« 9 Jours à Raqqa »: La Femme, La Vie, La Liberté

“Je voulais aller plus loin que la sidération, je voulais mettre un cri sur ces ruines” déclare le réalisateur Xavier de Lausanne à l’avant-première de son film bouleversant 9 jours à Raqqa, premier volet d’une trilogie. C’est en 2019 que tout commence, quand la journaliste Marine de Tilly décide de se pencher sur le destin hors-norme de Leïla Mustapha, la jeune kurde musulmane sunnite qui, à 30 ans, est la nouvelle maire de Raqqa. Ingénieure en génie civile, c’est elle qui s’est vue attribuer la tâche incommensurable de reconstruire sa ville, détruite à 80% par 40 ans de dictature, mais surtout par une révolution ratée, huit ans de guerre et trois ans de califat. A travers le récit de Marine de Tilly, Xavier de Lausanne nous transporte dans une ville qui pendant trois ans a vécu l’horreur de Daesh: les lapidations, les viols, les exécutions, les décapitaions, la torture publique, la misère la peur, puis enfin la libération mais aussi et surtout la mort, pendant ce combat acharné mené par les forces démocratiques syriennes et les coallitions internationales.

Comme Leïla le décrit, à la libération il y a la joie et les larmes mais il y a aussi et surtout le choc. Le choc des habitants de revenir dans ces rues qu’ils ne reconnaissent plus, de retrouver leurs maisons éventrées, leurs monuments brisés, leurs vies pulvérisées. Paradoxalement, c’est ce désespoir qui pousse Leïla à œuvrer jour et nuit, malgré les dangers qui la menacent, à la reconstruction de la ville qui fut la capitale de Daesh. Dans ce film documentaire poignant, on découvre cette femme extra-ordinaire qui, après avoir vécu trois années sans pouvoir sortir, voilée et gantée et sans la compagnie d’un homme au risque d’être lapidée ou éxécutée, en dirige maintenant une centaine en jean slim et talons compensés. Dans le conseil civique dont elle fait partie qui s’est formé dans l’urgence, la parité est primordiale: il est composé de kurdes, de musulmans, de chrétiens, de chefs de tribus arabes mais aussi de nombreuses femmes. C’est cet élément en particulier qui est hallucinant au visionnage des images: Leïla, musulmane, faisant partie de la minorité kurde, à la tête d’une ville arabe et musulmane, à la démocratie encore chancelante. 

Elle n’est pas un cas isolé: la cheffe des forces démocratiques qui ont libéré Raqqa elle-aussi est une femme que l’on découvre blagueuse, souriante et plus que tout forte et courageuse; “plus que les hommes!” plaisante-t-elle. Elle a fait la guerre, Leïla fait la paix, tâche hautement plus longue et laborieuse qu’elle poursuit pourtant au péril de sa vie, poussée par une force que Marine de Tilly qualifie de presque messianique. Autour de ce portrait en gros plan, il y a la Syrie en ruine et pourtant la vie qui reprend, que Xavier de Lausanne capture avec une grande intensité et presque, pardonnez l’indécence, avec poésie. Cette poésie, on la retrouve dans ces images silencieuses de ruines, accompagnées seulement par quelques notes de trompette et de piano signées Ibrahim Maalouf, mais aussi dans ces images de vendeurs ambulants de barbapapa et d’enfants qui jouent sur ces places sur lesquelles on oublierait presque que le sang y coulait quelque temps plus tôt. Les Syriens pourtant, ne l’oublient pas, et leurs journées sont ponctuées de temps de silence pour ces trop nombreuses victimes d’une folie destructrice qui a tout balayé sur son passage. “Les martyrs sont immortels” répètent t-ils à qui veut l’entendre. 

Depuis la parution du livre, le Prix européen d’architecture pour la reconstruction de la ville, créé et décerné depuis 1982 par l’architecte belge Philippe Rotthier, a été remis à Leïla Mustapha pour ses travaux monumentaux dans sa ville bien aimée. Il reste à éspérer que ça ne soit d’une début pour la jeune femme de 32 ans qui a déjà tant accompli. 
Dans un contexte où cette folie s’abat maintenant sur l’Afghanistan, 9 Jours à Raqqa arrive comme un malheureux hasard pour nous rappeler qu’au milieu de l’horreur absolue, de la guerre, des fanatismes et de la haine, il y a toujours l’espoir, la femme, la vie et la liberté.

Apolline Amaudric

Photo de couverture: Leila Mustapha dans « 9 jours à Raqqa, La vie après Daech, Partie 1 » de Xavier de Lauzanne (2021).  (JEAN-MATTHIEU GAUTIER)