Groupe de suprémacistes blancs redouté de nos jours, cristallisant les visions d’une Amérique pure, chrétienne et blanche, le Ku Klux Klan fut auparavant un “club” social respecté qui comptait plus de 4 millions de membres à son apogée. Comment ces terroristes dangereux ayant commis de nombreuses exactions ont-t-ils pu bénéficier de la tolérance et du soutien des pouvoirs en place, au point de figurer parmi les groupes politiques les plus importants de leur temps ?L’histoire du Ku Klux Klan a été marquée par 3 évènements clefs : la guerre civile américaine de 1860, le système Jim Crow des années 1880 ainsi que la sortie du film “The Birth of a Nation” (Naissance d’une Nation) en 1915. C’est la sortie du film qui a le plus contribué à leur succès.
Naissance d’un Empire Invisible
Lorsque la guerre de sécession débute dans les années 1860, elle polarise les États-Unis en deux camps : les États esclavagistes (au sud) contre les États abolitionnistes (au nord).
Le nord l’emporte sur le sud, et en 1865, l’esclavage est officiellement aboli. Cette brève lueur d’espoir pour les Noirs-Américains se transforme vite en calvaire: ils sont soumis à la terreur d’un nouveau groupe terroriste, le Ku Klux Klan.
Né au Tennessee, le Klan a pour but de terroriser la population noire afin de les priver de leurs droits civiques.
Même si l’esclavage est aboli, la soumission complète des noirs continue. Les membres du KKK choisissent le Général Nathan Bedford Forrest, criminel de guerre et ancien marchand d’esclaves, comme leur leader. C’est sous sa tutelle que la violence atteint son paroxysme en 1868. Alors que les élections présidentielles approchent, plusieurs bureaux de vote sont brûlés et 1000 meurtres sont commis en seulement 4 semaines. Les citoyens noirs sont intimidés à ne pas exercer leurs droits. Le KKK réussi dans sa stratégie: le politicide des Noirs-Américains du sud.
Washington essaye à tout prix de dissoudre le Klan. La loi martiale est introduite et l’État Fédéral déploie l’armée pour protéger les électeurs noirs. Cela porte ses fruits et en 1872, le Klan a officiellement disparu. C’est lorsque l’armée fédérale repart en 1877 que le système Jim Crow, qui introduit la ségrégation, s’impose. Il durera presque un siècle.
“The Birth of a Nation”
En février 1915, le film “Naissance d’une Nation”, réalisé par D.W Griffiths, sort dans les salles de cinéma. Il revisite la guerre de sécession et l’époque de reconstruction. Lors de sa projection d’un nouveau genre, Griffiths innove: entre plans larges, scènes d’actions et musique envoûtante, c’est un film qui se veut moderne et destiné au grand public.
Griffiths dépeint l’après-guerre à sa manière: les hommes du Klan sont décrits non comme des criminels mais comme des justiciers. Le message véhiculé par le film est le suivant: les hommes noirs menacent les femmes blanches.
Le dénouement de l’histoire montre des hommes noirs présentés comme des barbares et des sauvages qui déferlent sur les campagnes, et les hommes du KKK qui s’interposent pour sauver les femmes blanches. Cette notion de protection des femmes blanches est centrale pour le Klan. Le KKK, qui est pourtant un groupe raciste et terroriste, est représenté de manière romantique : ses membres restaurent non seulement l’ordre mais aussi l’honneur des femmes blanches.
La représentation du Klan dans l’imaginaire populaire a largement été conçue par Griffiths. C’est le film qui a inventé l’image de la cagoule et des toques blanches qui ont ensuite été adoptées par le nouveau Klan. L’une des grandes techniques de recrutement consistait à organiser des projections du film dans les petites villes : pour la plupart des gens, le cinéma était une invention très excitante au début des années 20. Ils s’enthousiasmaient facilement pour le KKK et représentaient des proies faciles.
Délibérément conçu pour donner l’idée de véracité historique, “Naissance d’une Nation” a réussi à changer l’histoire officielle des États sudistes. Avec plus de 50 millions de téléspectateurs, le film est aussi considéré comme le premier blockbuster Hollywoodien. Il touche même les sphères élevées de la politique. C’est le premier long métrage projeté à la Maison Blanche, en présence du président Woodrow Wilson. Sachant qu’il doit pouvoir compter sur les voix du sud où l’électorat est exclusivement blanc, le président donne son aval au film, boostant ainsi sa popularité.
Le film relance la curiosité pour le KKK qui renaît de ses cendres. Un homme en particulier va en tirer profit: William Joseph Simmons. En 1915, il organise l’ascension de la colline de Stone Mountain. Il crée un rituel ainsi que des cérémonies secrètes et s’auto-proclame Grand Sorcier Impérial et Empereur de ce qu’il appelle l’empire invisible. Un nouveau Klan est né.
Le mouvement attire toujours plus d’adeptes et en 2 mois passe de 2000 à 300000 membres. À 10 dollars l’adhésion, le Klan devient riche et puissant. Le 8 août 1925 plus de 40000 militants défilent à Washington : c’est une immense démonstration de force. Quelques années plus tard, on estime qu’ils étaient plus de 4 millions.
À l’époque, le KKK était un “club” social: il octroyait un certain statut à ses membres et facilitait les rencontres professionnelles. Même Harry Truman avouera dans ses mémoires avoir adhéré au Klan pour des raisons électorales. Le Klan possède des journaux, produit sa propre musique, et crée même des clubs junior pour les 12-18 ans. Il fait partie intégrante des “années folles”. Jamais la société secrète n’a été aussi visible. Le Klan réussit un tour de force : il est devenu fréquentable, tandis que dans l’ombre, ses crimes continuent.
Cependant, vers la fin des années 20, des scandales minent le mouvement. Le grand sorcier D.C Stephenson est condamné pour le meurtre et le viol de son assistante. L’ironie de la situation est flagrante : alors que l’ambition du KKK était de protéger la vertue des femmes blanches, le Klansman le plus connu du pays est condamné pour le viol et l’assassinat d’une femme blanche. Cet évènement a ébranlé le Klan, qui a finalement officiellement disparu en raison de la récession.
Une Lueur d’Espoir
Paradoxalement, la violence du film va aussi encourager la naissance du cinéma noir indépendant. Révoltés par “Naissance d’une nation”, des artistes vont s’atteler à créer des fictions par et pour les Noirs. Ainsi, même si le film a alimenté le racisme et la haine durant de nombreuses années, il construit aussi la base et les prémices du mouvement des droits civiques et du cinéma noir.
Julia Antone
Photo de couverture: L’affiche du film “Naissance d’une Nation” Photo: Chronicle of the Cinema (London: Dorling Kindersley)