« Loving Vincent »: des peintures qui prennent vie

Par Alba Le Cardinal 

« Vincent Van Gogh. 30 mars 1853 Groot Zundert (Pays-Bas) – 29 juillet 1890 Auvers-sur-Oise (France). Peintre néerlandais. »

Voici le début d’une typique biographie: on y trouve immédiatement les informations clefs que la page du dictionnaire vous donnera ou bien que Wikipedia s’évertuera à afficher sitôt que vous saisirez le nom dans la barre de recherche. Suivront ensuite des pages et des pages, qui foisonneront de dates, de détails et de chiffres triviaux. En revanche, si au lieu de vous noyer dans un tas d’informations, vous souhaitez vous plonger dans son univers, ressentir son rapport à la couleur, respirer sa folie, le tout récent film «Loving Vincent» pourra vous séduire. Traduit « La Passion Van Gogh », il s’agit d’une production britannico-polonaire réalisée par dorlota Kobiela et Hugh Welchman et est le fruit de huit longues années de pure labeur. Aussi, entre deux distinctions, ce court métrage a reçu une ovation au Festival international du film d’Annecy en 2017. Mais alors, pourquoi ce film nous émerveille-t’il tant?

La fin comme point de départ 

 En effet, il est fort de constater que le film n’est pas une biographie linéaire classique mais il se construit plutôt autour d’un seul événement, et pas n’importe lequel: Le décès de Vincent Van Gogh ainsi que les circonstances de sa mort. Ainsi, c’est paradoxalement que les réalisateurs ont décidé de se partir de ce point final pour remonter jusqu’à la vie du peintres, tout en mettant la lumière sur les démons intérieurs qui rongeaient l’artiste. Après tout, c’est bien la mort qui solde l’aboutissement d’une vie et le décès du célèbre peintre est lourd du sens car il s’est lui-même ôté la vie.

Aussi, le film peut avoir des airs de lourdeur, paraissant quelque peu sinistre et parfois imprégné de violence. On aperçoit un Van Gogh profondément malheureux, sans reconnaissance pour son talent, fauché, en partie responsable de la mort de son frère… Quelques touches d’humour noir vous feront tout de même sourire!

Comme un air de polar

L’action commence le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise. Van Gogh s’est éteint il y a tout juste un an, après s’être tiré dessus dans un champs à Arles. Armand Roulin enquête sur les circonstances de la mort du peintre en interrogeant ceux qui l’ont connu. Ainsi, le film prend tout de suite des airs de polar policier qui fera sans nul doute le bonheur des amateurs du genre. La caméra suit donc l’inspecteur Roulindans ses visites et les discordances entre les différents récits sont d’abord nombreuses. Et si Van Gogh avait été assassiné ?

Les questions que les experts se sont posées sont soulevées. Peu à peu, comme quand l’on fait un puzzle, les pièces s’assemblent et la vérité sur cette mort devient limpide.

Aussi, le fait d’être plongé dans l’intimité du personnage et de son entourage permet au spectateur de se prêter à un jeu intéressant qui consiste à dresser le portrait psychologique du peintre au travers de tous ces personnages qui l’entourent. Aussi, nous avons plein accès aux correspondances du peintre que l’on peut voir dans le film lire à haute voix. C’est d’ailleurs de là que vient le titre du film en version originale/anglaise: « Your loving Vincent » étant la formule de politesse par laquelle Van Gogh clôturait les quelques huit cent lettres qu’il a envoyé à son frère Théo et sur lesquelles le scénario est basé. Malheureusement, la traduction française n’a pas pu conserver ce savant clin d’oeil.

Une technique à couper le souffle

 Il s’agit d’un film avec une très haute ambition technique : c’est le premier long métrage d’animation peint entièrement à la main par plus de cents artistes. L’effet créé est exceptionnel et le procédé numérique derrière est remarquable. Gardez à l’esprit que par seconde 12 toiles ont été réalisées. Je vous laisse faire le calcul pour savoir combien de toiles en tout on été peintes..

Par ailleurs, le coup de génie des réalisateurs a été de s’appuyer sur l’oeuvre même de Vincent Van Gogh. Ainsi, le film est-il un pastiche des 120 peintures de l’artiste. Tous les personnages mis en scènes sont des personnes qu’il a peint: le Docteur Paul Gachet, Marguerite Gachet, Louise Chevalier, le père Tanguy, Adeline Ravoux… et vous vous griserez à reconnaître les agréables paysages hollandais avec leurs tournesols, les saynètes à la terrasse du café noir, la maison jaune, la nuit étoilée sur le Rhône, la chambre à coucher de l’ artiste… pour ne citer que quelques œuvres très « mainstream/connues ». On peut dès lors dire qu’au-delà des voix, ce sont bel et bien les peintures de l’artiste même qui nous racontent sa vie. Ce film s’ancre tout à fait dans l’ère du temps où les technologies ont un nouveau rôle à jouer dans le secteur culturel. Mais si la vogue des expositions digitales m’a déçu au contraire ceci est séduisant.

Pour essayer de vous donner un avant-goût de l’expérience: imaginez-vous une peinture de Van Gogh que vous aimez beaucoup. La nuit étoilée par exemple. Aussi dynamique soit elle avec ses volutes et tourbillons.Maintenant allez au cinéma. Prenez place dans l’un de ces moelleux fauteuils qu’on aimerait ne jamais quitter et regardez «Loving Vincent». Devant vos yeux cette œuvre va prendre vie. En effet, pendant 94 minutes la passion Van Gogh montre des toiles qui se créent sous vos yeux et s’animent. Les teintes particulièrement vives vous feront vibrer et les formes tourbillonnantes typiquement van goghienne vous envoûteront. La musique de Clint Mansell quand à elle, à mon goût répétitive et peu intéressante, a tout de même l’avantage de renforcer l’effet hypnotisant. Vous allez vivre la peinture d’une manière extrêmement vivante et poétique.

Si tout ce qui se passe dans le présent de la narration est représenté par des peintures, tous les flashback sont des dessins au crayon. Ce choix, dénote avec brio la dualité entre la vie dure de l’artiste et l’onirisme de ce qu’il peignait. «Je rêve ma peinture, ensuite je peins mon rêve» a-t-il lui même dit. Dès lors, si l’on pourrait critiquer le film en disant que la magie des passages picturaux écrase le récit en noir et blanc, je dirais plutôt que pour un peintre comme Van Gogh, pour qui le rêve devait être plus fort que la réalité il n’y a pas meilleur hommage.

Quant à nous qui vivons dans un monde où tout va vite, où nous ne prenons plus le temps de penser, de nous évader, voilà l’occasion pour rêver pendant 1h30 avec notre cher Vincent Von Gogh.