En Février 1887, l’empire Britannique attaque le royaume du Bénin, aujourd’hui le Nigéria, dans une politique d’expansion coloniale. Après avoir vaincu la population et exilé le roi, les forces britanniques ont pillé des milliers d’objets faisant partie du trésor royal. Cette collection d’objets était constituée d’une variété d’artéfacts allant de plaques de laiton, de défenses d’éléphant sculpté, de statues de léopard d’ivoire et de têtes en bois. Ces objets ont été soit transportés au Royaume-Uni comme ‘butin de guerre‘ officiel ou partagés entre les participants de l’expédition en fonction de leur statut. Cette variété d’objet est aujourd’hui définie par “Bronzes du Bénin”. La majorité des plus grandes institutions culturelles occidentales en possède une partie, que ce soit le musée du quai Branly en France, le Musée national d’art africain du Smithsonian Institute, en passant par l’Allemagne. Cependant, le musée possédant la plus grande partie de ces artefacts reste le British Museum à Londres, qui compte environ 900 articles de l’ancien Royaume du Bénin, dont plus de 100 sont exposés en permanence dans les galeries.
Depuis quelques années, le domaine culturel est ébranlé par des réclamations de rapatriement d’objets volés dans un contexte colonial violent. Beaucoup de musées sont confrontés à une contestation de leurs collections qui, bien que présentées comme neutres, ont été créées dans le but de promouvoir le pouvoir et la suprématie des nations coloniales. Ainsi, après les protestations de Black Lives Matter en 2020, et un nouvel accent sur l’histoire coloniale de l’Europe, le retour des bronzes du Bénin est devenu une urgence et un débat central. Ainsi, en novembre 2021, le Metropolitan Museum of Art de New York a finalisé le retour de trois œuvres béninoises au Bénin et la France et les Pays-Bas ont promis de rendre tous les objets coloniaux à leurs propriétaires légitimes. En avril 2021, l’Allemagne, qui détient la deuxième plus grande collection de bronzes béninois au monde, a déclaré qu’elle rendrait tous les bronzes pillés dans ses collections publiques d’ici la fin de 2022. Fin février 2022, le Smithsonian Institute à Washington DC a déclaré le rapatriement imminent de la quasi-totalité de sa collection de Bronzes du Bénin. La base de données en ligne du musée répertorie 38 objets du Bénin dans la collection dont environ la moitié avait été attribuée à l’expédition punitive britannique au Bénin en 1897 lorsque les troupes ont pillé le palais royal. Une recherche sur la provenance d’autres articles est toujours en cours. Par conséquent, 21 objets béninois du Smithsonian doivent être exposés au Musée national du Bénin à Benin City, mais certaines œuvres pourraient rester à Washington en prêt à long terme du Nigeria, a déclaré Kevin Gover, sous-secrétaire aux musées et à la culture au Smithsonian, au New York Times. Des expositions conjointes et des programmes éducatifs font également partie d’un projet de partenariat à long terme entre le Smithsonian et le Musée national du Bénin. Entre-temps, un nouveau groupe de travail sur les retours éthiques a été mis sur pied par le Smithsonian et élabore une politique de dédommagement à l’échelle de l’institution.
Ce dernier rebondissement met une fois de plus en exergue l’inaction du British Museum, un musée pourtant natif de la nation responsable de ce pillage d’objets précieux. Le musée a récemment reconnu l’acquisition douteuse de ses objets en érigeant une plaque expliquant la provenance des bronzes dans le musée, et affirme sur son site que “Le Musée s’engage à collaborer activement avec les institutions nigérianes au sujet des bronzes béninois, notamment en poursuivant et en soutenant de nouvelles initiatives élaborées en collaboration avec des partenaires et des collègues nigérians.”. L’institution est également en pourparlers avec les autorités nigérianes pour prêter des objets béninois au Musée d’art ouest-africain d’Edo à Benin City, dans le cadre d’une coalition plus large d’institutions européennes connue sous le nom de Groupe de dialogue béninois. Cependant, aucun rapatriement n’est évoqué pour l’instant. Mais pourquoi cette inaction de la part du British Museum?
Depuis des décennies, les collectionneurs britanniques ont répété les mêmes arguments pour conserver les bronzes, citant le manque de sécurité ou le manque de connaissances au Nigeria – des raisonnements liés aux attitudes paternalistes et condescendantes du passé impérial britannique. Le British Museum est également protégé par la British Museum Act, une loi de 1963 qui interdit au musée de disposer de ses biens en dehors de certaines circonstances. Au-delà des attitudes néocoloniales, le raisonnement du British Museum pourrait être que le rapatriement des bronzes engendrerait une vague de demandes de rapatriement alors que les collections de musées londoniens majeurs comme le Victoria and Albert Museum (V&A), la Wallace Collection, et évidemment le British Museum, regorgent d’artefacts accumulés au plus fort de l’Empire britannique. Il est vrai que sans ces objets, leurs collections seraient bien vides.
Considérant la dernière action du Smithsonian et le contexte politique dans lequel nous évoluons, il serait peut-être temps pour les officiels du British Museum de se demander, comme Kevin Gover, sous-secrétaire pour les musées et la culture au Smithsonian: «Depuis longtemps, nous sommes tout à fait convaincus que si nous avions un titre légal sur un objet, nous avions certainement le droit de le conserver et de nous en occuper », a-t-il dit. Mais maintenant, a-t-il ajouté, « il nous faut aller au-delà du titre légal et nous demander si nous devrions être propriétaires de ces objets, sachant les circonstances dans lesquelles ils ont été acquis ».
Apolline Amaudric
Pour aller plus loin:
Articles:
- “This Art Was Looted 123 Years Ago. Will It Ever Be Returned?” -New York Times, October 2021
- “In the West, the Looted Bronzes Are Museum Pieces. In Nigeria, ‘They Are Our Ancestors.”; New York Times, June 2021
Podcast:
- “The British Museum Unfiltered Tour” by VICE
Photo de couverture: Exposition de bronzes béninois au British Museum. Wikipedia.