Hausse des prix de l’énergie en France

Depuis quelques mois, les médias s’escriment sur les termes “inflation”, “hausse des prix de l’énergie”, “chèques inflation”, ou encore “goulet d’étranglement”. Mais pour une génération d’européens qui n’a connu qu’une inflation plus ou moins stable (target 2-3% atteint depuis 2002 en Zone Euro), ces mots ne représentent pas grand chose… 

On revient sur les causes derrières la hausse des prix de l’énergie, ce qu’ils impliquent pour le reste de l’économie et les solutions proposées par economistes et policy makers. 

La Théorie : Qu’est ce que l’inflation? Quand est-ce qu’il y en a trop?

Tout d’abord, l’inflation se définit comme une augmentation du prix moyen du panier français; “L’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix” (Insee 2022). 

Il faut savoir avant toute chose qu’on considère maintenant comme acquis qu’un taux positif faible d’inflation est bénéfique quand il est contrôlé. Cela permet en effet de fluidifier les négociations de salaires particulièrement lorsqu’ils sont revus à la baisse.

La menace de l’inflation intervient en général quand les acteurs d’une économie ne font plus confiance aux banques centrales pour freiner cette augmentation des prix. 

3 déroulements sont possibles. Si les prix montent et qu’il y’a frayeur que cette inflation perdure, les salariés demanderont des salaires plus élevés pour compenser cette perte de pouvoir d’achat. Leurs employeurs, les entreprises, devront à leur tour augmenter leur prix pour continuer à faire un profit constant. Et ce ainsi de suite : une spirale inflationniste.

Cependant, les Banques Centrales ont parmi leurs objectifs de maintenir une inflation stable et peuvent utiliser certains outils et mécanismes pour contrôler cette hausse des prix, la rendant ainsi temporaire. Si la hausse n’est que temporaire et contrôlée, on en restera là et les prix retomberont à la période suivante. 

La troisième possibilité est celle d’un changement structurel : les prix montent d’une période à l’autre mais ne retomberont pas car ils sont porteurs d’un message exogène. Par exemple : le degré de compétition entre les entreprises a drastiquement baissé, ou les taxes ont augmenté. 

L’inflation que connaît le monde développé en ce moment prend sa source dans diverses industries : la pénurie de semi-conducteurs, l’inflation salariale dans le milieu restaurateur ou encore la hausse des prix de l’électricité et du gaz, entre autres.

Cet article se concentre sur ce dernier facteur et observe les causes de cette inflation des prix de l’énergie, les conséquences sur les consommateurs et les solutions proposées.

La question : l’inflation des prix de l’énergie que connaît l’Europe en ce moment peut-elle et va-t-elle dégénérer? 

La pratique 

Inflation USA : 7% ; UE : 5% ; France : 2.8% (Janvier 2022)

Si les prix de l’énergie connaissent une forte augmentation ces derniers temps c’est pour plusieurs raisons. La première, et sans doute la moins inquiétante, est la suivante : l’économie post-pandémie reprend. Après près de deux ans en fonctionnement faible pour des économies majoritairement en confinement ou aux activités réduites, les industries énergétiques mettent du temps à repartir. En attendant qu’elles recommencent toutes à fonctionner à plein régime, il y a donc plus de demande que d’offre pour l’énergie. C‘est le cas pour beaucoup de secteurs dans l’ensemble de l’économie qui peinent à repartir. On appelle cela des goulets d’étranglement et ce n’est généralement que temporaire.

Cependant, cela n’est pas tout. On parle en particulier de l’augmentation des prix du gaz, et donc des prix de l’électricité fournie par les centrales à gaz (à ce jour plus de 20% sur le marché européen). La production de gaz a été ralentie en mer du nord par des arrêts techniques d’infrastructures, retardés l’an dernier à cause de la pandémie. C’est donc la Russie qui détient la plus grosse portion de la production de gaz en ce moment, ainsi que montré ci-dessous par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Et en particulier Gazprom, le géant russe du secteur, qui détient le monopole des exportations vers l’Europe par gazoduc. Des travaux sur leur nouveau gazoduc, Nord Stream 2, retardant sa mise en fonctionnement, ont prétendument encore contribué à la baisse de production et donc à la hausse des prix du gaz… et de ceux de l’électricité.

source: Commission de Régulation de l’énergie

Côté sources d’énergie alternatives, les centrales nucléaires françaises sont elles aussi en réparation. On a remarqué une anomalie sur certains des réacteurs les plus productifs. Le 31 Décembre, 17 des 56 réacteurs français étaient à l’arrêt. Dans ces conditions, la France se trouve fréquemment en situation d’import d’électricité depuis le mois de novembre, alors qu’elle est généralement exportatrice. RTE, le Gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité, précise que cette situation « contribue à l’augmentation des prix de marché » et ajoute que son réseau est « fortement interconnecté avec ses voisins ». Par dessus le marché, l’anticyclone qui traverse l’Europe en ce moment a empêché les éoliennes du nord de l’Europe d’atteindre leur production habituelle.  

Enfin, on met en cause les régulations pour la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, le prix de la tonne de CO2, ou « droit à polluer », a augmenté ces derniers mois, ce qui fait progresser la consommation de gaz pour la production d’électricité au détriment du charbon, augmentant ainsi le prix du gaz et donc de l’électricité produite. 

Bref, vous l’aurez compris, un enchaînement de coïncidences et de changements plus structurels qui ont fait monter les prix du gaz et de l’électricité en flèche. 

On anticipe deux scénarios. 

Le premier et le moins inquiétant, ainsi qu’expliqué plus haut, est celui d’un mouvement des prix temporaires. Des goulets d’étranglement et des coincidences qui ont causé une hausse des prix momentanée. Les Banques Centrales devraient pouvoir gérer cette hausse en l’empêchant d’évoluer en spirale inflationniste. Ainsi, les économies reviendraient aux prix pré-pandémie. 

Le deuxième scénario est le suivant : cette hausse des prix est structurelle et est dûe à un vieillissement de la population, des mouvements protectionnistes anti-globalisation, ou encore, à la décarbonisation de l’économie. Dans ce deuxième cas, les prix resteront hauts de manière permanente. En réponse à ces prix, les agents économiques n’auront d’autres choix que de consommer moins d’énergie ou de se tourner vers des modes de productions alternatifs. Cependant, la période de transition sera une période difficile car peu pourront se permettre l’achat d’énergie.

Dans les deux cas, ces mouvements de l’économie se produiront moyennant une plus grande précarité pour ceux qui ont dû consacrer une plus grande partie de leur budget à l’énergie cette année. En Octobre 2021, 12% des ménages (4 Millions) étaient en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire, consacrant plus de 8% de leur revenu aux dépenses d’énergie. 

Concrètement, ça veut dire quoi pour le consommateur?

En 2007, la France a connu une libéralisation du marché de l’énergie. EDF, qui était précédemment le seul fournisseur sur le marché, devient coté en bourse et perd son statut de monopole public, bien que détenu encore à ce jour à 83,68 % par l’État. Apparaissent alors les autres plus petits fournisseurs, dits alternatifs. Pourquoi avoir libéralisé? Pour tirer les prix vers le bas grâce à une plus forte concurrence. 

EDF produit en grande partie sa propre électricité et est donc en théorie moins vulnérable aux changements du cours de l’énergie sur le marché de gros européen contrairement aux petits fournisseurs qui achètent leur énergie. Ceci est à nuancer durant cette période particulière, étant donné les niveaux de production historiquement bas du parc nucléaire français de par les arrêts techniques. Par ailleurs, les tarifs d’EDF (dits TRV) sont fixés par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), organisme dans lequel l’Etat garde une influence certaine. 

A savoir : En France, la plupart des contrats sont à prix fixes (pas d’évolution au cours de la durée du contrat). En conséquence, cette hausse des prix n’affecte que les consommateurs qui ont des contrats suivant le marché de gros. Pour les contrats à prix fixes, ce sont les fournisseurs qui supportent le coût de cette hausse. 

Les conséquences de cette hausse sur le marché de l’énergie français sont donc principalement pour les consommateurs aux contrats à prix variables et la faillite des fournisseurs alternatifs. Au UK, on dénombre déjà 19 faillites tandis qu’en France, le redressement judiciaire d’Hydroption fait beaucoup parler. Hydropotion a pour clients, entre autres, le Parc des Princes, la ville de Paris et les supermarchés Aldi. Par décret, le gouvernement a déclaré qu’en cas de faillite d’un fournisseur alternatif, EDF était désigné comme remplacement : il n’y a donc rien à craindre du côté des coupures d’électricité. 

 Quelles solutions ont été privilégiées par l’Etat pour faire face à ces problèmes? 

Pour aider les foyers les plus modestes à payer leurs factures d’électricité, l’Etat a introduit les “Chèques énergie”. Selon le site service-public.fr, “L’indemnité inflation est une aide exceptionnelle et individuelle de 100 € qui sera versée à 38 millions de personnes résidant en France, pour préserver leur pouvoir d’achat face à la forte hausse du coût des énergies. … Le versement de l’indemnité inflation a débuté le 13 décembre pour les étudiants boursiers.” Ce chèque intervient donc comme une solution au problème expliqué ci-dessus : la hausse de la précarité pour ceux forcés de débourser une plus grosse part de leur budget, sans qu’ils exigent nécessairement de plus hauts salaires (menant à une pression inflationniste). 

La deuxième grande mesure de l’Automne 2021, c’est le plafonnement des TRV de l’électricité. La CRE prévoyait une hausse jamais vue à appliquer au 1er février 2022 : les TRV pour les particuliers augmenteraient de +44,5 %. Bercy a prévu de bloquer cette hausse à 4% maximum pour limiter l’impact de la crise des prix sur la facture d’électricité des consommateurs. 

En plafonnant la hausse des prix, Bercy tente là aussi de protéger le pouvoir d’achat des français et protéger l’économie de pressions inflationnistes. Cependant, cette mesure empêche les prix d’être perçus comme les messages exogènes qu’ils seraient si les bouleversements que notre économie vit en ce moment étaient effectivement structurels. Ces mesures font donc beaucoup polémique parmi les économistes. 

Pour conclure, rappelons donc les raisons derrière cette hausse des prix de l’électricité : un parc nucléaire français en rénovation, un anticyclone européen, des gazoducs norvégiens en réparation, des centrales thermiques qui peinent à repartir, et les coûts des “droits à polluer” en augmentation. Autant de raisons qui sont à la fois conjoncturelles et structurelles. Les conséquences de cette hausse sur le consommateur sont moindres puisque la plupart ont des contrats longs à prix fixes mais le coût doit être supporté par le fournisseur : si ce n’est pas le cas, cette hausse entraîne leur faillite. Les solutions proposées par l’état sont le chèque inflation pour les foyers les plus modestes ainsi qu’un plafonnement des prix régulés d’EDF, maintenant ainsi le pouvoir d’achat français. 

Nous explorerons dans un prochain article pourquoi ce plafonnement des TRV fait polémique, les conséquences du conflit Ukrainien qui se profile sur le marché de l’énergie, et les raisons derrière les appels des syndicats d’EDF à faire grève. 

Zoé Boleslawski

Photo de couverture: https://www.challenges.fr/finance-et-marche/edf-veut-compenser-l-erosion-de-ses-parts-de-marche-en-france_728525

Pour en savoir plus:

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