L’Académie française : quésako ?

Par Rita Bouziane 

Gardienne de la littérature française, institution mythique, l’Académie Française est l’une des six académies constituantes de l’Institut de France, à savoir l’Académie des inscriptions et belles-lettres, celle des Sciences, des Beaux-Arts, et des Sciences morales et politiques. Aujourd’hui, elle a perdu un académicien, l’historien et ancien ministre de la culture, Alain Decaux. Le “conteur historien” représentait une autre facette de l’Académie, outre son conservatisme notoire. En quanrante-six ans de radio il a su réconcilier le grand publc avec l’histoire, comme le résume assez bien le titre qu’il a choisit pour son mensuel crée en 1960 : Histoire pour tous. Propulsé grâce à Sacha Guitry qui publie son premier livre, alors qu’il venait d’abandonner ses étudeAs supérieures, Decaux nous rappel que l’Académie Française c’est aussi des parcours atypiques – l’inoxydable Jean D’Ormesson – mais aussi qui font polémique – souvenons-nous de l’entrée en 2014 d’Alain Finkelkraut. Retour sur l’histoire d’un lieu qui fait couler beaucoup d’encre. 

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Aux origines de l’Académie : de l’amour des lettres et du pouvoir :

L’essence même de l’institution est dans son nom. “Académie”, emprunté au Grec “Akademos” qui était un jardin d’Athènes où Platon enseignait la philosophie et qui fut reprise à la Renaissance pour désigner les salons littéraires. En effet, avant d’être le palais imaginé par Le Vau du Quai de Conti à Paris, il s’agissait à l’origine d’un petit groupe de neuf lettrés qui se réunissait chaque semaine chez Valentin Conrat, alors secrétaire du roi de France, Louis XIII. Mais ce qu’il faut savoir c’est qu’à cette époque, le français faisait office de langue romane qui s’est transformée au Moyen Âge en dialectes dont on retiendra la langue d’oc et celle d’oïl. Ces dialectes sont les reflets du multiculturalisme très fort de la France à cette époque d’où une nécessité pour le pouvoir en place de cimenter le pays et de créer une nation au moyen d’une langue commune, régie par des règles simples : le français. De ce fait, c’est le 1er août 1539 que François 1er lancera le processus de francisation du pays par le biais de l’ordonnance de Villers-Cotterêts et ces articles 110 et 111 qui généralisent l’emploi de la langue dans les territoires du royaume.

C’est ainsi que le 29 janvier 1635, le cardinal de Richelieu signe les lettres patentes qui officient la création de la désormais, Académie Française. Ainsi, il met ses intellectuels avant l’heure au service de la monarchie, en échange de sa protection. Seront sélectionnés quarante hommes, indépendamment de leur origine sociale, ne privilégiant que le talent et la maîtrise de la langue. C’est d’ailleurs dans la résidence privée de Richelieu que se tiendront les premièresséances de l’Académie. C’est évidemment lui qui passe en revue l’ensemble des candidatures, et fera entrer à l’Académie des hommes d’État et le garde des Sceaux de l’époque, allant jusqu’à faire écrire ses discours et ses pamphlets politiques par certains membres. Par exemple, alors qu’il n’avait que dix-sept ans, le petit-fils du Cardinal y sera introduit et Colbert, contemporain de Richelieu y introduira son fils à son tour, alors âgé de 24 ans.

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Cependant, afin d’assurer l’égalité entre ses membres, l’Académie s’est dépourvue de statuts privilégiés ce qui était le cas des membres du clergé et des grands seigneurs. A partir de l’an 1712, l’égalité est des plus totale entre les quarante membres masculins de l’Académie. Son but ? L’accès à l’immortalité d’où sa devise. Par ailleurs, Edmond Rostant – auteur de “Cyrano de Bergerac” mais aussi l’un des premiers académiciens, écrira dans la pière “Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !”

La “querelle du Cid” ou l’affirmation de l’Académie française :

Lorsque Corneille publie “Le Cid” en 1636, il s’agit d’une tragi-comédie, ce qui choquait à l’époque car même si aujourd’hui la pièce fait partie des plus belles pièces du répertoire français, elle n’obéissait en rien aux règles classiques de l’époque, bien au contraire ! En effet, en plus d’avoir mêlé deux gens, la règle des trois unités n’était pas respectée, à savoir : l’unité d’action car les intrigues sont multiples tandis que la règle veut que des intrigues secondaires soient au service d’une principle. Ensuite, l’unité de temps dérange car si les règles classiques veulent que les actions se déroulent en une journée, il est assez peu probable qu’en vingt-quatre heures se soient produit deux duels, un procès et une bataille contre les Maures ! Enfin, pour ce qui est de l’unité de lieu, elle n’est absolument pas respectée puisque les actions se déroulent tantôt dans la maison de Chimène, tantôt au palais, tantôt dans une cour.

Le cardinal Richelieu, enfin stratège, voit là l’occasion rêvée de donner de la voix et une voix à sa toute récente création. Ainsi, il publiera en décembre 1937 avec Colbert et chapelain “les sentiments de l’académie française sur Le Cid”. Même s’il s’agira de la première et dernière fois que l’Académie revêtira le rôle de critique littéraire, elle s’était érigée en juge suprême des lettres et fervent défenseur du style et de la langue française.

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Deux missions : (surtout) promouvoir la langue française et le mécénat :

Dans la première édition de son Dictionnaire de l’Académie, cette-dernière rend compte de son programme qui est d’informer sur “la nature grammatical des mots, leur orthographe, leurs significations et acceptations, les usages syntaxiques, leurs domaines d’emploi, le niveau de langue qui en détermine lui aussi l’emploi.” Par ailleur, l’article 24 est très claire quand à son statut qui est de “travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et la science…».

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Avec l’avènement de l’école sous l’égide de Jules Ferry à la fin du XIXème siècle, le rôle de l’Académie s’est affirmé de plus en plus car il était nécessaire de figer l’orthographe et la grammaire par le biais de règles afin d’enseigner la langue et d’assurer sa transmission à travers les temps temps. C’est ainsi par exemple qu’on en viendra à la célèbre querelle de l’orthographe qui débutera en 1893 pour enfin se solder par deux arrêtés en 1901 qui énoncent clairement les règles de l’orthographe et de syntaxe touchant notement la soudure de noms composés (pingpong) ou encore l’emploi de l’accent grave, et sur lesquelles seront jugées les élèves aux examens et les candidats aux concours de l’instruction publique. L’ensemble des membres de l’Académie approuvèrent à l’unanimité le contenu du document.

Le français à l’ère de la mondialisation : politique linguistique et francophonie :

Le français se place à la cinquième position des langues les plus parlées dans le monde, et serait selon une étude menée par l’Organisation internationale de la francophonie devancé par l’arabe, l’hindi, le mandarin et en première position, l’anglais. L’ambition de Richelieu était de faire du français une lingua franca, soit la langue de communication par excellence. Aujourd’hui, il est fort de constater que dans un contexte de mondialisation, l’anglais est devenu les langue des affaires et la première la lingua franca, dont la maîtrise est quasi-indispensable pour trouver un emploi. Il suffit de se pencher sur l’ensemble des réformes de l’enseignement  en France qui souhaite faire apprendre l’anglais aux jeunes français le pllus tôt possible et l’explosion des écoles de langues consacrées à l’anglais. Si comme le soulignait Madame Carrière-d’Encausse, le français était en Europe la langue du monde scientifiqe, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Selon une enquête menée par Le Figaro, 80% des données sur internet sont en anglais et une étude de 2015 de l’Observatoire de la Formation, de l’Emploi et des Métiers rend compte du fait que l’anglais est “la première langue étrangère utilisée par les entreprises françaises pour communiquer avec des partenaires ou clients non francophones.”

Ainsi, des commissions ministérielles ont néemoins décidé depuis 1972 de parer les emprunts à l’anglais et les anglicismes afin de trouver des équivalents en français : le walkman devient un baladeur, par exemple. Sur le plan juridique, cela se traduit par la mise en place des lois “Bas-Lauriol” et “Taoubon”. Cependant, aucune publication n’est faite sans un passage en revue de l’Académie qui s’affirme plus que jamais comme défenseur de la langue française.

Dans “La défaite de la pensée”, publié chez Gallimard en 1987, le récent académicien et génie de la pensée française Alain Finkelkraut rend compte du déclin de cette dernière depuis notre entrée dans “la culture de masse, le jeunisme, le multiculturalisme, la perte de l’écrit”. Selon Finklerkraut, « un clip vaut Shakespeare »« un feuilleton vaut Homère ».

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De l’amour des conventions :

Selon une étude pour l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques de 2009 de C. Esafi et S. Buffeteau, au “début des années 1970, la moitié des femmes âgées de 25 à 59 ans étaient actives. Aujourd’hui, les trois quarts le sont. Tout naturellement, ce mouvement fut accompagné d’une féminisation des corps de métiers suite à une demande de Pierre Mauroy, Premier minsitre de l’époque afin “d’apporter une légitimation des fonctions sociales et des professions exercées par les femmes ». Ainsi, le 21 mars 2002, Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss publieront un arrêté pour l’Académie française où ils rendent compte des incohérences linguistiques découlant de la féminisation de certains noms, assimilable à de la “barabrie”. En effet, le français a été prendant très longtemps une langue où le genre n’était pas marqué car les hommes et les femmes étaient tous deux désignés par le genre masculin. Plus loin encore, l’Académie juge que cela touche à l’essence même de la langue et son  “équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier ».

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L’Académie française est également porteuse de nombreux symboles, dont deux très importants : l’habit vert et l’épée portés par le nouvel académicien, le jour où il prononce son discours d’entrée. L’habit est au frais du nouvel arrivant et peut coûter jusqu’à 35000 euros quand il est brodé dans “les règles de l’art” car il s’agit –là de six-cent heures de travail artisanal. Dans “Coupole et dépendance,” paru en 2014, le journaliste Daniel Garcia révèle que l’épée quand à elle peut monter jusqu’à 100000 euros mais elle est en général offerte à l’académicien et la confection de sa poignée revient à de grandes maisons ou des artistes tels que Cartier, Boivin et Pierre Soulages. A l’origine de cette tenue, un arrêté du 12 mai 1801 du Consulat sous Napoléon qui le définit précisément dans l’article II suite à une demande des membres de l’Institut de France qui souhaitaient un habit qui puisse les distinguer.

 … qui s’ouvre, peu à peu :

Léopold Sédar Senghor, Marguerite Yourcenar et Julien Green : une femme, des étrangers francophones. Même si comme l’a si bien souligné Jean D’Ormesson, “l’Académie est une vieille dame” qui prend son temps, il est fort de constater qu’après plus de trois siècle d’existence, elle s’est ouverte peu à peu, admettant sous son toit des personnalités dont l’adhésion avait fait polémique.

C’est le 06 mars 1980 que l’écrivain Marguerite Yourcenar – première des huit femmes académiciennes – est élue de justesse à l’Académie française. Mais alors pourquoia voir attendu si longtemps ? A en croire les règlements instaurés depuis Richelieu, aucun n’interdit noir sur blanc l’admission des femmes mai sil est fort à croire qu’il y a une correlation positive entre leur récente entrée dans le monde du travail, et littéraire. Car même si Georges Sand et Natalie Sarrauté, ou encore Louise Labbé au Moyen-Age nous ont transporté avec leur propre et leurs rimes parfaitement agencées, elles n’étaient encore que des exceptions. Des images d’archives d’Antenne 2 retrouvées sur le site de l’INA nous montre un tout jeune Jean D’Ormesson ravi que “l’une des plus grands écrivains français vivants” face son entrée au Panthéon de la littérature, cependant, on y voit également le philosophe et theologien Jean Guitton qui reconnaissait s’être opposé à son entrée à l’Académie car “l’Académie pendant trois-cent ans avait vécu sans femmes, et pourrait vivre encore trois-cent ans, sans”.

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Cependant, il ne faut pas non-plus oublier que si l’Académie marque par son attachement aux traditions et est le reflet de l’aspect conservateur de ce vieux pays qu’est la France, elle a su se montrer juste ou révélatrice du modèle d’intégration français. C’est le cas nottement du Maréchal pétain et du poète et écrivain Charles Maurras qui seront tous deux radiés de l’Académi, pour collaboration et en vue de l’héritage antisémite qui englobait ces deux personnes. D’un autre côté, ce qu’il faut retenir de l’histoire personnelle d’Alain Finkelkraut – en dépis des polémiques qui entourent le personnage – c’est que cet homme issu d’une famille de réfugiés dont la mère polonaise, ne parlait pas un mot de français sera naturalisé, scolarisé, et tombera amoureux de la langue et du monde des idées qu’il cotoya sur les bancs de l’école française pour devenir professeur de littérature, notemment à Berkely, aux Etats-Unis. C’est aussi ça, la France !

In fine, si il y a bien une chose à retenir de l’Académie française, c’est bien l’adjectif épithèque qui constitue son nom. En effet, elle est de par son histoire, son conservatisme et son attachement au monde des idées et à la langue française un élèment majeur de ce qu’est l’identité française : une vieille dame que l’on veut tantôt abolir, ou que l’on regarde avec des airs nostalgiques. Comme si elle était en dépis de tous ces aspects les plus agaçants et protocolaires, et également gardienne de la langue française qui n’est autre que le symbole de l’éclat de la culture française, qui en fera tout au long du XVIIIème siècle la langue des sciences et de la diplomatie à travers toute l’Europe. Mais surtout, le français est comme le drapeau aujourd’hui, le symbole d’une France diverse, variée, multiple mais qui ne fait qu’un grâce à a lanugue et son système de valeurs. Qu’en est-il de cette France, aujourd’hui ?