L’effet du réchauffement climatique en Arctique est une catastrophe écologique. Les températures des six dernières années ont toutes dépassé la moyenne de 1981-2010 d’au moins 1 °C. Résultat, la glace fond et les émissions de CO2 augmentent, détruisant l’écosystème à petit feu. Mais comme toujours, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
En effet, la fonte des glaces permet aux pays tels que la Chine et la Russie d’accroître leurs échanges commerciaux au travers de nouvelles routes maritimes et d’explorer les sous-sols à la recherche de nouveaux combustibles, auparavant enfouis sous la calotte glaciaire.
La « Route Maritime du Nord »
La « route maritime du nord » permet de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie. D’ores et déjà fréquemment empruntée par les russes, la route promet de devenir le nouveau Canal de Suez. Praticable durant 2 mois chaque année, la fonte des glaces va faciliter sa traversée et accélérer son usage. Il y’a seulement deux semaines, les bateaux appartenant à la compagnie de gaz russe Novatek ont pour la première fois parcouru la route maritime du nord sans l’aide de brise-glaces. C’est une première dans l’histoire des navires empruntant ce passage en plein hiver.
En janvier 2020, la Russie a publié un plan avec ses projets et ses ambitions pour la région: accroître le passage de cargos russes jusqu’à 90 millions de tonnes d’ici 2030. Même si à première vu nous pourrions penser que la route, permettant de réduire jusqu’à moitié le temps de navigation et donc les émissions de CO2, est favorable à l’environnement, une étude de la Commission Européenne a révélé que « la route maritime du Nord ne présente aucun avantage global pour le climat, même lorsque des carburants moins polluants sont utilisés. En effet, les temps de trajet plus court ne contrebalance pas l’impact de la pollution dans la région ».
Un Potentiel Encore Inexploité
Près d’un quart des réserves mondiales de combustibles fossiles non découvertes se trouvent au nord du cercle polaire arctique. Selon une estimation du US Geological Survey, plus de 80% de celles-ci se trouvent sous la mer.
Ces opportunités ont attisé la convoitise de la Chine tout autant que de la Russie, qui a eu recours à des mesures militaires et économiques agressives afin de marquer son territoire. D’un point de vue commercial, la Russie compte débuter l’exploitation des côtes de l’Arctique – en particulier du gaz naturel, du pétrole et du charbon durant les années à venir. En 2007, elle avait même planté son drapeau dans les fonds marins arctiques afin de revendiquer symboliquement ses richesses énergétiques, ravivant ainsi les souvenirs de la Guerre Froide.
Outre des intérêts économiques importants (ressources et transports, entre autres), la Russie doit aussi veiller à la sécurité de la région. La dissuasion nucléaire reste la principale arme pour garantir la sécurité du pays, et la Flotte du Nord (la plus puissante de quatre flottes formant la marine russe) conserve toute son importance pour le soutien du dispositif. La Russie a également rouvert plus de 50 anciennes bases soviétiques. Plus inquiétant encore, elle a testé de nouvelles capacités militaires basées dans l’Arctique, telles que des missiles de croisière hypersoniques et des drones sous-marins à propulsion nucléaire. Les hauts dirigeants militaires américains ont exprimé leur inquiétude quant à la prévalence de ces missiles de croisière russes dans l’Arctique et à leur «voie d’approche» aux États-Unis.
La Chine quant à elle continue d’utiliser son « soft power », et préfère s’allier aux pays de l’Arctique. Fidèle à elle-même, elle a pleinement conscience que se mettre à dos les pays de la région n’avancera en aucun cas ses intérêts. En tant que membre du Conseil de l’Arctique (dont le Canada, le Royaume du Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et les États-Unis font aussi partie), elle met à profit son statut afin de sceller des alliances dans lesquelles elle investit financièrement. À titre d’exemple, les fonds chinois ont représenté près de 6% du produit intérieur brut moyen de l’Islande au cours des années 2012 à 2017 (étude de la CNA). Cet investissement a créé une dépendance économique vis-à-vis des Chinois tout en donnant à la Chine un accès privilégié à la classe politique, aux pôles scientifiques, à la connaissance en matière de géothermie ainsi qu’aux infrastructures de télécommunications. Ces investissements se sont accélérés après la crise financière mondiale de 2008, lorsque l’Islande était particulièrement vulnérable sur le plan économique. À travers des méthodes moins assertives que celles de la Russie, la Chine compte donc bien mettre à profit les opportunités qui s’ouvrent à elle, de la même manière qu’elle continue d’étendre son influence dans d’autres parties du globe au travers de l’initiative « Belt and Road », débutée il y’a maintenant 8 ans.
Quel Futur ?
Même si ces avancées ne sont qu’à leurs prémices, il ne faut pas sous-estimer ce que pourrait devenir l’Arctique aux yeux de la communauté internationale. Alors que les ressources naturelles se font de plus en plus rares, la quête pour la domination de l’Arctique ne fait que commencer. Et même si certains de ces pays ont des revendications légitimes (par exemple, le territoire arctique représente environ 25% de la masse continentale russe, justifiant ainsi certaines des ambitions russes dans la région), il est clair que toute intervention à but commercial dans une région qui est déjà fortement fragilisé par le changement climatique ne fera qu’aggraver la situation. Malheureusement, les pays concernés se préoccupent peu des conséquences de leurs actions sur le climat, et jusqu’à présent, aucun accord environnemental concernant l’exploitation de la région n’a été ratifié par les acteurs concernés.
Julia Antone
Photo de couverture : TASS 1996 (le brise-glace à propulsion nucléaire « Yamal » escorte les navires sur la mer de Kara en route vers Norilsk en décembre 1996)