Forest City: Une Illusion Verte

Érigé dans un détroit stratégique de Malaisie, Forest City est un projet de ville verte durable financé par un promoteur chinois dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Malheureusement, ces apparences utopiques cachent un projet qui est tout sauf durable ou écologique, et qui favorise l’expansionnisme chinois.

Forest City – Un projet chinois d’urbanisme vert en Malaisie

En 2014, un projet ambitieux de plus de $100bn voit le jour dans l’étroit couloir de la zone économique spéciale d’Iskandar, zone stratégique de Malaisie, à la frontière avec Singapour. Le promoteur chinois Country Garden, en partenariat avec une société locale appartenant en partie au sultan Ibrahim Ismail de Johor, lance un projet excentrique d’urbanisme vert dans le but de construire une ville modèle futuriste sur quatre îles artificielles de Johor. 

Détenant 60 % de Forest City, Country Garden inscrit ce projet dans le cadre des Belt and Road Initiatives (BRI), ou les Nouvelles Routes de la Soie, lancées par Xi Jinping en 2013. Depuis quelques années, le gouvernement chinois vise à réorienter ces initiatives de développement vers une approche plus écologique et durable – la Belt and Road Green Development Coalition signée en 2019 réaffirme les lignes directrices pour évoluer vers des investissements plus verts et écoresponsables.

Forest city souhaite donc s’inscrire dans cette mouvance en se revendiquant comme un projet d’urbanisme vert, preuve du succès international des initiatives vertes des Nouvelles Routes de la Soie. Cependant, bien qu’elle ait remporté le « Sustainable Cities and Human Settlements Awards » en 2021, l’utopique ville verte de Forest City cache une sombre réalité qui va à l’encontre de tout ce qu’elle prétend.

Greenwashing à Forest City : une façade verte qui s’effrite

 Les prétendues « villes éco-intelligentes du futur » de Forest City camouflent un désastre écologique. En effet, ce projet, lancé sans attendre l’étude d’impact environnemental (EIE) détaillée exigée par la loi, privilégie les préférences esthétiques des acheteurs potentiels au détriment de l’écosystème local. Non seulement, la plus grande prairie sous-marine de Malaisie est ensevelie sous les constructions de béton et de verre ; mais l’édification de ces bâtiments utopiques détruit aussi les mangroves côtières. Situé dans une zone abritant une faune et une flore fragiles, ce projet déstabilise par sa seule présence les écosystèmes locaux.

Un mal pour un bien, n’est-ce pas ? La destruction des écosystèmes sera sûrement compensée par l’incroyable fusion de la flore et de la faune avec le projet global. Les étendues de verdure charnues qui grimpent le long des bâtiments de verre semblent être un exemple d’harmonie parfaite entre l’homme et la nature. En effet, les développeurs chinois s’acharnent à alimenter cette croyance naïve. 

Pink Mussaenda, Bird of Paradise, Bougainvillea… Ces noms empreints d’exotisme sont ceux des espèces végétales implantées dans Forest City. Aucune d’entre elles ne provient de Malaisie. Ce sont des plantes qui ont été pour la plupart importées par les Britanniques pendant leur occupation coloniale, et qui sont maintenant prédominantes dans la ville. Ne pouvant s’adapter à l’écosystème tropical malaisien, la végétation luxuriante montrée dans les vidéos promotionnelles ne fait qu’accentuer le déséquilibre écologique déjà présent, et sert davantage l’esthétique du projet que son implication environnementale.

Cette végétation contrôlée et étrangère répond aux attentes esthétiques des acheteurs, ce qui pousse Country Garden à aller encore plus loin. Comme vous pouvez le voir ci-dessous, la définition de la protection et de la promotion de la faune sauvage telle que revendiquée par Country Garden est la suivante : la mise en scène d’animaux en voie de disparition en plastique. Les jardins soignés, les plantes  » exotiques « , les animaux en plastique produisent une impression de nature luxueuse mais contrôlée. Tout est fait pour offrir la meilleure expérience aux habitants de ce microcosme de plastique. 

Tortues en plastiques sur le bord de la route à Forest City  The multi-scalar politics of urban greening in Forest City, Malaysia

 Sarah Moser – 2021

 

Une implication géopolitique

Les visées écologiques défendues par Country Garden, semblent être une façade attrayante dont l’objectif principal est le profit, mais il est légitime de s’interroger sur les motifs du gouvernement chinois qui soutient le projet. Dans le cadre de la politique déjà très controversée des Nouvelles Routes de la Soie, les investissements directs étrangers (IDE) chinois et les nombreux projets soutenus par le gouvernement sont souvent perçus comme ayant un objectif néocolonialiste.

Tout d’abord, le détroit de Johor occupe une position géographique très stratégique. Situé à la croisée des passages maritimes, entre la zone d’Iskandar et Singapour, il débouche sur le détroit de Malacca, passage maritime stratégique par lequel transite 80% du pétrole brut destiné au marché chinois. Ayant largement concédé sa souveraineté sur ces 4 îles, le gouvernement malaisien laisse place à l’agenda expansionniste chinois.

Cette situation géographique avantageuse pourrait bénéficier au gouvernement Malaisien. Cependant, ce projet vise majoritairement les ressortissants chinois de classe moyenne à supérieure par sa promotion intensive sur le continent chinois, qui s’alignent avec le boom immobilier de 2015. De plus, les loyers étant trop élevés pour les populations locales de la région d’Iskandar, les 700’000 logements prévus risquent d’être majoritairement peuplés de Chinois continentaux, de classes aisées, souhaitant se recueillir dans un havre de paix « vert », à proximité de Singapour. Cela risque de créer un avant-poste néo-colonial chinois au cœur de la Malaisie qui sinueusement écarte les populations locales d’un projet soi-disant national. 

Le projet chinois de Forest City en Malaisie exploite la tendance des projets urbains verts à des fins mercantiles, mais l’emplacement stratégique, et la composition de ce projet impose une réflexion sur les motivations sous-jacentes du gouvernement chinois quant à leur politique d’investissement étrangère. Derrière cette façade de végétation plastique se cache des enjeux géopolitiques insoupçonnés. 

Carte du Projet Forest City à la croisée des voies maritimes 

James Clark – 2020 – Future East Asia

Ines Demarquette

Photo de couverture:  Albert Shaw – The Diplomat– 2017. Dans la galerie d’exposition de Forest City, une maquette tentaculaire présente les quatre îles récupérées qui sortiront bientôt du détroit de Johor.