Le 17 janvier 2023, le scandale qui a secoué l’UE a connu un développement spectaculaire. L’ancien député européen qui aurait dirigé le réseau criminel ayant reçu des pots-de-vin du Qatar et du Maroc a conclu un accord de plaidoyer et a accepté de tout révéler. Mais qu’est-ce que le Qatargate ? Qui sont les suspects ? Et quelles ont été les retombées politiques ?
Quelques heures avant que l’Argentine ne gagne contre les Pays-Bas au stade de Lusail au Qatar, le 9 décembre 2022, le père de la vice-présidente du Parlement européen Éva Kaïlí a été arrêté devant l’hôtel Sofitel de Bruxelles avec une valise remplie d’argent en cash. Selon le juge, Éva Kaïlí a été prise en flagrant délit, et a donc perdu son immunité. L’eurodéputée grecque a été arrêtée au milieu d’une série de raids de la police qui, au total, a saisi 1,5 million d’euros. Elle a été suspendue par l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), qui est aussi le groupe de l’ancien eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri, son collègue suspect et le chef présumé du scandale.
En résumé, Qatargate affirme que les suspects en détention ont reçu des pots-de-vin des gouvernements qatari et marocain en échange d’une influence sur l’élaboration des politiques au Parlement européen. Doha et Rabat nient ces allégations. Alors que Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, a déclaré que l’institution était « attaquée », d’autres ont souligné que le Parlement avait été affaibli par sa réticence à introduire des réformes, notamment un projet de panel d’éthique indépendant. Quatre des six personnes arrêtées ont été inculpées pour corruption, blanchiment d’argent et crime organisé – alors qui sont-ils et qui d’autre est impliqué ?
Cinq des six personnes arrêtées (à l’exception du père de Kaïlí), de gauche à droite : Kaïlí, Panzeri, Giorgi, Figà-Talamanca, Visentini [HLN / Zuma Press AFP]
Qui est impliqué dans le scandale ?
Bien que les références à des personnes « inconnues » impliquent qu’il y ait plus à révéler, les noms clés du scandale jusqu’à présent sont :
Pier Antonio Panzeri : 67 ans, député européen italien de 2004 à 2019, a fondé Fight Impunity (une ONG de défense des droits de l’homme) en 2019, et la police suspecte qu’il s’en soit servi pour faire pression sur le Qatar. Le jour de son arrestation, €600 000 et €17 000 ont été saisis à ses domiciles de Bruxelles et de Lombardie. Après que sa femme et sa fille aient toutes les deux été menacées d’extradition pour corruption et blanchiment d’argent, Panzeri a accepté d’avouer aux enquêteurs tout ce qu’il savait dans le cadre d’un accord de plaidoyer utilisant une loi conçue pour les pentiti (anciens membres de la mafia).
Éva Kaïlí : 44 ans, eurodéputée grecque depuis 2014, devenue vice-présidente du Parlement européen en 2022. Le jour de son arrestation, la police a trouvé €150 000 fourrés dans des sacs dans son appartement de Bruxelles. Elle reste en détention mais proclame son innocence, affirmant que son partenaire Francesco Giorgi a « trahi sa confiance ». Pendant la Coupe du monde, au milieu des nombreuses controverses, Kaïlí a qualifié le Qatar de « chef de file en matière de droit du travail ». EURACTIV a affirmer que Kaïlí a également voté en faveur de la libéralisation des visas du Qatar alors qu’elle n’avait pas le droit de vote (car elle ne faisait pas partie de la commission en question) – cela a déclenché une enquête qui a été éclipsée par le Qatargate.
Francesco Giorgi : 35 ans, partenaire italien d’Éva Kaïlí, ancien assistant de Panzeri avec qui il a cofondé Fight Impunity. Il est l’assistant parlementaire du député européen Andrea Cozzolino. Le 22 décembre, il a été rapporté que deux suspects liés à Giorgi ont admis avoir reçu des pots-de-vin du Qatar en échange de leur influence sur le Parlement européen. Son compte bancaire commun et celui de Kaili, ainsi que le terrain qu’ils ont acheté avec ce compte en Grèce, font l’objet d’une enquête.
Niccolo Figà-Talamanca : Italien, secrétaire général de No Peace Without Justice, une ONG de défense des droits de l’homme qui partage un bureau avec Fight Impunity. La police soupçonne son organisation d’avoir effectué des paiements à des députés européens. Il est en détention provisoire (en attente de jugement) depuis le 27 décembre.
Luca Visentini : Italien, chef de la Confédération syndicale internationale. Il a été suspendu de ce poste malgré sa libération. Il a reconnu avoir accepté €50 000 de Fight Impunity mais maintient qu’il ne s’agissait pas d’un pot-de-vin.
Marc Tarabella : Député européen belge, entré en fonction en 2004, a vu son adhésion au Parti socialiste suspendue. Le 2 janvier, le Parlement européen, influencé par les forces de l’ordre belges, lui a retiré son immunité. Panzeri affirme avoir donné à Tarabella plus de €120 000 en espèces en échange d’une coopération sur les questions qataries. Tarabella a été payé pour se rendre au Qatar en février 2020 (un voyage qu’il n’a pas déclaré) et en novembre 2022, il a parlé de « l’évolution positive » des droits de l’homme.
Andrea Cozzolino : eurodéputé italien en poste depuis 2009. Il a succédé à Panzeri en 2019 à la tête de la délégation du Parlement européen auprès de l’Union du Maghreb arabe. Giorgi, son assistant, l’a identifié comme suspect. Le Parlement décidera de lever ou non son immunité en février.
Quatre assistants d’eurodéputés (trois en exercice du S&D et un ancien du groupe PPE) ont vu leurs domiciles perquisitionnés et deux bureaux à Strasbourg ont été mis sous scellés.
L’Espion Marocain – Nom de Code M118
L’une des premières choses que Panzeri a admit lors de son interrogatoire en décembre était de travailler pour le Maroc. Le lobbying du royaume du Maroc contre le Parlement européen, sur des questions allant des droits de pêche à la migration, remonte à plusieurs années. Aujourd’hui, Qatargate a mis en lumière la relation de Panzeri avec la DGED, les services secrets marocains.
Selon De Standaard, Panzeri et le réseau, qu’il a construit pendant qu’il était député européen recevraient €50 000 par amendements, a été éliminé. Ce réseau comprendrait Kaïlí et Giorgi, avec des liens avec Tarabella et Cozzolino. L’implication de Kaïlí dans l’enquête sur le rôle du Maroc dans le scandale du logiciel espion Pegasus a été fortement critiquée. La demande d’extradition de la femme et de la fille de Panzeri (qui a été retirée depuis qu’il a signé l’accord de plaidoyer) faisait référence à des « cadeaux » d’Abderrahim Atmoun, l’ambassadeur du Maroc en Pologne. Il est maintenant entendu que, depuis 2019, Mohamed Belahrech gérait le commandement de l’opération. Belahrech, nom de code M118, est un espion marocain déjà bien connu des milieux du renseignement français et belge. En outre, Brussels Morning affirme que Panzeri et Cozzolino se sont rendus séparément à Rabat pour rencontrer le chef de la DGED. Il est important de noter que le réseau mis en place par Panzeri a été utilisé par les Qataris pour faciliter le versement des pots-de-vin révélés dans le scandale.
Que se passe-t-il ensuite ?
Cette semaine, l’avocat de Kaili a prévenu que Panzeri allait probablement dénoncer d’autres députés européens dans le cadre de son accord de plaidoyer, peut-être même des Français et des Allemands. Il a également souligné que l’accord qu’il a conclu allait probablement « s’effondrer » car il est désormais « totalement indigne de confiance et tout ce qui l’intéresse est de sauver sa femme et sa fille ». Ses propos interviennent peu après que l’autorité grecque de lutte contre le blanchiment d’argent a demandé au Panama d’enquêter sur les affaires bancaires de Kaïlí et Giorgi.
Le témoignage de Panzeri va mettre Bruxelles sens dessus dessous. À partir de là, le scandale pourrait aller n’importe où. D’autres enquêtes ont été mises en lumière, dont une sur un autre eurodéputé grec. La faiblesse de la réponse de l’UE a été critiquée. Des réformes mineures ont été proposées, mais il est clair que le scandale a révélé la vulnérabilité de l’institution. Un professeur de droit européen a déclaré que le Qatargate « restera dans l’histoire comme le plus grand et le plus dommageable des scandales politiques ». Quelle que soit la prochaine déclaration de Panzeri ou l’arrestation d’autres personnes, l’Union européenne doit procéder à des changements profonds pour améliorer son intégrité et sa transparence si elle veut vraiment s’en sortir.
Sources :
Photo de couverture: Éva Kaïlí a rencontré le ministre qatari du travail Ali bin Samikh al-Marri le 31 octobre 2022 [POLITICO / Twitter]
https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-64306691
https://greekreporter.com/2022/12/30/greece-panama-account-eva-kaili-qatargate/