L’Unique Double Identité de Samuel Beckett

En regardant des photos de Samuel Beckett, un des meilleurs dramaturges du monde (et ici, ce n’est pas un cliché), il semble avoir été un homme très sérieux et sévère, voire énigmatique. Mais qui était-il vraiment?

Beckett est né en 1906 à Dublin, dans une famille bourgeoise, issue de huguenots français réfugiés en Irlande. Il avait une enfance heureuse, remplie de loisirs. Il a commencé à apprendre le français à l’école primaire et l’a continué à l’université Trinity College de Dublin où il a étudié le français, l’italien et l’anglais pendant 4 ans. Ces quatre années ont été les les plus formatives de sa vie. C’était à ce moment-là qu’il acquit son intérêt pour le théâtre de Synge, la peinture et le cinéma. Ce qui explique peut-être l’absurdité et le sentiment d’aliénation de son théâtre est le fait qu’il a éprouvé de réelles difficultés d’insertion sociale à cause de son refus de compromission et sa tendance dépressive. Cependant avec ses amis il était simplement Sam, plein d’entrain, Sam qui buvait avec Peter O’Toole, parlait de cricket avec Harold Pinter et ‘hurlait’ al piano d’Edna O’Brien.

Beckett a commencé à écrire dans les années 30. Au début, il écrivait des romans et des nouvelles, mais pendant sa carrière de presque 60 ans, il a aussi écrit des poèmes et des pièces de théâtre. Il écrivait ses œuvres en anglais et en français. Jusqu’en 1945, il écrivait en anglais, en 1945 il a changé au français et il est retourné à l’anglais en 1956. Il n’a pas produit d’oeuvres en allemand mais il a contrôlé la mise en scène de ses pièces de théâtre en Allemagne. Il a traduit la majorité de ses oeuvres en anglais et en français et il a travaillé à proximité de ses traducteurs allemands et italiens. Même aujourd’hui, si quelqu’un veut préparer une nouvelle traduction ou version d’une de ses œuvres, il faut qu’il acquiert l’approbation de la Beckett Estate. Une raison pour son insistance sur l’autotraduction est le fait qu’il a toujours regardé ses oeuvres comme incomplètes et imparfaites, et donc l’autotraduction lui donnait une chance de perfectionner ses oeuvres davantage. 

Il a passé un séjour à Paris de 1928 à 1930 pendant lequel il a travaillé comme lecteur d’anglais à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et il est tombé amoureux de Paris. Au cours des années suivantes il s’est déplacé plusieurs fois entre Dublin, Londres et Paris. En 1945 il est parti de nouveau pour Paris, convaincu que c’était là qu’il devait être. C’est pendant cette année qu’il a commencé à écrire en français, et cette période française était la période la plus fructueuse de sa carrière. On ne saura jamais pour sûr pourquoi il a décidé d’abandonner l’anglais pour le français. Il semble que c’est une phénomène unique (aujourd’hui il y a beaucoup d’artistes avec une double identité culturelle, mais dans la plupart des cas leur double identité se dérive de leur héritage familial et n’est pas un choix délibéré), et certains critiques pensent qu’il a choisi le français dont il était étudiant parce qu’il avait un usage plus conscient du langage que de sa langue maternelle. Entre 1946 et 1950, il a écrit 29 œuvres. Une de ses œuvres étant En attendant Godot, chef-d’oeuvre du théâtre de l’absurde, qu’il a fini en 1948. Après 1956 il a continué à écrire en français mais il a aussi recommencé à écrire en anglais.

Les œuvres françaises de Beckett sont fondamentalement différentes de ses œuvres anglaises. Par exemple, dans ses œuvres françaises il utilise un style simple et dépouillé, il n’utilise pas beaucoup de noms géographiques précis, même la mise-en-scène de ses pièces de théâtre est minimaliste comme celle d’En attendant Godot. Ses œuvres anglaises ont des noms géographiques précis et des thèmes autobiographiques. Au début de sa carrière, ses personnages féminins étaient des idiotes ou des prostituées, pendant sa période française elles étaient absentes, et après son retour à l’anglais ses personnages féminins sont devenus beaucoup plus profonds et quelques-uns étaient peut-être inspirés par sa mère. 

Il ne serait pas possible de décrire en profondeur toutes les différences entre les oeuvres françaises et anglaises de Beckett comme chacune de ses oeuvres est un monde entier, mais il est apparent que Beckett a eu deux personnalités d’auteur distinctes grâce à sa double identité unique. Il a choisi son identité française à cause de son amour pour le pays et le langage et parce que le français lui a permis de réaliser son objectif littéraire, mais il n’a jamais arrêté d’aimer son pays, l’Irlande et sa langue maternelle. 

Anna Palyi

Source:

https://www.theguardian.com/culture/2019/jul/28/another-side-to-samuel-beckett-becketts-last-tapes-robert-mccrum