Respectez Notre Vote. La Birmanie peut-elle devenir une réelle démocratie ?

Est-il possible pour un pays qui n’a jamais été une démocratie de surmonter la discrimination et l’autoritarisme institutionalisés et devenir une réelle démocratie représentative ? En Birmanie, on verra. Après que Aung Sang Suu Kyi et son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD), ont gagné une majorité dans les élections en novembre 2020, les militaires, dirigé par Min Aung Hlaing, ont déclaré qu’il y avait des résultats frauduleux et ont organisé un coup d’état. Comme les militaires ignorent la voix des gens qui exigent la libération du gouvernement civil, le monde, y compris la NLD, ignore les cris des minorités ethniques de la région qui ont été privés de leur droit de vote par le gouvernement militaire conjoint Suu Kyi avant novembre de l’année dernière dans le mépris flagrant de leurs droits humains. Ainsi, comment la Birmanie peut-elle résoudre ses problèmes profondément enracinés ? Les militaires continueront-ils de réprimer les droits humains ? Et que peut faire la communauté internationale ?

Un Génocide Démocratique 

Deux millions de personnes ont été privés du droit de vote parce qu’ils sont des minorités ethniques. Sans honte ou remords, le gouvernement démocratique a refusé de permettre à deux millions de personnes de voter car leur ethnicité était inacceptable. La guerre civile en Birmanie a duré depuis plus de 70 ans, la plus vielle du monde. Elle a évolué avec le temps mais un motif commun est qu’elle est utilisé par le Tatmadaw (l’armée birmane) afin de justifier les massacres des civils innocents. L’un le plus récent et probablement le plus horrifiant est le génocide de Rohingya qui a commencé en 2017. Après que les insurgés locaux (qui s’appellent « Arsa ») ont attaqué la police, le Tatmadaw et les milices bouddhistes ont incendié les villages, violé les civiles, et tué 6700 personnes en un mois, dont 740 enfants de moins de cinq ans. Ces trois dernières années la violence extrême a conduit des centaines de milliers de personnes à se réfugier au Bangladesh. Là-bas ils souffrent de conditions de vie difficiles dans les camps de réfugiés et maintenant, le gouvernement à Dhaka refuse d’accepter d’avantage de civils désespérés et a commencé à les transférer vers une ile peu sûre, la Bhasan Char.

Les officiels onusiens ont déclaré la violence dans l’État de Rakhine étant un « exemple classique de la purification ethnique » et que les Rohingyas sont « l’un des peuples les plus discriminés au monde ». Alors bien que Suu Kyi et la NLD aient gagné les élections en novembre, ils ont pris aussi les votes de tout le Rohingya et de plusieurs minorités bouddhistes dans les États de Shan, Rakhine et Kachin. Naturellement les partisans de Suu Kyi veulent se dissocier des crimes contre l’humanité mais la vérité est qu’elle a protégé l’armée. Elle a menti en disant que les opérations au Township de Maungdaw ont fini le cinq septembre 2017 encore que les images satellite aient montré que des centaines de villages ont été détruits après cette date. Ainsi, si hypothétiquement l’armée abandonne, et Suu Kyi et le président Win Myint sont rétablis au pouvoir, la Birmanie sera encore très loin d’un pays démocratique.

Les réfugiés dans le camp de Kutupalong au Bangladesh en 2017 [VOA/AP]

Députés Armés 

Le premier février 2021 le Tatmadaw a arrêté Suu Kyi, le président, et beaucoup d’autres membres du gouvernement civil. Le général Myint Swe est devenu le président et a immédiatement remis tous les pouvoirs au chef du Tatmadaw, Min Aung Hlaing. Le nouveau gouvernement a déclaré un état d’urgence pour un an et promis de tenir des élections démocratiques après. Bien qu’il y eût un peu de célébrations, bientôt les cites majeurs ont vu des grandes protestations contre le gouvernement militaire. Mais pourquoi le Tatmadaw a-t-il choisi d’agir maintenant ?

Initialement il semble illogique – malgré l’augmentation des députés de la NLD au parlement et la constitution de 2008 garantissant que l’armée aura un quart des sièges – qu’elle soit assez nombreuse pour opposer son veto aux projets de loi du gouvernement civil. Pourtant, comme un scientifique laisse tomber une expérience avant une explosion, le Tatmadaw a reconnu un risque grave en novembre. Leur parti fantoche, l’USDP, s’est mal comporté aux élections. Des députés liés à l’armée ont perdu leurs sièges, même dans les bastions de l’USDP, donc pour ne pas être embarrassé, l’armée a déclaré la fraude électorale. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement civil et Tatmadaw ont combattu une lutte équilibrée pour le pouvoir et la contrôle de la constitution: Suu Kyi et la NLD ont essayé de l’amender pour limiter les pouvoirs du Tatmadaw, et Hlaing et ses généraux ont utilisé leurs pouvoirs afin de l’empêcher. Mais maintenant l’assurance des militaires tremblent. Apres avoir vu des manifestations contre la junte en Thaïlande, il s’est rendu compte qu’il ne pouvait devenir chef d’État que par un état d’urgence. Avant que sa vieillesse le force à prendre sa retraite, Hlaing a renversé le gouvernement.

Les représentants militaires se tiennent au cours d’une session ordinaire du Parlement de l’Union [AP/Aung Shine Oo]

La Guerre Froide

Quant à l’avenir de la Birmanie, la nouvelle « guerre froide » entre les États-Unis et la Chine décidera si le gouvernement militaire restera au pouvoir. Joe Biden a souligné à maintes reprises l’engagement de son administration envers la démocratie, un élément classique de la politique étrangère américaine. Pourtant, Washington est conscient dans la douleur que s’il pousse la Birmanie trop loin, Pékin l’accueillera à bras ouverts. Par conséquent, un jeu d’équilibriste dangereux doit être joué entre ces deux géants mais nous ne devons pas oublier qu’il y a des millions de vies qui sont en jeu. Quel que soit le résultat de l’un des premiers conflits de procuration de la nouvelle « guerre froide », il est clair qu’il n’y aura pas de paix en Birmanie sans résoudre la guerre civile infiniment complexe menée selon des lignes ethniques. Elle est la guerre civile la plus vielle du monde parce qu’elle est difficile à résoudre mais cela signifie juste que lorsque nous y mettrons fin, les effets en seront plus gratifiants.

Aung San Suu Kyi (gauche) et Min Aung Hlaing (droit) en 2018 [Thai PBS]

Omar Khan

Photo de couverture: Les manifestants à Yangon protestent contre le coup d’état [NBC STR/AFP] 

Références :

https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210215-en-birmanie-la-contestation-perdure-malgr%C3%A9-le-d%C3%A9ploiement-de-troupes

https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-56053007

https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-56074429

https://www.voaafrique.com/a/putsch-en-birmanie-p%C3%A9kin-appelle-%C3%A0-ne-pas-compliquer-la-situation-/5761814.html

https://www.humanite.fr/birmanie-de-naypyidaw-bangkok-petits-coups-detat-entre-amis-700177

https://www.ouest-france.fr/monde/birmanie/point-de-vue-birmanie-la-democratie-entre-chaud-et-froid-7156221