Pour le Président Poutine, la guerre en Ukraine est un conflit difficile à justifier auprès de la population russe. Personne ne s’expose volontairement et par choix à la souffrance et la mort, sans avoir une très bonne raison. Dans ce contexte, la machine de propagande devient un instrument plus que jamais essentiel pour persuader le public de l’utilité d’envahir l’Ukraine et pour maintenir au minimum l’apparence d’un consensus.
La propagande et rhétorique de Poutine
La nécessité de « dénazifier » l’Ukraine, pays ironiquement gouverné par un président juif, paraît plutôt grotesque aux spectateurs européens qui se sont réveillés avec le discours du Président Poutine le 24 Février. Surtout quand on considère que selon l’indice de démocratie de 2021 la Russie se place à la 125e position et est catégorisée comme un régime autoritaire. Par contre, l’Ukraine est à 87ème place : loin d’être une démocratie parfaite, le pays est classifié comme un « régime hybride » mais très proche des « démocraties imparfaites ». Même avec un régime imparfait, l’accusation d’une Ukraine nazie semble complètement absurde.
Ce type d’accusation abusive et maline n’est pas une nouvelle ruse. La diffamation était déjà très courante au temps de l’Union Soviétique, comme on le voit par exemple dans l’historiographie qui légitimise le pacte Molotov-Ribbentrop. « La Russie est la victime de l’Occident » soutient le diplomate soviétique Valentin Falin. La supposée grande force nazie et expansionniste de la Pologne des années 1930 est selon le Président Poutine une des causes principales de la Seconde Guerre mondiale. La Pologne s’oppose fortement à cette affirmation, à tel point qu’elle a déclaré illégale d’associer des polonais avec la collaboration nazie et la Shoah.
La traditionnelle rhétorique du Kremlin des dernières décennies est toujours la même : les Russes sont prêts à tout pour se sauvegarder des expansionnistes et impérialistes occidentaux. La Russie est gravement menacée et encerclée par une machination commune de ses ennemis, avec le monstre de la « propagande occidentale » incitant à la haine et à la russophobie. La Russie s’est historiquement toujours affichée comme combattante contre le nazi-fascisme.
Ce n’est pas un hasard si les parades pour le Jour de la Victoire du 9 mai ont obtenu des budgets de plus en plus élevés sous l’aile de Poutine. En parallèle, le régiment Azov, un bataillon ukrainien accusé de compter des néonazis dans ces rangs, est montré du doigt comme un exemple du nazisme en Ukraine, que le peuple russe doit combattre.
L’histoire du bataillon Azov est répétée sans cesse dès les premiers moments du conflit en Donbass. Moscou montre une vérité différente de celle présentée en dehors de Russie : beaucoup de crimes perpétrés dans les régions indépendantistes de Lougansk et Donetsk sont mis en scène ou masqués par la propagande russe. Et même s’il y a vraiment des atrocités, elles sont présentées comme l’œuvre desUkrainiens, des nazis, et des groupes supportés par l’OTAN.
Selon le discours russe, c’est le complot transatlantique qui a lavé le cerveau de la population pour leur faire croire en une identité ukrainienne indépendante. Les opposants de cette idée peuvent seulement être des agents secrets payés par l’Ouest. « Je ne renoncerai jamais à l’idée que Russe et Ukrainiens sont la même nation » dit Poutine. Et toutes les nations russes ont un seul et même dirigeant, qui s’assoit au Kremlin.
Un vieux discours remis au goût du jour
Les idées avancées par le président russes ne sont pas du tout neuves. Mais il y a tout de même des nouveautés. Selon la propagande russe, les infiltrés sont maintenant devenus tellement nombreux et dangereux qu’ils ont décidé de saisir le pouvoir. Ils conspirent avec les nazis contre l’« opération militaire spéciale » lancée par la Russie. Pour justifier la censure imposée par la Russie, la narrative avancée est que la campagne de désinformation de l’ennemii cause la radicalisation nazie, le terrorisme et même le « génocide » des russes en Donbass.
La liste des chaînes et journaux qui sont catalogués comme « terroristes » croît de plus en plus. La nuit du 4 mars Facebook, App Store, Google Play, Radio Liberté, BBC Russie, Deutsche Welle, DOXA, Nastojaščee Vremja, The New York Times et le journal Médusa ont rejoint la liste russe des médias censurés. La loi sur les « fake news » sur la guerre menace jusqu’à 15 ans de captivité pour quiconque répand de « fausse nouvelles sur l’opération spéciale en Ukraine ». Novaya Gazeta, l’Echo de Moscou, Dojd et même Tik-Tok ont décidé d’arrêter la majorité de leur activité en Russie. Plusieurs chaînes YouTube (comme celle de Vladimir Solovev) sont bloquées. Suite logique, les artistes et chanteurs dissidents sont aussi visés.
Après que la Russie ait accusé Meta d’avoir relaxé la réglementation pour inciter à la haine contre les Russes, le géant Meta a été bloqué entièrement. Instagram a suivi. Virtuellement, il n’y a plus de chaines d’information légales qui s’opposent au régime. Quantifier combien de gens oppose réellement la guerre en Russie et ce que le public en pense devient alors presque impossible. En même temps, l’Union Européenne et le Royaume Unis ont étonnamment bloqué la plus grande chaîne internationale pro-Poutine Russe : RT (Russia Today). Paradoxalement, ils ont aussi publié un guide sur comment éluder les restrictions via Tor, VPN ou app.
L’Opposition Médiatique en Russie
« Ça c’est la dernière transmission de la saison. Nous sommes obligés de fermer la chaîne pour l’heure, mais je suis sûre qu’on va y retourner encore une fois. Non à la guerre » dit la fondatrice de la chaîne TV opposant le régime, Natalia Valdimirovna Sindeïeva en direct. Les images du PDG qui quitte le studio télévisé avec son équipe sont devenues virales. La journaliste avait déjà confirmé ses intentions de continuer les activités d’informations indépendantes pendant sa visite à UCL le 27 février, malgré les dangers.
Mais Sindeïeva n’est pas la seule à utiliser les médias pour se rebeller. Une journaliste de la première chaîne fédérale Marina Ovsiannikova a publié une vidéo dans laquelle elle dénonce les activités du Kremlin et affirme d’avoir honte d’avoir travaillé pour un médium de propagande belliciste. Son apparition en directe avec l’affiche “Russians against war” a aussi fait retentissement.
Malheureusement pour eux, le gouvernement de Poutine ne remue pas. Pour les Russes cosmopolitans habitués à un certain niveau d’intégration avec la communauté internationale et occidentale, c’est une tragédie. Forcés à assister à la dissolution de l’ouverture libérale post-URSS, ils sont témoins de la fin (temporaire ou définitive) d’une époque. L’isolationnisme frappe encore une fois le plus grand pays du monde.
Leonardo Luciano
Photo de couverture: Marina Ovsiannikova, éditrice pour le média « Première Chaine », proteste en direct sur la chaine du régime: « Non à la guerre. Arrêtez de croire la propagande. Ici ils vous mentent. Les Russes sont contre la guerre »