brutes et des bêtes dont la violence innée est reconnaissable par tous, sinon par leurs partenaires crédules ou stupides.
Encore une fois, il ne s’agit pas de définir qui est innocent et qui est coupable. Seulement de pointer du doigt le traitement médiatique singulier de cette affaire retentissante et de montrer que la parole des femmes, qu’elles soient victimes ou bourreaux, est constamment remise en question. Bien qu’une partie des détracteurs d’Amber Heard ait des intentions louables, qui visent à déconstruire le modèle sexiste de l’homme ultra viril et à donner la parole aux hommes victimes de violences conjugales, le procès est malheureusement largement utilisé par des anti-féministes qui prétendent que « Tout ce procès d’Amber et de Johnny Depp révèle comment le féminisme et d’autres groupes peuvent ruiner le pays». Malgré l’impact positif que cette affaire peut avoir sur les hommes victimes de violence qui savent maintenant qu’ils peuvent et doivent être pris au sérieux, les dommages collatéreaux s’abattent sur les femmes qui subissent des violences domestiques, alors même que selon les auteurs d’une étude américaine de 2010, seulement 2 à 10 % des accusations de viol sont fausses. En mettant autant en exergue un cas qui s’avère être une exception, les médias renforcent les clichés sexistes qui rendent les dénonciations de violences si compliquées pour les minorités discriminées. Les terribles événements autour de l’avortemet aux Etats-Unis n’en sont qu’un retentissement qui tombe malheureusement à pic.