Depuis plus de deux mois, des dizaines de milliers de personnes manifestent chaque dimanche à Minsk, capitale de la Biélorussie. Ils s’opposent aux résultats de l’élection présidentielle du 9 août, en raison des fortes suspicions de fraudes. Cependant, malgré une mobilisation sans précédent, M. Loukachenko a maintenu fermement son emprise au pouvoir. Il semble que celui qui est considéré comme le « dernier dictateur d’Europe » sort vainqueur de cette crise. Cependant, certains affirment que, même si M. Loukachenko reste en place, ces manifestations marquent le début de la fin de son régime dictatorial.

Vasily Fedosenko – Reuters
Bientôt trois mois de manifestations et de répression
Le président sortant Alexandre Loukachenko a remporté plus de 80% des voix selon l’agence étatique Belta. Au pouvoir depuis 1994 après l’indépendance du pays, il entame ainsi son sixième mandat consécutif. L’arrestation de plusieurs opposants avant les élections, l’absence de débats entre candidats et les suspicions de fraude sont notamment dénoncés par les manifestants. Ils réclament des réformes démocratiques et son départ.
Ce n’est pas la première fois que des élections sont contestées par la population et l’opposition. Ce fut le cas notamment en 2010, où la communauté internationale avait posé des sanctions contre les dirigeants biélorusses après une violente répression. Cependant, jamais les protestations n’avaient pris une telle ampleur. Dès le lendemain de l’élection début août, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées spontanément à Minsk pour réclamer le départ de M. Loukachenko. Les manifestations chaque dimanche qui ont suivi ont réuni plus de cent mille personnes, un record historique.
La candidate d’opposition Svetlana Tsikhanovskaïa a déclaré « Le pouvoir doit réfléchir à comment nous céder le pouvoir. Je me considère vainqueur des élections ». Depuis le mardi 11 août, elle s’est réfugiée en Lituanie pour éviter une potentielle arrestation et continuer à faire pression sur les dirigeants biélorusses. Elle a annoncé dès la mi-août la création d’un conseil de coordination. En effet, plusieurs figures d’opposition ont été arrêtées, notamment Maria Kolesnikova qui a été enlevée en pleine rue avant d’être emprisonnée. La répression est très forte. M. Loukachenko peut compter sur le soutien infaillible de l’armée, qui lui permet pour le moment de maintenir sa position.

Sergei Gapon – AFP
Canons à eau, véhicules blindés et grenades assourdissantes sont régulièrement déployés contre les civils protestant pacifiquement. Certains estiment que plus de 20 000 personnes ont été arrêtées, mais cela n’a pas empêché les travailleurs de se mettre en grève la semaine dernière. Plusieurs ONG dénoncent les violations des droits de l’homme par les autorités. Par exemple, l’Organisation mondiale contre la torture a qualifié le traitement réservé aux manifestants arrêtés de « crime contre l’humanité ». Le chef d’État justifie ce déploiement de violence en dénonçant une « atteinte à la sécurité nationale », et une tentative de « s’emparer du pouvoir » par le Conseil de coordination formé par l’opposition.
L’UE et la Russie
Les pays voisins ont eu des réactions mitigées face à la situation particulière de la Biélorussie. Bien que les pays de l’Union Européenne aient rapidement annoncé qu’ils ne reconnaissaient pas les résultats de l’élection, ils ont tardé à prendre des mesures plus significatives. Historiquement, les relations entre l’Union et la Biélorussie sont tendues, et vacillent entre tentatives d’intégration et rejet mutuel. Cet entre-deux semble persisté. Les représentants européens ont rencontré à plusieurs reprises l’opposition biélorusse, notamment la candidate Svetlana Tsikhanovskaïa qui demande leur soutien. Des sanctions ont été décidées contre le pouvoir en Biélorussie. Cependant, les Européens paraissent réticents à condamner définitivement le président Loukachenko. L’Allemagne, la France et l’Italie se sont d’abord opposés à viser personnellement le dictateur, afin de garder une voie de communication ouverte. Face à cela, la Pologne et les pays baltes demandent plus de fermeté. Finalement, des sanctions ciblant une quarantaine de responsables biélorusses dont le président ont été annoncées, deux mois après le début du mouvement démocratique.

Sergei Gapon – AFP
Autre puissance régionale, la Russie a elle aussi mesuré son intervention avec prudence. Les relations entre Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko ont connu quelques froids, avec la Biélorussie cherchant à prendre plus d’indépendance face à la Russie. Mais face à l’ampleur de la crise, le dirigeant biélorusse n’a eu d’autre choix que de se tourner vers M. Poutine. Dans un premier temps, le président russe a annoncé son soutien, sans pour autant envoyer d’aide directe. Le 14 septembre, les deux hommes se sont rencontrés en Russie, où M. Poutine a accepté d’accorder un prêt de 1,3 milliards d’euros pour redresser l’économie biélorusse, affaiblie par le Covid, les manifestations et une inefficacité structurelle. En échange, Moscou entend profiter de la situation pour étendre son influence en Biélorussie.
L’opposition biélorusse joue prudemment dans cette balance. Svetlana Tsikhanovskaïa a plusieurs fois insisté que les protestations n’étaient pas anti-Poutine ou anti-Russie, pour ne pas provoquer une intervention militaire russe que les manifestants craignent par-dessus tout. Ce n’est pas non plus un sentiment pro-européen qui pousse les gens à défiler dans les rues. Le mouvement est pleinement dirigé contre le pouvoir du président Loukachenko et porte la volonté de démocratisation des citoyens.
Et maintenant ?
Les protestions continuent et prennent plusieurs formes. Depuis lundi 26 octobre, un mouvement de grève nationale a commencé dans le pays après un appel de l’opposition. Cependant, la violente répression sème la peur chez les participants, qui sont néanmoins déterminés à continuer.
Au début du mouvement, plusieurs médias ont annoncé la fin du régime de Loukachenko, un peu trop rapidement peut-être. Cependant, même s’il parvient à se maintenir au pouvoir pour le moment, il est indéniable que sa position n’a jamais été aussi instable. Les problèmes économiques et la volonté de démocratisation de la population ont fragilisé les bases de son régime, et ont lancé un mouvement qui ne semble pas prêt de s’arrêter.

Zoé Furgé