L’atmosphère était tendue à Rambukkana samedi 23 avril, avec une forte présence policière et militaire lors des funérailles de Chaminda Lakshan, 42 ans, abattu par la police lors d’une manifestation contre la flambée des prix du carburant. Depuis plus d’un mois, les Sri Lankais manifestent contre le coût inabordable de la vie et réclament la démission du président Gotabaya Rajapaksa et de son frère, le premier ministre Mahinda Rajapaksa. Treize ans après la fin officielle de la longue guerre civile au Sri Lanka, il s’agit de la pire crise économique de l’histoire du pays depuis qu’il a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1948. Pourquoi le Sri Lanka est-il confronté à une urgence économique ? Comment la situation sur le terrain s’est-elle détériorée ? Et cette crise peut-elle être résolue ?
Survivre Pendant Deux Semaines
« Les prix des bouteilles de gaz de cuisson ont presque doublé, » explique une mère de quatre enfants, « et nous ne pouvons plus nous le permettre. » 2022 a vu le prix standard d’une bouteille de gaz de cuisson augmenter de 85 % et le prix des denrées alimentaires bondir de 30 %. Elle poursuit : « J’avais l’habitude de donner du poisson et des légumes tous les jours à mes enfants. Maintenant, nous leur donnons un légume avec du riz. » Les prix du carburant et de l’énergie augmentent rapidement et les médicaments comme les antibiotiques et les analgésiques ont subi une hausse de 40 %. Les Sri Lankais sont descendus dans la rue au début du mois d’avril et lorsque les manifestations se sont rapprochées de la résidence du président, celui-ci a ordonné un couvre-feu, qui n’a cependant pas été respecté. Les affrontements avec la police ont nourri la popularité de la campagne en ligne, si bien que le président a pris des mesures pour censurer les réseaux sociaux – des VPN ont été utilisés pour contourner cette mesure. La situation a rapidement dégénéré avec des tirs de gaz lacrymogènes à Kandy et des affrontements avec les forces de sécurité dont on sait qu’ils ont tué au moins un manifestant.
Mais quelle est la cause de cette crise économique ?
En tant que nation insulaire, le Sri Lanka dépend fortement des importations de carburant, nourriture et médicaments. Après la fin de la guerre civile qui a duré 30 ans, en 2009, le pays s’est concentré sur le développement de son marché intérieur, si bien que les exportations ont chuté, étant dépassées par des importations d’une valeur de 3 milliards de dollars par an. Pour payer ses achats sur les marchés internationaux, un gouvernement doit avoir une réserve de devises étrangères. Fin 2019, Colombo détenait près de 8 milliards de dollars de réserves en devises étrangères – quelques mois plus tard, en mars 2020, ces réserves étaient tombées à moins de 2 milliards de dollars. Au moment où la pandémie de COVID-19 a décimé son important secteur touristique, le Sri Lanka était confronté à une grave crise monétaire, aggravée par une dette de 50 milliards de dollars. Cette année, la Banque Centrale a cessé de soutenir la roupie, ce qui a déclenché une crise monétaire. En conséquence, le Sri Lanka a fait défaut sur sa dette et le gouvernement a limité les importations tout en augmentant les prix des produits de première nécessité comme les médicaments. Un client résume: « Avec notre salaire mensuel actuel, nous ne pouvons survivre que pendant deux semaines, car les prix ont explosé. »Au pouvoir, la famille Rajapaksa prétend que la chute du tourisme et les chocs extérieurs comme la pandémie et la guerre en Ukraine sont à blâmer, mais beaucoup disent que la mauvaise gouvernance et la mauvaise gestion économique sont les causes principales de la crise…

Présentation Des Rajapaksas : la famille qui a mis un pays en faillite
Depuis plus d’une décennie, les membres de la famille Rajapaksa contrôlent les plus hautes sphères du gouvernement sri-lankais, créant ainsi une « dictature douce ». Gotabaya, 72 ans, et Mahinda, 76 ans, sont connus pour leur rôle pendant la guerre civile : Gotabaya a mené une campagne meurtrière vers la fin du conflit contre les séparatistes tamouls, tuant environ 100 000 personnes, tandis que Mahinda était surnommé « The Terminator » pour ses tactiques brutales. Mahinda, le cerveau politique, a occupé deux fois le poste de premier ministre et celui de président de 2005 à 2015. Lorsqu’ils sont revenus au pouvoir en 2019, Gotabaya, en tant que président, a nommé plusieurs membres de sa famille aux postes clés. Basil et Chamal, ses deux autres frères, ont occupé des postes de gestion de l’agriculture, des ports et, le plus séduisant, des finances; son neveu a occupé un siège au sein du cabinet mais a essayé de prendre ses distances depuis le début de la crise ; et, les Pandora Papers ont exposé sa cousine, Nirupama et son mari pour avoir créé des sociétés écrans afin de cacher des millions de dollars d’actifs comme des propriétés de luxe à Sydney ou des tableaux inestimables alors que l’île était en train de se déchirer, bien qu’il ait fait abandonner l’enquête. De nombreux proches ont des positions influentes, à tel point qu’à certains moments, la famille Rajapaksa contrôlait 70 % du budget national.
Le Sri Lanka a des recettes fiscales inférieures à celles d’autres économies de sa taille. Lorsque les dangers de l’inflation et du défaut de paiement de la dette ont commencé à se profiler, il était logique d’augmenter les impôts. Cependant, dans ce que certains ont appelé un appel aux nationalistes bouddhistes cinghalais (75 % de la population), les frères Rajapaksa ont préféré réduire les impôts. Ce fut une erreur catastrophique, comme Gotabaya lui-même l’a admis récemment. Cette politique populiste a fortement réduit la capacité du gouvernement à acheter des dollars (dont il a besoin pour payer les importations). Puis vint une erreur catastrophique : l’interdiction par le gouvernement d’importer des engrais chimiques, pour essayer d’économiser quelques devises étrangères. Le secteur agricole s’est alors effondré. Les récoltes ont été mauvaises dans tout le pays et les frères ont fini par devoir importer des denrées alimentaires en urgence. Une autre mauvaise décision a été le refus du gouvernement populiste de dévaluer la roupie – il l’a finalement fait en mars 2022, lorsqu’elle a chuté de 30 % par rapport au dollar. Un étudiant manifestant avec une pancarte à Colombo a déclaré à un journaliste : « Trop, c’est trop. Des millions de personnes souffrent, et nous sommes en colère. »

Aucun espoir pour l’avenir?
« Go Home Gota ! », crie le peuple. Depuis l’escalade de la crise, l’ensemble du cabinet du président a démissionné (à l’exception de son frère), des dizaines de ses députés l’ont abandonné et les leaders de l’opposition ont refusé les propositions d’union du gouvernement. Tout le monde veut qu’il mord la dernière balle et renvoie son frère, et les rumeurs ne cessent de circuler. À l’heure où nous écrivons ces lignes, Mahinda est toujours Premier ministre. Les Sri Lankais veulent que les Rajapaksha partent. S’ils sont responsables d’une grande partie de cette crise qui a tué un nombre inconnu de personnes par la famine et la pauvreté, leur renvoi peut apporter la justice mais pas de solutions. L’Inde et la Chine ont offert des lignes de crédit et les négociations sur l’allègement de la dette avec le FMI et Pékin sont en cours. Des prêts d’urgence sont censés arriver, mais tant qu’un nouveau gouvernement ne sera pas en place avec un plan clair pour l’avenir, la stratégie gouvernementale actuelle d’austérité ne fera que s’intensifier. Le ministre des finances nouvellement nommé, Ali Sabry, a prévenu que « la situation sera pire avant de s’améliorer ». Une femme plus âgée dit que « la seule option maintenant est de se débarrasser de ce gouvernement…Seul Dieu peut nous aider maintenant ».
Omar Khan
Photo de couverture: Un activiste brandit du pain en feu pour protester contre la hausse du coût de la vie devant le bureau du président à Colombo, la capitale, en mars 2022 [Ishara S. Kodikara / NBC News]
Références :
https://www.aljazeera.com/news/2022/4/19/one-dead-as-sri-lanka-police-opens-fire-at-protesters
https://www.bbc.co.uk/news/world-61028138
https://www.bbc.co.uk/news/business-59952980
https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-60962185
https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-61285290
https://www.uclasiaticaffairs.com/publications-list/united-in-greed