Affaire « article 489  » ou la double lapidation

Par Rita Bouziane

Lapider : [verbe transitif ; du latin lapidare] : Tuer quelqu’un à coup de pierre, retrouvé dans l’expression biblique « Jeter la pierre » ou « Tu as tôt fait jeter la pierre aux autres, tu ne vois pas tes propres défauts ».

“Ces deux hommes ont été attaqués au Maroc, pour être homosexuels. A priori, des voisins ont fait irruption dans un appartement où ils ont commencé à battre ce le couple homosexuel, filmant le tout. Les attaquants ont forcé au moins l’un des deux hommes à sortir dans la rue, nu. L’une des victimes est allée aux urgences. Mais il a été arrêté et quatre jours plus tard, il a été condamné à quatre mois de prison pour homosexualité. Son partenaire attend sa sentence. Les actes homosexuels sont illégaux au Maroc, jusqu’à trois ans de prison. Un mois après les attaques, des Protestants sont descendus dans la rue, n’ont pas pour défendre les victimes, mais pour manifester leur colère face au fait que les attaquants puissent être poursuivis en justice. Après que la vidéo est étée mise en ligne le 25 mars, deux des attaquants ont reçu un sursis, soit qu’ils n’iront pas en prison.”. Cent-cinquante quatre lettres. Une vidéo aux premières secondes graphiques et choquantes, destinées à un public occidentalisé, pour qui l’homophobie et la discrimination de tous genres n’ont plus sa place et qui a déjà oublié qu’eux aussi sont passé par là. En effet, c’est ainsi que la sous-chaîne internet du groupe Al Jazeera a décidé de revenir sur un incident qui renvoie à des questions juridiques et où il est essentiel de distinguer société civile (dans sa globalité) et système juridique. La lapidation autour de cette affaire est double : celle envers les deux victimes car même si chaque pays connaît ses singularités culturelles, certains droits fondamentaux sont universels et nuls ne peut être discriminés, encore moins pour son orientation sexuelle. La seconde a jailli de la médiatisation de l’affaire et de certaines manipulations journalistiques qui prêtent à confusion pour le lecteur lambda qui a la lecture de certains articles serait porté à croire qu’homophobe veut dire marocain et inversement. Selon les chartes françaises du syndicat du journaliste (dernière version adoptée en mars 2011), “Le droit du public à une information de qualité, complète” et surtout, “Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent” et “Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication”. 

Le journaliste est un intellectuel qui exerce son métier en suivant une certaine éthique. Il est l’héritier de la pensée des Lumières et donc de l’intellectualisme qui a donné naissance au journalisme au XIXème siècle, face à l’injustice et au sous-développement de certaines régions ou pays face à des questions relatives aux droits de l’Homme. Nous devons beaucoup, encore aujourd’hui au journalisme d’investigation. Je pense évidemment à l’affaire des Panama Papers. Cependant, certains articles de presse sont plus proches aujourd’hui de la communication de masse que de l’analyse, on nous relate des faits, choisis au grès des derniers scandales. Mais ça, tout le monde peut le faire. Cependant, il existe des réalités et des rapports de cause à effet qui justifie le déroulement de ces faits. Derrière l’antisémitisme et les actes anti-musulmans en France aujourd’hui se cache une réalité historique, une ghettoisation depuis les années 1960, une crise économique, mais le français n’est pas xénophobe. De même, le marocain n’est pas homophobe. On ne naît pas haineux, on le devient, on en est sous le joug. 

Les trois objets de cet article sont les suivants : la nécesité du journalisme, la corrélation entre les inégalités économiques et les crimes – car les agressions physiques et verbales sont des crimes – et la malhonnêteté intelelectuelle.

“La société” : de qui parle-t’on ? 

Pourquoi vit-on en société ? Tout semble à croire qu’en dehors de celle-ci, l’individu est une abstraction. En effet, sa nécessité relève du fait qu’en dehors de celle-ci, l’Homme étant livré à lui-même aurait à satisfaire ses besoins naturels – se nourrir, se défendre, perséverer dans son être, de par lui-même : c’est la Loi du Talion. Une abscence totale de règles et de contraines, où chaque individu, en cherchant à satisfaire sa liberté naturelle et ses désirs s’oppose à la liberté et aux désirs des autres. Cette généralisation des conflits, de la violence et de la domination du plus fort mène automatique à une généraliation de l’insécurité, d’où la nécessité d’organiser la société par le biais de  règles explicites – les lois – et implicites ; normes. L’état n’étant que l’expression de la volonté générale : en lui obéissant, le peuple n’obéit donc qu’à lui-même ; le droit positif est l’instrument de la liberté du peuple.

Mais alors, le système normatif est-il toujours représentatif de la volonté générale ? Est-il juste et honnête d’associer la société surtout quand elle est marqué par un niveau d’éducation différent à des inégalités sociaux économiques à cette-première ? Quand Le Monde publie un article sur le fait – certes révoltant – que l’article 489 existe – il a le droit de mettre le drapeau marocain en en image de couverture de l’article, mais est-ce seulement juste et vrai d’associer le symbole de l’ensemble de la nation marocaine a l’homophobie ? En effet, une société, une nation ne peut pas être résumée à l’action d’un gouvernement à un instant donné car cela n’a aucun sens. A l’heure où le nazisme se répandait en Europe, le Maroc alors sous protectorat français avait accordé à travers l’action du sultan Mohammed V la protection  absolu aux juifs marocains, refusant de se plier aux dispositions racistes édictées dès octobre 1940 par le régime de Vichy, notamment le port de l’étoile jaune.

La loi et Moi : 

En effet, il arrive que la loi ne soit pas en adéquation avec la volonté générale, ou n’évolue pas à la même vitesse que les normes et valeurs de son époque. C’est le cas du harcèlement sexuel est une autre forme de piètiniment sur la liberté d’autrui et de non-respect de sa personne. Mais à mieux y regarder, ce n’est qu’en 1992 que le harcèlement sexuel est passé au stade de délit et était jusqu’alors trop flou, conduisant à son abrogation. En vue du principe de non-rétroactivité de la loi, il ne s’agissait plus d’un délit. Heureusement, la loi du 6 août 2012 a comblé ce vide juridique. 2012. De même, sur le thème de l’homosexualité, le mois de février dernier marquait la douzième édition du “LGBT Month” au Royaume-Uni, largement inspiré du “Black History Month” aux Etats-Unis. Jusque dans la moitié des années 1950, à Londres, des Hommes étaient assassinés car ils étaient homosexuels. Jetés, au bord des rues. C’était la norme. Aujourd’hui, cela existe encore dans des pays développés, mais moins, car les pays se sont enrichis, connaisse une alphabétisation quasi-totale. Malheureusement, tous les pays n’évoluent pas à la même vitesse.

Dans d’autres cas, la volonté générale s’oppose à ma volonté particulière, je fais partie de la minorité. Ai-je le droit de désobéir ? Oui. Même si il n’est pas en théorie légitime de désobéir, dans un état démocratique, je conserve ma liberté d’opinion et d’expression pour mettre en cause la loi et tenter de la modifier. C’est même un devoir reconnu par l’article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme. Cela va de la dénonciation d’un abus de pouvoir, ou la compromission de ma sécurité, ma liberté individuelle. L’article 489 du code pénal marocaine est révélateur de la non-adéquation de la loi avec une réalité sociale mais bien plus que cela, de la non-protection d’un droit humain qui est que toute personne quelle que soit son orientation sexuelle puisse perséverer dans son être. Mais l’homosexualité est-elle un sujet tabou au Maroc ? Cela dépend du quartier où vous vous trouvez, de la ville, de l’éduquation que vous avez reçu. Car il ne faut pas voir un pays émergent comme un pays développé, dans un pays émergent, le dévelopement est inégalitaire d’où un niveau d’éduquation et d’ouverture différent. Ce qui menace l’homosexualité, les femmes, les minorités dans le monde entier ce n’est pas les sociétés à l’échelle nationale de pays, c’est un fléau nommé pauvreté. Car la pauvreté économique renvoie l’individu à la survie et donc à la satisfaction de besoins primaires et la fermeture vis à vis de l’autre car on devient prisonnier d’un carcan d’opinions que l’on croit véritables. En effet, si on se penche sur l’exemple de la société américaine en juin 2015, selon le Southern Poverty Law Centre, “il y a une connection entre les crimes haneux et de très mauvais conditions économiques. Le diagramme d’Ingraham rend compte de la relation positive entre le nombre de membres actifs du Klu Klux Klan et le pourcentage de résidents vivant dans la pauvreté dans l’état, donné”.

Etat des lieux :

Cela va sans dire que la dynamique démographique d’un pays, d’une région, a une influence sur la croissance économique et donc la cohésion sociale – ou non – de la population locale. Ici, nous allons nous intéresser sur l’impact de celles-ci sur le financement de la protection sociale. Car si l’alphabétisation n’est pas totale, la pauvreté et la précarité touche beaucoup d’individus et il y a une corrélation positive entre ce fléau économique et les crimes haineux. Selon des chiffres recenssés par M. Sajour et L.Nowik dans “Vieillir au Sud” en 2010, le Maroc est “présenté comme un pays jeune” mais le processus de veillissement de la population s’est mis en place depuis une quizaine d’années, et aujourd’hui, les plus de 60 ans représentent un peu plus d’un dizième de la population nationale, chiffre qui devrait quitupler en 2050. Aussi, selon Coopami.org, en 2013, un trois dizièmes de la population avaient entre 40 et 60 ans.Selon des chiffres de l’Agence nationale de lutte contre l’analphabétisme, en 2015, dix millions de marocains environs, soit près d’un tiers de la population marocaine étaient analphabète.  Plus précisément encore, un marocain sur deux âgé de quinze ans au moins est analphabète aujourd’hui. Beni-Mellal est une petite ville du sud-est du Maroc, située sur l’axe de Fès et Marrakech, la ville est marquée par la pauvreté.

Un exemple de corrélation positive entre ses deux indices est la ville de Fès. Ancienne capitale du Royaume, connue pour ses Ryad et la noblesse des familles qui l’habitaient, Fès a pendant longtemps était le paradis et l’épitome du raffinement pour les familles marocaines et la noblesse andalouse et du sud de l’Italie, en témoigne les noms de certains marocaines qui y sont originaires. Depuis la seconde moitié du vingtième siècle, et l’urbanisation forte au niveau de la côte Atlantique – Rabat et Casablanca – beaucoup de “fasssi” ont quitté la ville, à la suite de quoi une forte exode rurale en provenance des villages avoisinnants s’est effectuée en direction de la ville. Les riches industriels ayant quitté la ville, c’est la pauvreté qui s’installe, en faveur de la criminalité, la drogue, l’homophobie dans certains quartiers.

En parallèle, les régions du Grand Casablanca, de Souss-Massa-Draa, de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër ainsi que de Tanger-Tétouan sont réputées pour leur beauté, le pavement de leurs rues et la mentalité des habitants qui font que chaque années, des centaine de milliers de retraités européens viennent y vivre ou y passer leurs vacances. C’est quatre régions sont aussi les plus riches du Maroc.

Mouvements sociaux et marocains engagés :

Les habitants de SouissiRabat-Agdal et d’Anfa ont plus de choses en commun idéologiquement avec les habitants de Manhattan et de Boulogne-Billancourt. De même qu’un acteur de crime homophobe à Beni-Mellal a plus en commun avec un individu résident au fin fond des États-Unis, marqué par le taux de chômage et la récession et qui ira s’attaquer violemment à un militant démocrate et scandera haut et fort qu’il vaut mieux les “jeter à Auschwitz”. Si Le Monde a préféré en rester au fait que  le ministre du tourisme marocain – Lahcen Haddad – s’est proclamé en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité et des relations sexuelles (consenties par les deux partis) hors mariage, au nom de son parti, le mouvement populaire. De même, il y a eu au début de notre entrée au XXIème siècle des actions mises en place par le groupe LGBT Kif-kif et des coming-outs de Marocains dans la sphère publique dont trois écrivains : Rachid O., Hicham Tahir et Abdellah Taïa.
L’association Aswat [les voix] avait déjà demandé une abolition de l’article 489 du Code pénal et est constituée de Marocains et marocaines de tous âges qui évidemment constituent une minorité mais cela ne justifie en rien le fait qu’on ne valorise pas leur travail et ne les assimile pas à la société marocaine. Ainsi, le manifeste de l’association appelle à la “fin de la persécution contre les citoyennes et citoyens à cause de leur orientation sexuelle ou leur genre”.

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Dans “La défaite de la pensée”, publié chez Gallimard en 1987, le récent académicien et génie de la pensée française Alain Finkelkraut rendait déjà compte du déclin de cette dernière depuis notre entrée dans “la culture de masse où « un clip vaut Shakespeare », « un feuilleton vaut Homère », et désormais, une vidéo et un corpus d’une centaine de mots vaut une civilisation. Un Homme ne naît pas haineux, il le devient. L’intellectuel-journaliste est né à une époque où les écrivains s’intéressaient à la nature humaine et donc au pourquoi du comment des actions des hommes. Derrière l’homophobie, la haine et la discrimination se cache des réalités socio-économiques qui n’en réduisent pas moins la gravité de ses actes, mais il faut comprendre. Si un Etat se veut juste, il est fort de constater que l’égalité entre les citoyens que se soit au niveau des chances, des droits face à la loi et des devoirs est détruite par des inégalités économiques. Aussi, il ne faut pas associer des vides juridiques ou des failles d’un système à une nation. D’ailleurs, le Maroc est entrain de remonter la pente, dernières actions en lice, la signature d’un convention et Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement l’UNESCO, la construction de Noor – plus grande centrale nucléaire au monde – et la présidence du Maroc de la COP22.

Pour l’écrivain ouvertement homosexuel Abdellah Taïa, “la cause des homosexuel(le)s au Maroc avance dans la bonne direction” dans une entrevue accordée au Nouvel Obs.