Des gens vont mourir. L’ONU a prévenu que près de 20 000 personnes risquent de mourir de faim dans un contexte de violence intense entre gangs, d’épidémie de cholera et d’effondrement quasi-total de l’ordre public. Est-ce la pire crise de l’histoire d’Haïti ?
Le Terminal Varreux à Port-au-Prince est le plus grand terminal de carburant du pays et le cœur battant de l’économie appauvrie d’Haïti, vital pour la nourriture et d’autres fournitures essentielles. En le bloquant et en prenant le contrôle des principales autoroutes, de puissants gangs étouffent lentement la vie de la nation, empêchant l’accès à l’eau potable, au carburant, à la nourriture et à tout semblant de sécurité. Haïti souffre d’une instabilité chronique et de catastrophes naturelles dévastatrices depuis de nombreuses décennies, et les gangs ont toujours eu une présence intimidante dans la politique, tant nationale que locale. En effet, depuis la dictature de François Duvalier, le statu quo en Haïti est que les politiciens utilisent les gangs pour supprimer les opposants et faire respecter l’ordre dans les quartiers pauvres.
Mais depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 par des mercenaires, les gangs ont saisi leur chance de devenir ceux qui tirent les ficelles. Les guerres intestines se sont intensifiées, faisant des centaines de morts dont 209 en seulement dix jours en juillet dernier. Cela a exacerbé la crise humanitaire. 4,7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Sans aucun signe d’arrêt des violences, quelle a été la réponse ? Qui sont ces gangs qui détiennent un pouvoir aussi immense ? Et quel espoir y-a-t-il pour l’avenir ?
Sans Peur Et Sans Pitié
Le 15 octobre 2022, Jimmy « Barbecue » Cherizier, leader de la puissante coalition de gangs G9, a présenté ses revendications au gouvernement. Le mois dernier, il a pris le contrôle de Varreux lorsque le premier ministre et président Ariel Henry a mis fin aux subventions sur le carburant, provoquant une colère généralisée. Cherizier a proposé un « Conseil des Sages » pour stabiliser le pays et a même demandé un rôle au sein du cabinet.
Mais le G9 n’est pas la seule menace. G-PEP, dirigé par la rivale de Cherizier, Gabrielle « Ti Gabriel » Jean-Pierre, est une autre puissante fédération de gangs qui se disputent le contrôle du territoire. S’étant allié au tristement célèbre gang des 400 Mawozo en mai, après l’extradition de leur chef (alias « Yonyon ») vers les États-Unis, G-PEP a pu rivaliser avec G9 et les deux groupes se sont livrés à une guerre brutale concentrée dans la région de Port-au-Prince mais menaçant de s’étendre au-delà. Un homme qui a fui sa zone, jusqu’alors sûre, avec sa femme et ses enfants, a déclaré que les gangs « prennent ce qu’ils veulent maintenant. Ils n’ont pas peur et ils n’ont pas de pitié. » Il faut noter, bien qu’en guerre avec la police, que les gangs ont toujours des liens avec les partis politiques – G9 était associé au Tèt Kale de Moïse et G-PEP au mouvement d’opposition Lavalas.
Avec plus de 200 groupes armés, dont les plus importants sont liés à des politiciens corrompus, la police, sous-financée, est confrontée à une tâche impossible. Dans les zones rurales, des gangs brutaux mais organisés comme Kokorat San Ras ont tué des officiers et dans les zones urbaines, les infrastructures clés sont prises pour cible, comme la minoterie ayant accès à la Route Nationale 1 qui a été attaquée par le gang 5 Seconds (lié à G-PEP). C’est ainsi que les gangs gagnent leur argent. Avec des connexions internationales limitées, la plupart des gangs organisent des rackets de protection, des enlèvements avec une demande de rançon, des vols sur les autoroutes ou des prix exorbitants pour les fournitures de base.
Sur le territoire d’un gang, la seule loi est celle de l’homme armé.
Un enfant subit un dépistage de la malnutrition. Un représentant de l’UNICEF a déclaré qu’« un tiers des personnes souffrant du choléra a moins de cinq ans. » [UNICEF]
Eau Mortelle
L’ONU a signalé l’utilisation du viol comme une arme dans les gangs. D’innombrables cas de violence sexuelles obscènes ont été constatés, et la plupart des victimes, principalement des femmes et des jeunes enfants, ont trop peur de se manifester. La violence a entrainé l’arrêt des approvisionnements essentiels. Aujourd’hui, 20 000 personnes à Cité Soleil, un point chaud de la guerre entre le G9 et le G-PEP, risquent de mourir de faim. L’accès à l’eau potable étant limité, une nouvelle épidémie de choléra inquiète de nombreux observateurs. Malgré l’existence d’un vaccin, dans des régions appauvries et sans loi, la situation est désespérée. Près de 100 000 enfants de moins de cinq ans sont particulièrement vulnérables au choléra selon l’UNICEF. Au 14 octobre, on comptait 32 cas confirmés, des dizaines d’autres non confirmés et 16 décès.
Un Crime Perpétré Par La Police
Quelle est donc la solution du gouvernement ? Laisser quelqu’un d’autre régler le problème. Lorsque Henry a demandé à une force internationale, comme les casques bleus de l’ONU, d’entrer et de maîtriser la situation des gangs, des centaines d’Haïtiens sont descendus dans les rues pour protester. Si l’on considère que la dernière épidémie de choléra, en 2010, a été provoquée par le camp des casques bleus, faisant plus de 10 000 victimes (ce dont l’ONU nie la responsabilité), la méfiance de la population est compréhensible. Et s’ils n’aimaient pas le gouvernement avant la manifestation, ils l’ont encore moins apprécié après. La police a répondu violemment en tuant une jeune femme. « C’est un crime perpétré par la police », a déclaré un manifestant. Bien que la situation semble désastreuse, le fait que tant d’Haïtiens aient fait entendre leur voix prouve que le changement est possible. Tant qu’il y a des gens qui réclament la justice et la démocratie, il y a de l’espoir.
Omar Khan
Photo de couverture: Membres de la puissante coalition de gangs G9 dirigée par l’ancien policier Jimmy « Barbecue » Cherizier [Rodrigo Abd / AP]
Sources:
Haiti: People will die as country nears breaking point – UN – BBC News
Haiti: ‘Rape has become a weapon’ for gangs, says UN | CNN
Haiti gang makes demands in test of power with government | AP News
‘They have no fear and no mercy’: gang rule engulfs Haitian capital | Haiti | The Guardian
Haitians protest against government call for foreign forces | Protests News | Al Jazeera