Depuis quelques mois, la colère s’intensifie auprès du peuple chinois concernant les strictes mesures établies dans le cadre de la stratégie Zéro Covid. L’incendie qui a provoqué la mort de 10 personnes à Urumqi a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, l’étincelle qui a allumé la flamme. Les manifestations ont ainsi éclaté ce mois-ci, notamment à Shanghaï et Pékin, théâtres principaux du mouvement contestataire, après des mois de colère réprimée. Que va-t-il advenir de la Chine ? Quelle va être la réponse du gouvernement de Xi Jinping ? Le mouvement de la feuille blanche va-t-il obtenir les promesses qu’il quémande ? Comment la Chine va-t-elle se redresser ?
Politique zéro covid, les Chinois n’en peuvent plus
Depuis trois ans, le gouvernement applique des mesures anti-covid de plus en plus strictes, réprimant les libertés des Chinois : protocoles de surveillance, confinement, dépistages covid, pistages électroniques… les mesures s’accumulent. Ces mesures radicales prolongées ont attisé la frustration et la colère de la population au fil du temps. A Shanghai comme dans de nombreuses villes, cela fait déjà six mois qu’un confinement total a été établi et renforcé par la police, parfois violemment. Ceux qui ne respectent pas les règles sont victimes de violence et arrêtés par les forces de l’ordre qui quadrillent la ville constamment. La police sanitaire débarque sans prévenir chez les individus testés positifs et les isolent immédiatement. Les confinements se multiplient, se terminent puis sont remis en place. Chinois, comme étrangers, toute la population vit constamment dans l’incertitude, le stress et l’isolement, espérant chaque jour que cet enfer prenne fin. « Cette incertitude permanente est épuisante. Moi, j’ai envie de sortir, de voir le monde !” a témoigné une jeune femme résidant à Shanghai.
Les restrictions ont non seulement provoqué l’isolement de la population, mais aussi une crise économique, une absence de tourisme, de loisirs quelconques, des non-dits et de la censure. Le pays est en suspend et retient son souffle jusqu’à ce que le coronavirus disparaisse : c’est la stratégie zéro covid.
La Chine gronde : c’est la白纸革命 (révolution du papier blanc, Bái zhǐ gémìng)
Après des années de frustration et des mois de contestations minimes, le silence se brise et la population se fait entendre quelques jours après l’établissement du troisième mandat de Jin Ping.
Tout d’abord, les ouvriers de Foxconn, la plus grande usine d’assemblement d’Iphone d’Apple, protestent depuis le 22 novembre pour une hausse de salaires promises mais non attribuées, et contre les restrictions covid qui perturbent la production. Des vidéos témoignant des violences policières qui ont eu lieu durant les protestations ont été censurées peu de temps après leur diffusion.
À Urumqi, capital Ouïgoure dans le Xinjiang, un incendie a causé une dizaine de morts le 24 novembre, notamment à cause de mesures anti-covid qui ont empêché les secours d’arriver à temps pour cause d’issues de secours cadenassées. Immédiatement, les Chinois se sont révoltés. A Shanghaï, dans la rue Wulumuqi, nom mandarin pour Urumqi, les manifestations ont débutées à l’aube du 26 novembre dernier. Des centaines de Shanghaïens ont rejoint la dizaine de jeunes qui avaient débuté la révolte, et se sont rassemblés pour protester, brandissant des feuilles blanches symbolisant la censure et les non-dits, et scandant des slogans anti-gouvernementaux tels que « Xi Jinping, démission ! » ou « Pas d’empereur, pas de règne à vie ».

Les protestations se sont propagées, notamment à Nankin ou encore Pékin où des étudiants ont manifesté devant l’université Tsinghua ou Jinping a étudié auparavant.
On observe ainsi que les jeunes dirigent ces mouvements de contestations. A Shanghai, Pékin ou Wuhan, les jeunes se rassemblent, peu importe s’ils sont 2 ou 10, pour protester et son vite rejoint par les populations. Des centaines et des centaines de chinois hurlent à la liberté. Ceci est d’autant plus étonnant car les Chinois ne sont pas connus pour exprimer leur colère et leur peine, notamment car les manifestations sont interdites, tut et censurées par la puissance de la dictature de Jinping. Il n’est pas non plus d’usage pour les Chinois d’évoquer verbalement leur support aux Ouigours, mais désormais ils ne le cachent plus : « Nous sommes tous des gens du Xinjiang ! Allez le peuple chinois ! ».
A l’internationale, des protestations ont lieu devant les ambassades de Chine. L’étincelle s’est transformée en incendie d’une amplitude sans précédent. Les populations sont conscientes de franchir les limites en s’exprimant aussi crûment et franchement sur Jinping et son gouvernement, mais trop était trop, ils ne pouvaient plus se taire.
La réponse de Xi Jinping
Durant ces manifestations, la police intervient en tentant d’apaiser les émeutes et en embarquant certains manifestants à l’aide de coups de bâtons. Les vidéos et photos diffusées sont également censurées par le gouvernement ou par la police qui va directement exiger que le contenu soit effacé des téléphones. Les mots « Shanghai » et « Urumqi » sont ajoutés à la liste de mots censurés, ainsi que « A4 ». Les utilisateurs doivent ruser pour diffuser leurs images, et contournent la censure en utilisant le terme « A3 » par exemple, et nombreux utilisent les réseaux sociaux étrangers tels que Twitter ou Facebook comme plateformes.
Xi Jinping n’a jamais eu à faire face à un défi d’une telle magnitude. En réponse aux manifestations, le gouvernement n’a qu’offert de subtils changements de tons. Par exemple, une accélération de la vaccination des seniors a été annoncée. Cependant, les protestations anti-covid ayant viré en manifestations à caractère politique, le gouvernement n’estime pas encore que la solution serait d’atténuer les mesures. Jinping fait face a un dilemme : s’assouplir ou s’affirmer ?
Réactions internationales
Les protestations ont suscité des réactions à l’international, notamment lorsqu’un journaliste de la BBC, Ed Lawrence, a été arrêté à Shanghai par la police et prétendument battu. Ces évènements remettent en question les relations des instances internationales avec la Chine qui sont déjà assez fragiles. Mais ces instances priorisent la guerre en Ukraine et ne sont pas décidées sur la question de la Chine. Quel jugement va être attribuer à la Chine ?
Ainsi, ce mouvement de contestation d’abord anti-covid mais vite devenu anti-gouvernemental, symbolisé par la feuille blanche, est sans précédent. Quel va être la réaction de Jinping et quelles vont être les conséquences sur la population ? Ce mouvement à caractère politique fait écho aux évènements de Tian’an’men en 1989…
Mise à jour du 5 décembre:
Suite aux manifestations, les premiers signes d’allègement des mesures sanitaires ont émergés. En effet, les autorités chinoises ont annoncé debut Décembre que le pays entrait dans une nouvelle phase de lutte contre le coronavirus. Des restrictions se sont assouplies et des confinements ont été levés tels que dans les 11 districts de Canton, à l’exception de quelques quartiers à risque. Dans certaines ville comme Pékin ou Canton, certains cas contacts auront la possibilité de se confiner à domicile. La vice-première ministre chinoise, Sun Chunlan, a annoncé: « Alors que le variant Omicron devient moins pathogène, que plus de gens sont vaccinés et que notre expérience en matière de prévention du Covid-19 a progressé, notre combat contre la pandémie arrive à une nouvelle étape« . Ainsi, une transition a débuté, mais s’annonce difficile. Il ne suffit pas d’alléger les restrictions, la Chine va devoir changer de mentalité en passant d’une stratégie zéro covid à une stratégie visant l’immunité collective. Ce processus va être long et compliqué, et va exiger que la population et le gouvernement soit en accord. Les habitants doivent adoptent une mentalité d’immunité collective en allant se faire vacciner, ce qui pour l’instant n’est pas le cas, avec seulement 45% des 80+ ayant obtenu une 3e dose. Ainsi, le vent tourne et la Chine débute son immersion vers l’immunité collective. On espère que le gouvernement redoublera d’efforts et changera radicalement de mentalité.
Tiphaine Gourgues
Sources
Photo de couverture: Des manifestants tenant des feuilles blanches en signe de protestation contre la censure liée au coronavirus / REUTERS
https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-china-63779250
https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-china-63788477