Evergrande : La chute d’un géant 

En décembre, le deuxième plus grand développeur immobilier chinois Evergrande Group annonce qu’il est en défaut de paiement. Ayant exploité le boom immobilier de 2005, et basant son business modèle sur la spéculation, et l’effet de levier, la crise du COVID-19 a porté son coup de grâce à ce géant de l’économie chinoise. Quelles sont les causes de cette chute? Et quelles en seront les conséquences?

Evergrande Group : Géant de l’immobilier chinois

En 1996, Xu Jiayin quitte son emploi sous-payé dans une société de négoce, et lance sa propre compagnie d’immobilier : Evergrande Group. Il ne lui faut que quelques années pour faire de cette jeune entreprise de Guangzhou le deuxième développeur immobilier du pays (le Monde). Les débuts ont été plutôt laborieux. “Jinbei garden”, le premier projet d’Evergrande, a dû être subventionné par l’Etat, pour combler les 6 millions de yuan nécessaires à son lancement et à sa construction. Cependant, grâce à un marketing stratégique visant les classes moyennes et au prix bas des appartements, Jinbei Garden fut un succès, générant des bénéfices de plus de 60 millions de yens. Cette réussite posa les bases du business model d’Evergrande. La chasse à la dette est lancée.

En effet, depuis sa création, Evergrande exploite la vente de dettes pour lever des fonds afin d’acheter les terrains nécessaires à la construction d’immenses tours, elle-même divisées en unités plus petites. La vente de ces unités est ensuite utilisée pour rembourser la dette. Cette stratégie a été baptisée : 三高一低 (san gao yi di), littéralement traduite par « 3 hauts 1 bas » : une dette élevée, un effet de levier élevé, un chiffre d’affaires élevé et un faible coût. Cette stratégie s’est avérée très efficace lors du boom immobilier chinois en 2005, mais lorsque la crise des subprimes a éclaté en 2008, le géant Evergrande, n’ayant pas les fonds nécessaire, dut faire face à une crise de liquidités. La compagnie fut renflouée par une riche famille de Hongkong, et adopta alors une stratégie inverse : 三低一高(san di yi gao), cette fois-ci « 3 bas 1 haut » : faible endettement, faible effet de levier, faible coût et chiffre d’affaire élevé. Grâce à cela, Evergrande possède aujourd’hui plus de 1 300 projets dans 280 villes à travers la République Populaire de Chine, et s’était engagée à construire l’équivalent d’environ 1,4 million de propriétés individuelles (Bloomberg). Après tant d’années à osciller entre réussite et faillite, on peut se demander pendant combien de temps Evergrande arrivera à garder l’équilibre.

Vue aérienne d’Evergrande Cultural Tourism City, un projet de développement résidentiel, commercial et de divertissement à usage mixte, dans la ville de Suzhou, dans la province chinoise du Jiangsu. La construction du projet a été interrompue. (Vivian Lin / AFP/Getty Images)

La chute du géant

Depuis la crise chinoise de 2015, et en raison de son modèle basé presque exclusivement sur le refinancement de la dette, le montant de la dette accumulée par Evergrande a atteint des sommets exorbitants, effrayant les créditeurs. Ayant accumulé près de 260 milliards d’euros de dette, soit l’équivalent du PIB du Portugal (Midi Libre), la crise du COVID-19 et le ralentissement du marché immobilier chinois ont sonné le début de la chute. En août 2021, le mastodonte de l’immobilier annonce pour la première fois qu’il rencontrera des difficultés à honorer ses obligations en matière de dette et à rembourser ses actionnaires. En effet, plus de 35 milliards d’euros sont dus à 128 banques nationales, et 57 milliards à 121 entités non bancaires, le tout alors que les bénéfices ont chuté de 29% au premier semestre 2021 (Le monde). Le 9 décembre, le deuxième promoteur immobilier chinois a finalement été mis en défaut de paiement, marquant la fin d’Evergrande et le début d’une tourmente sociale et financière qui secoue la Chine et va au-delà des frontières.

Evergrande: Too Big to Fail?

L’activité immobilière totale représente environ 30 % du PIB chinois, et la chute d’un tel géant ne fait que semer le doute et la peur sur le marché. L’immobilier est non seulement un pilier de l’économie domestique chinoise, mais réside au cœur des finances de nombreux ménages pour lesquels acheter un bien immobilier revient à faire un investissement sûr, au long-terme. Malheureusement, Evergrande marque le début du moment minsky, lorsque la confiance des investisseurs se détériore et que la bulle spéculative éclate. En effet, l’effondrement d’Evergrande n’est pas un cas isolé. Les limites strictes de « trois lignes rouges » imposées par le gouvernement n’ont fait que réduire la liquidité de tout le secteur immobilier chinois (Financial Times). D’autres grands conglomérats immobiliers tels que Fantasia et Kaisa Group, qui se sont développés grâce à l’exploitation de la dette et de la spéculation, ont eux aussi émis des doutes sur leurs capacités à s’acquitter de ses autres obligations financières (BBC). 

Ajoutant à cela des prix de logements qui s’effondrent, beaucoup attendent la réponse du gouvernement chinois : vont-ils renflouer Evergrande ? Une société dite « Too Big to Fail » comme Evergrande, perçoit le gouvernement comme un filet de secours prêt à être déployé en cas de crise. Cependant, nombreux sont ceux qui estiment que sauver Evergrande ne fait qu’établir un précédent qui pourrait s’avérer dangereux pour l’économie chinoise sur le long terme. Sauver Evergrande donnerait le feu vert à de nombreuses entreprises pour utiliser des moyens frauduleux basés sur l’effet de levier pour atteindre leurs objectifs, ce qui pourrait détériorer l’ensemble du marché chinois. Il est peu probable que le gouvernement « bailout » Evergrande, mais il est dans leur intérêt de suivre la reconstruction de sa dette, pour atténuer l’impact sur l’économie et éviter une crise systémique. 

Répercussions Internationales : un nouveau Lehman Brother ?

       La chute d’Evergrande a non seulement fragilisé l’économie chinoise, mais provoque une onde de choc qui risque aussi d’ébranler les marchés internationaux. En effet, beaucoup voient dans la crise immobilière d’Evergrande un reflet de l’effondrement de Lehman Brother en 2008, chute qui a conduit à la plus grande crise financière du XXIe siècle. Depuis 2017, la Chine contribue à 1/3 de la croissance mondiale, et un ralentissement trop brusque de cette croissance risquerait de fragiliser l’économie mondiale. De plus, ces derniers mois certaines des plus grandes sociétés d’investissements du monde ont déclaré détenir la dette d’Evergrande : BlackRock Inc, UBS group AG, Allianz SE (Bloomberg). La chute du géant pourrait donc ébranler directement des acteurs à l’étranger, mais est-ce suffisant pour faire trembler l’économie mondiale ? 

         Evergrande est un géant qui vacille au bord du gouffre, cependant, l’ampleur de cette crise ne peut être comparée à celle de Lehman Brother, qui était deux fois plus endetté qu’Evergrande. Cette crise est plus justement comparée à la chute de LTCM en 1998, qui n’a pas eu les mêmes répercussions sur les marchés internationaux que Lehman. Ainsi, même si le gouvernement ne risque pas de renflouer totalement Evergrande, il est dans son intérêt de contrôler la chute pour éviter des répercussions trop vastes sur les marchés, notamment en participant à la reconstruction de la dette. 

La chute du géant Evergrande a fait trembler les marchés. Elle ne mènera pas forcément à une crise mondiale, mais introduit plus de volatilité sur les marchés (CNBC-Coincu). Parmi les investisseurs nationaux et étrangers, la crise d’Evergrande a semé le doute sur la stabilité et le potentiel exponentiel du marché chinois. Ajoutant à cela les nombreuses mesures prises concernant les protections de données, qui ont coupé l’herbe sous le pied de multiples entreprises ascendantes telles que Didi ou Tencent, les investisseurs étrangers deviennent sceptiques et prennent un pas de recul face au marché chinois (fig.1) La chute d’un tel géant tirerait-elle la sonnette d’alarme pour appeler à la réforme et à la remise à niveau d’un système financier et économique en déroute ?

Figure 1 : iShares MSCI China, ETF qui suit le résultat d’investissement d’un indice composé d’actions chinoises par rapport au S&P 500 (source: fact set)

Ines Demarquette

Photo de couverture: Siège d’Evergrande Group à Guangzhou (source: Coincu News)