Le 9 janvier 2023, une fillette belge de 11 ans, la nièce d’un baron de la drogue belge, a été tuée par balle à Anvers, mettant en évidence la violence liée à la drogue dans cette ville. En mars, l’ONUDC a rapporté que la production mondiale de cocaïne avait atteint un niveau record. Certains analystes affirment que les Pays-Bas sont déjà pratiquement un narco-État et de plus en plus de preuves montrent que la Belgique suit le mouvement. Mais comment la Belgique est-elle devenue la capitale européenne de la cocaïne ?
En 2022, deux ans après que l’Europe a éclipsé les États-Unis pour devenir le premier marché mondial de la cocaïne, un record de 110 tonnes de cette drogue d’une valeur de 13 milliards d’euros a été saisi à Anvers, l’un des plus grands ports du continent et le deuxième plus fréquenté (après Rotterdam). Ce chiffre est en hausse par rapport aux 90 tonnes saisies en 2021. Depuis 2012, Anvers a connu une augmentation colossale du trafic de cocaïne, principalement sous l’impulsion des cartels marocains. Rotterdam est une plaque tournante de la drogue bien établie, mais des données récentes suggèrent qu’Anvers est en train d’éclipser son voisin du nord. Alors que la violence des gangs persiste, par le biais d’attentats à la bombe et d’attaques à l’arme à feu, l’ONUDC a souligné que les meurtres contractuels ont diminué – bien qu’une victime involontaire ait été tuée presque chaque année au cours de la dernière décennie. Les crises politiques et la faiblesse de l’application de la loi sont les deux principales raisons pour lesquelles les observateurs estiment que la Belgique est devenue la capitale du traffic de drogue sur le continent.
Wie Praat, Die Gaat : introduction à la Mocro Mafia
Malgré la diversité du monde criminel européen, la majeure partie de la cocaïne acheminée via Anvers et Rotterdam est gérée par ce que l’on appelle la « Mocro Mafia », un assortiment de gangs de la drogue dont le nom dérive d’une insulte néerlandaise pour les Belges et les Néerlandais d’origine marocaine. Ayant commencé par le trafic de haschisch (résine de cannabis) en provenance des montagnes du Rif, en Afrique du Nord, dans les années 1990, les gangs ont ensuite établi des liens avec les cartels de la Colombie et du Mexique – aujourd’hui, ils contrôlent un tiers du marché européen de la cocaïne. Ils exploitent l’énorme traffic de conteneurs qui arrive à Rotterdam et à Anvers, bien que des ports régionaux comme Le Havre soient également utilisés. Il est généralement admis que les criminels néerlandais, confrontés à une menace croissante de la part des forces de l’ordre ces dernières années, se sont appuyés davantage sur leurs homologues belges, de sorte que le traffic de cocaïne à Anvers a dépassé celui de Rotterdam.
Le mode de fonctionnement de la mafia, dont la devise est « Wie praat, die gaat » (« Qui parle, meurt »), consiste à établir la peur. Le premier ministre néerlandais Mark Rutte fait partie des personnalités qui ont été menacées d’assassinat et placées sous protection. Parmi les autres, on peut citer les ministres de la justice néerlandais et belge, qui ont fait l’objet de menaces d’enlèvement, ainsi que le maire d’Anvers, Bart de Wever. Selon Joris van der Aa, journaliste spécialisé dans les affaires criminelles, les cartels d’Anvers maintiennent délibérément le taux d’homicide à un niveau bas et préfèrent s’attaquer aux entreprises que leurs rivaux utilisent pour blanchir de l’argent : « ils tirent sur les bâtiments, font exploser de petites bombes – c’est un schéma de pression et de harcèlement. » Aux Pays-Bas, les gangs ont une réputation de violence effroyable et l’on pense que le célèbre journaliste néerlandais Peter R. De Vries a été abattu en plein jour en 2021 parce qu’il a soutenu Nabil B., un gangster devenu informateur qui devait témoigner dans le procès en cours à Marengo contre le tristement célèbre chef de la mafia Ridouan Taghi, arrêté il y a quatre ans. Son bras droit, Saïd Razzouki, a été arrêté à Medellin en 2020 – selon le procureur fédéral belge, depuis l’accord de paix colombien de 2016, la ‘Ndrangheta et la Mocro Mafia ont assumé davantage de responsabilités en matière d’approvisionnement et sont devenues des « acteurs majeurs à part entière du trafic de cocaïne. »
Néerlandais versus Français
« La Belgique offre aux trafiquants de drogue des conditions presque parfaites pour prospérer », selon un journaliste de The Parliament. Il explique que le bon réseau de transport, le marché unique et le fait que seulement 2 % des conteneurs à Anvers sont contrôlés, favorisent le commerce de la drogue. En outre, la ville a un penchant pour le blanchiment d’or et de diamants. Selon le chef des douanes belges, au moins 40 % des importations de cocaïne en Europe passent par Anvers. Des sources policières estiment que les taux d’interception sont de l’ordre de 10 à 25 %. Le plus gros problème de la lutte antidrogue belge est toutefois d’ordre politique et culturel. « Tout est divisé entre les populations francophones et flamandes, qui se considèrent comme des rivales et non comme une seule et même nation », explique M. van der Aa. En référence aux sept parlements belges qui affaiblissent le gouvernement fédéral, il déclare : « Les francophones ne se soucient pas des problèmes des régions flamandes et vice versa. »
Un ancien officier de la police fédérale a déclaré qu’en plus de la difficulté à coordonner les services de police régionaux, il y a un manque de volonté politique pour consacrer des ressources à l’enquête sur le produit du traffic de drogue estimé à 10 milliards d’euros par an. Il affirme qu’en raison de la longue histoire d’Anvers en matière de contrebande de diamants et d’or, la criminalité financière est si répandue qu’une enquête à ce sujet nuirait à l’économie. Un fonctionnaire local d’Anvers a affirmé en janvier que le maire de Wever étant à la tête d’un important parti séparatiste flamand, le gouvernement fédéral est moins favorable à l’envoi de ressources, d’autant plus qu’il reste concentré sur la lutte contre le terrorisme. En février, le premier ministre belge Alexander de Croo a déclaré que 17 millions d’euros par an seraient consacrés à la création d’une nouvelle force de police portuaire, à la fourniture de plus de scanners et au contrôle de 16 000 personnes occupant des fonctions « sensibles ». Selon le directeur général des douanes belges, les agents corrompus peuvent recevoir de 50 à 80 000 euros en échange d’informations.
Un Narco-État Européen ?
Le mois dernier, l’Équateur et la Belgique ont signé un protocole visant à renforcer la coopération policière, car près de la moitié des 110 tonnes saisies à Anvers provenaient de l’État sud-américain. Cet accord est intervenu peu de temps après que le gouvernement belge ai utilisé l’expression « narcoterrorisme » pour décrire la situation. En réalité, malgré l’étiquette de « narco-État », la plupart des observateurs s’accordent pour dire que la corruption n’est pas suffisamment répandue aux Pays-Bas ou en Belgique pour qu’on puisse les qualifier de narco-États. Mais ces pays sont des centres de blanchiment d’argent et l’argent est certainement le facteur le plus important à prendre en compte ici.
Le maire de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb, souhaite que les compagnies portuaires et maritimes scannent « chaque conteneur de fruits » afin de lutter contre la contrebande de cocaïne, mais cela coûte de l’argent et les compagnies seront généralement réticentes à le dépenser. En ce qui concerne le blanchiment d’argent, on sait que 16 milliards d’euros sont blanchis chaque année aux Pays-Bas et qu’en Belgique, les produits de la criminalité sont dissimulés dans des endroits tels que le marché de l’immobilier. Il semble y avoir un certain consensus sur le fait que les accords internationaux, les promesses politiques et les saisies de cocaïne dans les ports de temps à autre ne suffiront pas. En Italie, les analystes considèrent que la façon dont les mafiosos sont ciblés financièrement est une leçon à tirer. Enquêter sur la criminalité financière est un pas très important, mais c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire : selon les experts, 3 à 5 % du PIB de la plupart des villes d’Europe dépendent de l’activité criminelle et de l’économie souterraine.
Omar Khan
Sources:
Image de couverture: https://www.dw.com/en/boom-time-for-colombian-cocaine-afghan-opioids/a-39368785
https://www.theparliamentmagazine.eu/news/article/drug-trafficking-cocaine-antwerp-belgium
https://issafrica.org/iss-today/moroccos-mocro-maffia-threatens-europe-and-north-africa
https://www.theneweuropean.co.uk/belgium-breaks-bad-drugs-antwerp/
https://www.bbc.co.uk/news/world-64974346
https://www.dailymail.co.uk/news/article-10460757/Welcome-Antwerp-cocaine-capital-Europe.html
https://www.politico.eu/article/belgium-antwerp-drugs-violence-organized-crime/amp/
https://unherd.com/2023/03/how-antwerp-became-europes-drug-gateway/