Hélène Grimaud : la pianiste qui murmurait à l’oreille des loups

Par Rita Bouziane

Enfant prodige, Hélène Grimaud est surement aujourd’hui considéréecomme l’artiste classique préférée des Français et de beaucoup d’amoureux de la musique. Mais ce qui fait d’Hélène Grimaud une artiste à part entière ce n’est pas seulement sa maîtrise parfaite des oeuvres de Brahms et de Rachmaninov, c’est sa capacité à sortir des sentiers battus et se retrouver là où on ne l’attend pas. Pianiste hors normes, protectrice de l’environnement et des loups. Mais à regarder de plus près son parcours, et ces premiers pas dans le monde de la musique classique, il n’est pas surprenant qu’elle s’engage en faveur de l’environnement et qu’on la surprenne à communiquer avec des loups dans le centre qu’elle a construit pour leur protection à une heure de New York où elle a résidé pendant plus de vingt ans après avoir quitté Paris. En effet, aujourd’hui, on la retrouve dans un nouveau projet – “Water” – un album où elle collabore avec l’artiste électronique et mult-insturmentaliste Nitin Sawhney. Hélène Grimaud est la personnification de l’art du langage. Le langage est le véhicule de la pensée, une fin en soi. Un artiste va à se mettre des couleurs, des notes, ou des mots sur une idée et une pensée qui renfermera une partie de ce qu’il est. Hélène Grimaud est une artiste qui va au-delà de la technique, nul doute alors qu’elle aime le multiculturalisme– que l’on retrouve dans « Water » son dernier album – mais aussi communiquer avec les loups, et puise son inspiration, dans la nature. Portrait d’une artiste classique qui s’illustre par la modernité de ses combats.

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Enfant prodige, pianiste hors-paire :

Grimaud (ne) s’est mise au piano (qu’) à l’âge de huit ans et demi, de manière sérieuse, et avait avoué à Catherine Ceylac lors de son passage sur l’émission Thé ou Café qu’elle ne possédait au jour d’aujourd’hui qu’un piano, banal, sur le quel elle s’entrainait mais privilégiait surtout la préparation mentale. Synesthète, l’imagination a toujours joué un rôle important dans la carrière musicale et la vie d’Hélène Grimaud. Très tôt, vers l’âge de 11 ans elle est présentée à Pierre Barbizet qu’elle considérera comme son Maître absolu. Même si ce dernier a toujours préféré de nas trop s’exposer, il reste aujourd’hui une référence majeur dans le monde de la musique de chambre et de la pédagogie en matière musicale. C’est d’ailleurs quelque chose que l’on retrouve chez Grimaud. Invitée chez Alessandra Sublet quand elle présentait encore l’émission C à vous sur la chaîne publique France 5 le 14 octobre 2013, elle avait déclaré « que la musique devrait déjà faire partie du curriculum d’enseignement à laquelle car on ne peut pas simplement compter sur l’environnement familial pour donner accès aux jeunes générations […] de façon aussi sérieuse que l’on apprend les mathématiques, la géographie, l’histoire. »

Très vite, la jeune Hélène se rend à Paris au conservatoire, où elle obtiendra à l’unanimité du jury le Premier prix de piano. Elle venait tout juste d’avoir quinze ans. La même année, son interprétation d’un morceau de Rachmaninov lui vaudra qu’on lui décerne le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros. C’est la consécration : de Tokyo aux États-Unis où elle se produit à Cleveland, New York, Los Angeles et tant d’autres villes, Hélène Grimaud devient une référence du monde de la musique classique et sa maîtrise du piano pleind’émotion. C’est son caractère humain que l’on retrouve dans ses interprétations.

Cependant, si elle a interprété les plus grandes pièces musicales classiques, son compositeur de prédilection reste Johannes Brahms. Elle déclarait dans une interview au magazine Le Figaro qu’il est “mon compositeur de prédilection. Avec lui, j’entretiens une relation fusionnelle.» Elle lui consacre d’ailleurs une partie de son roman “Retour à Salem” qui se veut autobiographique dans le sens où elle l’a écrit après s’être installée dans la petite ville allemande. Car si son instrument de prédilection est le piano, elle avoue avoir été pendant très longtemps été attirée par le violoncelle et elle est écrivaine. Ainsi, partage-elle ses expériences avec le public : de ses rapports à la musique aux loups.

Un coup de foudre :

«J’ai compris que je ne pouvais être réellement vivante si je me ­retirais de l’action, cette action si chère  Arthur Rimbaud. Or, cette action a toujours été pour moi la scène, et tout autant mon combat pour la survie des loups et la préservation de la nature. C’est ce combat qui manquait à ma musique.» confiait-elle toujours, au Figaro.

En effet, alors âge de vingt et un an et qu’elle fait la tournée des États-Unis, Hélène Grimaud s’installe à Tallahassee où elle fait une bien singulière rencontre : celle d’une louve. Ainsi vas-elle s’inscrire à l’université dont elle sort diplômée d’éthologie. En 1997, elle ouvre à une heure de New York, à South Salem, le Wolf Conservation Center à South Salem. En plus de son appartenance à l’association Musicians for Human Rights, elle est correspondante pour des organisations scientifiques à travers le monde et oeuvre surtout pour la réhabilitation des loups dans leur milieu naturel. Pour Grimaud, il n’ya pas d’art sans nature, et la nature est l’art. À regarder de plus près les oeuvres musicales composées entre le XIXème siècle et le début du Xxème, il est for de constater que beaucoup sont inspirées par la nature et les éléments. Elle confie dans son livre “Retour à Salem” qu’il n’y aurait “ pas de musique possible sur une planète à l’agonie. Et elle est à l’agonie. Les prévisions les plus alarmistes des climatologues et des scientifiques ont été largement dépassées. L’économie a pris le pas sur le politique. Le profit sur le bonheur. On ne protège plus les loups – ni les ours blancs, ni des ­centaines d’autres espèces -, on les chasse, on les extermine. C’est ce contre quoi la musique de Brahms nous met en garde, et c’est cela que j’ai voulu raconter dans Retour à Salem.»

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Avec laide de J. Henry Fair, le cofondateur du WCC et une partie de l’argent qu’elle avait amassé grâce à l’exercice du piano, Hélène Grimaud a réussi à mener à bien le projet de ce centre de conservation qui accueille plus d’une trentaine de milliers de visiteurs chaque année et de plus en plus de loups. Au programme, des soirées en immersion avec eux mais aussi des jeux éducatifs et des randonnées. On pouvait d’ailleurs surprendre Grimaud entrain de communiquer avec eux.

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La musique au service de la cause environnementale :

Au début de l’année 2015, Hélène Grimaud signait son grand retour sur la scène musicale avec « Water », un album produit par la société d’édition de disques classiques Deutsche Grammophon.

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Pour cela, elle s’est entourée de Nitin Sawhney, un compositeur et DJ londonien d’origine indienne réputée pour ses sons aux allures électroniques et son multi-instrumentiste. Selon elle, elle s’est tournée vers lui car il “fait la synthèse de toutes les traditions musicales de notre monde, tout en puisant ses racines dans une formation classique qui en faisait un interlocuteur privilégié pour un tel projet. Je lui ai donc de demander de composer, avec son langage propre.” Encore une fois, quelque chose qui revient dans l’univers d’Hélène Grimaud est le langage : cette volonté de vulgariser le langage musical mais aussi de varier les formes pour ce qui est de la communication de ses idées et de la sensibilisation des causes pour lesquelles elle veut s’engager ; ici, la nature. «Avec ce projet d’installation artistique et l’album qui en a découlé, j’ai voulu explorer l’eau comme source de vie, mais aussi d’inspiration pour des compositeurs aussi différents que Franz Liszt, Maurice Ravel, Luciano Berio ou Toru Takemitsu» disait-elle aux journalistes du figaro.

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Un enregistrement aux allure grimauliennes : 

Hélène Grimaud, nous l’avons bien compris, aime l’autre et communiquer, d’où la multiplication de registres musicaux qu’elle s’emploie et n’hésite pas à interpréter des compositions allant des très sages sonates aux sons plus électroniques que permet de produire la technique moderne vers lesquels se penchait déjà Boulez. C’est ainsi que pour l’enregistrement de « Water », elle s’est rendue à New York, au Park Avenue Armory qui est un lieu où se tiennent des expositions d’art moderne – par étonnent pour Grimaud – et entourée de son public ! Plus loin encore, elle a fait appel à Douglas Gordon à l’artiste écossais Douglas Gordon réputé pour sa création de représentation à l’aide de vidéos qui reprennent des images relatives à la mémoire mais les alliant à des éléments très modernes. Ainsi, la salle était-elle inondée d’eau et de lumière. C’était pour elle une « expérience immersive qui m’a profondément bouleversée et à laquelle je voulais donner une suite par le disque.

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« Water » ne signe pas seulement le retour tant attendu d’Hélène Grimaud sur la scène musicale, il est surtout la confirmation de son essence musical, artistique et humain : un album fait à base de pièces musicales classiques, que l’on a subtilement mariées à des sons plus modernes et multiculturels. Que l’on aime ou pas la musique classique, ou la musique électronique, c’est un son humain que nous offre Hélène Grimaud, à son image et à l’image de ce que devrait être le monde au XXIème siècle : ouvert, aux facettes multiples est léger.