Par Marion Russell
« Jirais buter (les terroristes) jusque dans les chiottes ». C’est au président russe Valdimir Putin que nous devons cette phrase et qui a étélargement reprise, comme la réponse d’un président fort face à la menace croissante de l’islamisme radical. Avec son image populaire de président “badass”, Vladimir Poutine connaît aujourd’hui un regain d’estime notoire au yeux des jeunes occidentaux, notamment à la suite des attentats du 13 novembre dernier, à Paris. En comparaison aux réactions plus mesurées des chefs d’état occidentaux, et particulièrement du président français, cette petite phrase s’est ajoutée aux nombreux « memes » et autres détournements glorifiant Poutine comme un homme de poigne, viril et sans peur. Pourtant, cette image, amplifiée par les réseaux sociaux, omet de large pans de la politique de Poutine, et participe activement à lui forger une image de “sauveur”, tout en omettant les aspects plus sombres de ce que l’on pourrait appeler “ le système Poutine”.
L’ascension de Poutine
Ancien agent du KGB, Poutine a toujours voulu jouer un rôle pour la Russie. Convaincu qu’un seul homme peut changer le destin d’un pays, il débute son ascension politique en 1999 lorsqu’il parvient à se faire nommé premier ministre par Boris Eltsine. Le but de Poutine est simple : retrouver la grande Russie a tout prix et la diriger.
Marqué par l’héritage impérial et tsariste de la Russie, Poutine conçoit un pouvoir fort, mais qui s’ancre dans l’héritage soviétique du pays. Il entre au KGB en 1975, dans une époque où les crimes staliniens (et du KGB) semblent effacés par une nostalgie de la grandeur russe sous Staline. Malgré son éducation et ses valeurs soviétiques, Poutine reconnaît la nécessité de réformes économiques en Russie et forge, à cette époque, sa conception des politiques nécessaires pour rendre sa grandeur à la Russie. Lors de ses missions avec le KGB, il se constitue un réseau d’industriels et atterrit en politique par le biais du système KGBiste, mis en place à la chute du Rideau de Fer, et consistant à placer des agents autour des potentiels futurs dirigeants afin d’assurer le contrôle du pouvoir par les services secrets. L’ascension politique de Poutine est marquée par sa capacité à se placer au bon endroit au bon moment afin de saisir les opportunités se présentant à lui. Dans les années 90, cette homme presque inconnu obtient le soutien des oligarques et de leur organisation (« la Famille ») qui le propulse au plus près du pouvoir en le faisant d’abord nommée président du FSB (ex-KGB) puis Premier Ministre
La phrase
«.On ira buter (les terroristes) jusque dans les chiottes ». C’est donc cette phrase qui fait aujourd’hui sensation sur les réseaux sociaux. Pourtant, elle a été prononcée par Poutine en septembre 1999, alors qu’il était encore 1er ministre. A cette époque, la Russie subit une vague d’attentats, que le gouvernement attribue aux indépendantistes tchétchènes (pourtant, lors de l’arrestation de deux suspects, ces derniers se révèlent être des membres du KGB). Surfant néanmoins sur la haine populaire contre les tchétchènes, latente depuis la fin de la première guerre de Tchétchénie en 1996 (et la défaite russe), Poutine se lance dans une campagne qui va fonder durablement sa popularité et son autorité auprès de l’opinion publique russe : la deuxième guerre de Tchétchénie. En 8 mois, les bombardements vont se compter en centaines et les morts en milliers. Malgré les condamnations internationales, Poutine continue et fonde son pouvoir sur cette image forte de guerrier, dont il jouera tout au long de sa carrière. En février 2000, la capitale tchétchène tombe, mais on dénombre plus de 120 000 victimes. Victorieux, Poutine ressort populaire de cette guerre, qui ne ramène pas pour autant la paix dans le Caucase, qui tombe aux mains de la guérilla islamiste
Un bon gestionnaire de crise ?
En 2000, Poutine est donc élu président avec 52% des voix. Cette homme, quasi inconnu il y a encore un an cherche à imposer son autorité, en instaurant un pouvoir fort. Pourtant, quelques mois à peine après son investiture, Poutine doit gérer la catastrophe du Koursk, fleuron de la flotte russe qui sombre en mer le 12 aout 2000.
Malgré une possible aide internationale pour sauver les rescapés, Poutine n’accorde aucune déclaration pendant plusieurs jours, tandis que l’équipage se noie. Fierté vis à vis de l’ancien ennemi occidental ou mauvaise estimation de l’ampleur de la catastrophe ? A vous de juger. De même, en 2004, un commando pro-tchétchènes prend en otage 1000 personnes (bien qu’initialement, le gouvernement annoncait 350 otages) dans une école du Beslan, en Ossétie du Nord. Après 3 jours de siège, les forces russes donnent l’assaut et provoquent la mort de 332 otages, dont 186 enfants.
Des libertés relatives
D’après (l’excellent) documentaire de Jean-Michel Carré, « Le sytème Poutine », depuis son arrivée au pouvoir, 22 journalistes de l’opposition ont été tués et des dizaines d’autre forcés à l’exil. Le contrôle des médias est l’un des outils clés de la politique de Poutine. Dès son arrivée, il place son ami Alexei Miller à la tête de l’entreprise Gazprom, majoritairement détenue par l’Etat. Cette entreprise possède également de nombreuses parts dans les médias russes et finance les grands groupes médiatiques détenus par les oligarques.
Ces derniers, qui ont hissés Poutine au sommet, sont désormais désignés comme les ennemis du régime et emprisonnés ou contraints à l’exil. Un exemple emblématique de ce contrôle forcé des médias est la recupération gouvernementale de la chaîne privée privée NTV du milliardaire Vladimir Goussinski. Après la diffusion de programmes critiquant le pouvoir en place, les locaux sont investis par des forces armées envoyées par le Kremlin et la chaine passe sous le contrôle de Gazprom. Face à cette menace, les autres chaînes suivent le mouvements et sont muselées par le pouvoir en place. Les médias sont désormais un outil de propagande pro-Poutine, toute opposition est réprimée et les militants emprisonnés.
La démocratie poutinienne
En plus d’un contrôle total des médias et la suppression de ses opposants, on peut ajouter à la vision de la démocratie selon Poutine, l’omniprésence de la corruption au sein du régime, où oligarques, religion et gouvernement entretiennent des liens particulièrement forts. La corruption rapporterait aujourd’hui 300 milliards d’euros aux fonctionnaires par an. En comparaison, 25% de la population russe vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. De plus, la diversité politique ne semble pas apparaître comme un élément essentiel de la démocratie pour Poutine. En effet, lorsque ce dernier se voit contraint d’abandonner le siège de président en 2008, car il a déjà effectué deux mandats d’affilée, il cède le pouvoir à son amis Dimitri Medvedev, et prend le poste de premier ministre. Toujours extrêmement populaire, Poutine continue d’asseoir sa popularité et son image « d’homme providentiel ».
Une nouvelle guerre froide ?
L’autre aspect novateur du système poutinien concerne les questions extérieures à la Russie. Moscou joue aujourd’hui un rôle de plus en plus central dans les dossiers internationaux, ce qui n’est pas pour déplaire aux citoyens russes qui y voit la marque d’un retour au statut de grande puissance pour la Russie. Tout d’abord, la prise de position de Poutine sur le dossier syrien a marqué un retour d’une rivalité Est/Ouest, typique des années de Guerre Froide. Ainsi, le régime russe s’est positionné comme défenseur du régime de Bachar el-Assad, tout en s’opposant à une quelconque intervention dans le pays en guerre depuis mars 2011.
Si certains acclament cette prise de position, il apparaît aujourd’hui que la Russie soutient un régime qui ne contrôle plus qu’une infime partie du territoire syrien et semble bien trop faible pour ressortir victorieux de cette guerre. En soutenant finalement un des factions parmi les nombreuses présentes en Syrie, la Russie semble peu encline à pouvoir agir contre Daech. D’autre part, en Ukraine, en faisant fi des menaces de l’Union Européenne et en annexant la Crimée, Poutine a cherché à se positionner comme un homme politique fort et indépendant des grandes puissances occidentales. Selon la journaliste russe Ekaterina Agafonova, « La presse russe insiste sur la fermeté de Poutine et son isolement sur ces sujets pour renforcer l’impression d’un retour vers un monde bipolaire ».