Par Serena Chiang
Face aux dispositions verticales et imposantes des couvertures de magazine Vogue, une myriade de bleu électrique, rose fuchsia, et jaune mimosa – compartimentée en bandes fluorescentes – éclaire la première salle d’exposition. Vogue – Un siècle du style s’avère non seulement une célébration de la mode, mais elle réaffirme également le caractère indispensable de la photographie, qui est toujours la seule capable de se saisir des moments charnières le long de l’histoire anthropologique, à l’état brut. Malgré la spontanéité insensée que suggère l’ambience excentrique, l’itinéraire de la tournée est loin d’être aléatoire. La foule des spectateurs coule d’une salle à l’autre, conformément à chaque décennie vécue par Vogue. En tentant d’avaler cette scène abracadabrante, nous nous complaisons dans l’absorption sensoriel de l’art, en avançant progressivement au coeur de l’exposition où se déploie les origines du magazine. À force d’invertir le récit temporel d’une histoire bouleversante, la gallérie d’art de National Portrait Gallery se métamorphose en toile vivante, ce dont les espaces thématiques codés en couleur s’entremêlent.
En réitérant le passé qui émerge systématiquement en alternance avec le présent, chaque couverture suspendue contribue à la diversité esthétique dont la chronologie se répand visuellement sur les colonnes en verre. Néanmoins, les yeux s’aperçoivent toujours des titres les plus accrocheurs et des images les plus stimulantes. Les phrases galvaudées “Donner le meilleur de soi-même’ et ‘Maitriser le style estivale vintage’ sont vite négligées alors que les regards tombent sur les éditions qui affichent la Statue de la Liberté comme cover girl (1939), les cinq gymnastes qui forment les lettres V-O-G-U-E avec leurs corps (1940), la visage moderne de Jean Patchett en noir et blanc (1950), et sans parler d’un Robbie Williams dénudé (2011).
D’ailleurs, ces images fragmentées adressent, sans ambiguïté, des messages qui vont bien au-delà des barrières que l’on veut donner à la mode. Depuis une centaine d’années, le magazine se fait grand défenseur de la diversité dans le domaine de la mode en mettant en avant des styles versatilles mais aussi la diversité culturelle. Depuis le début, Condé Nast a accordé au magazine son éminence intemporelle, en étendant la portée de son contenu: de la musique anglaise en 1924 aux tendances parisiennes de Chanel. Sur le premier édition de Vogue China un siècle plus tard en 2003, le joyau australien Gemma Ward est flanquée par cinq beautés asiatiques, ce qui marque la coalition de mode entre deux pays de couleurs politiques divergentes. Que le premier ministre chinois Wen Jiabao a rendu la premier visite officielle aux États Unis la même année suggère que la mode et la diplomatie sont interdépendantes. Il en découle davantage que le communisme, la démocratie fédérale, et le libéralisme sont également ‘chics’ à travers la lentille de la féminité.
Il n’empêche que les collections internationales ne commenceront réellement qu’à partir du XXIème siècle, où l’assemblée de seize rédacteurs en chefs internationales (Wintour, Shulman, Sozzani, Cheung, etc.) se lancent dans une co-entreprise complexe. Certes la sélection des photos reflète une diversité culturelle qui monte en flèche, mais elle évite, peut être à bon escient, la moindre indication de ses jours les plus sombres. Franchement, la collaboration entre les éditeurs nombreux de Vogue et les photographies n’entraine pas constamment aux résultats escomptés. Il faut bien reconnaître que certains semblent êtres déstabilisés par le patriotisme que préconise le monument couronné emblématique dans The American Number (1939) et les évocations racistes de Garde-robe d’hiver et de soleil en Inde (1956). Le dessinateur Witold Gordon a voulu que le public mondial puisse se joindre à la commémoration du dynamisme métropolitain projeté par les États Unis pendant que Norman Parkinson a fait valoir le luxe au détriment de la piété. De plus, l’écrasante majorité des célébrités américaines et anglaises en vedette dans les couvertures souligne un aspect discriminatoire qui se rapproche légèrement, pour certains, du chauvinisme injustifié.
Tandis que les couvertures de Vogue déclenchent des questions dans tous les sens, la photographie amplifiée dans les salles suivantes crée une ambiance rafraîchissante, ce qui contribue à un récit historique plus perspicace. Les regards du public s’attachent aux vitrines et la curiosité les saisit à plusieurs reprises, surtout vers la photo de Twiggy sur un Raleigh Moto (1967). D’où la reinvention de la minceur. Non seulement les femmes sont devenues l’équivalent des commodités de la mode, leurs traits physiques sont désormais les marqueurs officiels de chaque nouvelle tendance. Uma Thurman, Naomi Campbell, Charlize Theron, et Kate Moss sont quelques exemples des visages récurrents dans l’exposition. C’est ainsi que la majorité des photos étalées ont des titres qui comportent les noms des personnalités revendiqués, soit des top modèles, soit des célébrités.
Pourtant, sans les photographies de Mario Testino, Tim Walker, Alasdair McLellan, et Glen Luchford qui ont réussit à fuser l’ère numérique avec une réalité également séduisante de la mode, Vogue n’aurait jamais instauré son première site Web en 1996.
Désormais, Vogue est devenue une plateforme où circulent régulièrement des sujets imprévus, y compris le zeitgeist, les sans-abris, la rectitude politique, et même l’environment. De plus, la photo séance qui a été effectuée dans le thème de la Renaissance à Grovesnor Square nous rappelle que la mode sert d’un lien pivotal aux amateurs d’art entre les oeuvres perdues et le public contemporain. Grâce à l’assemblée logique des souvenirs encaissés, nous pouvons aussi constater l’aube et le crépuscule de chaque créateur jamais vécu. Par exemple, le portrait d’Yves Saint Laurent dans sa première collection à Paris capture un répit momentané dans le chaos du défilé.
En somme, le tour de l’exposition constitue tout ce que vous pouvez en attendre. Alors que la salle 1990’s affiche un fracassement des photos pour illustrer le luxe qui se fanait, dans la salle 1940s, vous trouverez ‘l’art de paix’. Puisque Vogue reflète le bon et mauvais de l’homme, il est essentiel de ne pas trop critiquer, mais de se réjouir de la contemplation transitoire de chaque image inimitable.