En Pologne, Montée Autocratique au Coeur de L’Union Européenne

Depuis quelques années, la politique polonaise a pris un inquiétant virage vers l’autoritarisme. « Droit et Justice » (en polonais Prawo i Sprawiedliwość, PiS), le parti de droite arrivé au pouvoir en 2015, s’est attaqué aux droits des femmes et des minorités, et a défendu plusieurs mesures controversées visant à réduire l’indépendance de la justice. Les médias ont également été victime de la campagne politique des dirigeants, qui cherchent à contrôler plus fermement la presse. Le recul du pluralisme, de la séparation des pouvoirs, et la violation des libertés individuelles alarment Bruxelles. L’Union Européenne a engagé la Pologne dans plusieurs procédures visant à condamner les abus, mais cela n’a pas suffi à changer le cap des dirigeants polonais. 

L’Ombre de l’Autoritarisme

La Pologne est un modèle de développement au sein des pays issus de l’Union Soviétique. Un taux de croissance constant à 4% par an en moyenne depuis les années 1990, un régime démocratique sain et stable, le pays a rattrapé la moyenne européenne en termes de qualité de vie et de dynamisme économique. Grâce à cela, l’industrie est forte et les indicateurs économiques sont très favorables. Cependant, la société reste très conservatrice, au détriment des minorités. Les valeurs traditionnelles catholiques sont présentes et influentes en politique. 

Ce conservatisme s’est manifesté en politique par l’élection du PiS à la majorité parlementaire en 2015. Depuis, le parti populiste de droite s’est attaqué à plusieurs reprises aux institutions fondamentales de la démocratie polonaise. De nombreux fonctionnaires ont été licenciés afin de remplacer l’administration par des partisans du PiS. De même, des lois passées par la majorité parlementaire compromettent hautement l’indépendance de la justice. Notamment, une réforme de 2017 a réduit l’âge de la retraite des juges siégeant au Tribunal Constitutionnel, l’organe chargé de vérifier si la législation est en accord avec la constitution polonaise. À leur place, des juges favorables à la politique menée par le PiS siègent à présent au tribunal. 

Ces nominations ont ainsi permis au parti majoritaire de pousser plus loin son agenda. C’est le cas notamment de la régulation des médias, dans un effort de limiter les voix dissidentes et critiques du gouvernement. Le 10 février dernier, une cinquantaine de médias ont imprimé une page noire en une afin de protester contre les régulations en montrant à quoi ressemblerait un monde sans presse libre. En effet, un projet de loi en cours les priverait d’une grande partie de leurs revenus en taxant les recettes publicitaires. Les médias publics sont de plus en plus contrôlés, les voix critiquant les dirigeants sont contenues, et des proches du pouvoir sont placés à la tête des organes médiatiques. Le recul du pluralisme de la presse manifeste le pouvoir grandissant du PiS. 

Le 10 février 2021, une cinquantaine de médias indépendants affichaient en une « Médias sans choix », pour s’opposer contre une loi visant à taxer les recettes publicitaires. 
Kacper Pempel, Reuters 

Autre bataille politique, l’avortement. La législation polonaise est déjà l’une des plus restrictives d’Europe. L’accès à l’IVG a été encore plus limité en 2020, puisqu’il est désormais interdit aux femmes d’avorter en cas de malformation du fœtus. La majorité parlementaire avait déjà essayé dans le passé de limiter le droit à l’avortement mais cette première tentative avait été repoussée par le Tribunal Constitutionnel. Après la répression de l’appareil juridique, le PiS a enfin pu atteindre son objectif. 

L’Opposition de la Rue : « Non à la Terreur »

2020 a vu prendre place les plus larges manifestations depuis le communisme. La population est descendue dans la rue pour contester la restriction de l’avortement, le recul de l’indépendance de la justice, et le conservatisme des dirigeants. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans la rue afin de montrer leur opposition aux politiques et l’idéologie du gouvernement. Elles se battent pour leur liberté et leurs droits. 

Et en effet, leurs libertés d’expression et de rassemblement semblent compromises. Des ONG, telles qu’ Amnesty ou The Human Rights Watch, notent une répression excessive contre les manifestants. Arrestations arbitraires de participants, recours injustifié à la force pour repousser la foule pacifique, interdiction de rassemblements « anti-gouvernementaux » … La situation inquiète. 

Malgré cette opposition farouche d’une large partie de la population, les dirigeants ne changent pas de cap. Car même si les opinions sont divisées, le PiS a toujours l’appui de la majorité des voteurs. En témoignent les résultats de l’élection présidentielle de l’été dernier, où le président Duda a été réélu a 51% des voix contre le candidat de centre-droite. L’électorat du président Duda et du PiS partage leurs valeurs nationalistes traditionnelles. Les politiques sociales ont sorti un grand nombre de familles de la pauvreté et favorisé l’économie. De ce fait, le PiS jouit d’une opinion favorable auprès de certaines tranches de la population, satisfaites d’un gouvernement qui tient ses promesses.

L’Europe Impuissante ?

Manifestation devant le Parlement, le 7 mai 2020 à Varsovie, peu avant les élections présidentielles.
Wojtek Radwanski, AFP

Face à ces évènements (recul de l’État de droit et violations des droits individuels), l’Union Européenne a envoyé plusieurs rappels à l’ordre au gouvernement polonais, sans succès. En décembre 2017, l’UE a donc déclenché l’article 7 pour la première fois de son histoire, considérant que la séparation des pouvoirs était compromise en Pologne et que les nouvelles lois enfreignaient les valeurs fondamentales européennes. Cependant, l’application de l’article 7 et des sanctions prévues à peu de chance d’aboutir, puisque le processus est bloqué par la Hongrie. La Pologne, pour le moment, conserve son droit de vote dans le bloc et continue de recevoir les subventions européennes. 

La situation en Pologne est un test crucial pour le projet européen. Elle pose des questions clés pour le futur : que faire lorsqu’un membre ne suit pas les principes fondateurs de l’UE ? Les mesures existantes sont-elles efficaces ? Faut-il expulser les membres qui ne partagent plus les mêmes valeurs ?

Le bloc européen cherche à présent à réaffirmer son autorité, et montrer qu’un membre ne peut pas profiter des avantages économiques sans se plier aux valeurs et normes fondamentales formant le pilier de la cohésion de l’Europe. L’aspect monétaire ne doit pas prendre le dessus sur le projet politique et idéologique, au risque de perdre une identité et cohésion européenne déjà fragile. 

Zoé Furgé

Photo de couverture: Manifestation à Varsovie devant le Tribunal Constitutionnel contre le durcissement du droit à l’avortement, 28 janvier 2021. Czarek Sokolowski,  Associated Press