La COP 26 s’est achevée en novembre avec l’annonce du Pacte de Glasgow, qui a pour but de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique. Dans les dernières minutes des négociations, une demande de l’Inde vient cependant limiter les avancées faites lors de ce sommet. En exigeant que l’énergie au charbon ne soit pas complètement éliminée d’ici 2050, l’Inde remet au cœur du débat un sujet épineux : allier développement et neutralité carbone ne sera pas évident du tout pour les économies émergentes. Il est temps de répondre à ce problème pour atteindre des accords climatiques ambitieux et efficaces.
Un mot qui change tout pour le futur du charbon et du climat
Les discussions de la COP 26 se terminent sur une scène paradoxale. Alors que les pays participants parviennent à un accord pour limiter le réchauffement climatique, le président de la COP a les larmes aux yeux. À première vue, on peut penser que ce sont des larmes de joie que verse Alok Sharma à la clôture d’un accord historique sur le climat. Cependant, l’émotion de Mr Sharma vient plutôt de la demande faite à la dernière minute par l’Inde : changer quelques mots dans le paragraphe traitant de l’utilisation du charbon. Quelques mots qui ont tout changé pour l’avenir de cette énergie fossile.
Le texte de base, issu de deux semaines de négociations intenses, prévoyait « l’élimination progressive de l’énergie au charbon et des subventions inefficaces aux combustibles fossiles ». Juste avant la finalisation de l’accord, l’Inde a demandé une reformulation de ce passage, remplacé par « la réduction progressive » du charbon. Face à cette marche arrière, les participants ont décidé d’accepter le compromis et de signer le texte révisé plutôt que de risquer de finir la COP 26 sans accord du tout. Le président Sharma officialise donc le Pacte de Glasgow en se disant « profondément désolé » et qu’il comprenait la déception de certaines délégations désireuses d’adopter un langage plus fort.
Car en effet, si le changement de mot paraît anodin, il a en réalité un impact profond sur la manière dont le monde va réduire ses émissions et surtout à quelle vitesse. « L’élimination » entend que pour 2050, le charbon ne serait plus utilisé pour l’énergie. La combustion de charbon est en effet responsable chaque année de 40% des émissions globales de CO2. La « réduction » poussée par l’Inde limite fortement l’ambition du Pacte de Glasgow. Premièrement, cela signifie que dans 30 ans cette énergie fossile continuera de polluer. Deuxièmement, le texte ne précise pas à quelle vitesse ni dans quelle mesure cette réduction aura lieu, laissant un large champ de manœuvre aux pays consommateurs de charbon.
Pourtant, au-delà de l’aspect environnemental, le charbon est une source d’énergie extrêmement sale et l’Inde en a parfaitement conscience. 70% de l’électricité du pays est produite grâce au charbon. Chaque année, 112 000 personnes meurent de la pollution qui en résulte. Certaines villes minières sont constamment recouvertes de poussière noire causée par l’extraction. C’est pourquoi le gouvernement indien investit massivement dans les énergies renouvelables, dont la capacité a quadruplé en 10 ans. Alors pourquoi s’accrocher au charbon pour le futur ?
Nourrir une demande d’électricité qui va s’envoler dans les années à venir
La position de l’Inde reflète un problème récurrent dans les sommets sur le climat et qui n’est pas près d’être résolu : comment répondre aux besoins énergétiques croissants des pays en développement, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
Les projections pour l’Inde ont de quoi impressionner. Aujourd’hui, le pays compte environ 1.4 milliards d’habitants, dont la majorité à moins de 30 ans. La demande en énergie va exploser dans les années à venir, avec une population grandissante, une amélioration du niveau de vie, et de nouveaux besoins liés au réchauffement climatique. Dans les 20 prochaines années, l’Inde doit gagner une capacité équivalente à la totalité de la production d’énergie de l’UE d’après l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE).
La promesse du gouvernement de doubler la production d’énergie renouvelable pour 2030 ne suffirait seulement à satisfaire la moitié des besoins projetés. À cela s’ajoutent des infrastructures distributions d’énergie vieillissantes, qui doivent être remplacées rapidement. Des investissements massifs sont donc nécessaires pour assurer la sécurité énergétique du pays. Le défi est de taille et l’Inde n’est pas certaine de pouvoir y répondre tout en faisant la transition vers un système 100% basé sur le renouvelable.
Enjeux de politique intérieure
La position de l’Inde est aussi influencée par des enjeux nationaux. Éliminer le charbon serait très coûteux politiquement. Une étude estime qu’entre 10 et 15 millions de personnes dépendent de ce secteur pour vivre, surtout dans deux des régions les plus pauvres du pays. De même, l’énergie charbon divise au plus haut niveau du pouvoir. Dans les années 1990-2000, des contrats miniers avaient été distribués aux proches du gouvernement à prix cassés. Cette affaire, connue sous le nom de « Coalgate », explique en partie la réticence du pouvoir de condamner le secteur.
Mais surtout, un sentiment d’injustice face aux pays développés
Le changement demandé par l’Inde a été supporté par plusieurs pays, notamment la Chine qui confronte les mêmes défis pour leur sécurité énergétique. L’argument avancé par ces pays est qu’ils ne vont pas sacrifier leur développement économique pour contrebalancer des siècles d’émissions venant des pays riches.
L’Inde et la Chine sont certes les deux plus gros consommateurs de charbon au monde. Mais rapporté aux nombres d’habitants, la consommation de l’Inde est en dessous de la moyenne mondiale, et bien loin derrière les États-Unis. Dans ces conditions, il est difficile de convaincre le pays de 1.4 milliards d’habitants d’abandonner rapidement une énergie aussi bon marché, d’autant plus qu’elle a soutenu la croissance du monde Occidental pendant des décennies.
Pour réconcilier ces intérêts divergents, les pays riches s’étaient engagés à dédier 100 milliards de dollars (environ 86 milliards d’euros) à la finance climat pour 2020. Cette promesse, faite en 2015 à la COP21, est une base cruciale de la confiance qui unit les participants. Elle reflète un souci d’équité, alors que les pays développés sont tenus historiquement responsables du réchauffement climatique sans être les plus exposés aux conséquences.
Malheureusement, la somme de 100 milliards devrait seulement être atteinte pour 2023, alimentant les tensions Nord/Sud. La position de l’Inde apparaît plus claire, surtout lorsque le pays demande en plus l’aide technique et financière de la part des pays développés pour se détacher du charbon. Mais les sujets de financement et de responsabilité restent parmi les plus épineux. Les accords sur le climat n’auront pas de réels impacts tant que ces problèmes continuent de diviser.
Rien ne sera moins évident que d’allier développement et neutralité carbone pour les économies émergentes. Alors que celles-ci prennent de plus en plus de place sur la scène internationale, leurs besoins ne peuvent plus être ignorés si les pays veulent arrêter le réchauffement de la planète
Zoé Furgé
Graphes issus de The Economist – Photo de couverture: Kuni Takahashi/Getty Images