Bombes et déchets : pourquoi il y a si peu de poubelles à Londres

Acheter un café, manger une pomme, en vitesse diner ou finir un goûter : tant d’activités, au quotidien banalisées, qui partagent la finalité de nous laisser un déchet. Chaque jour, à Londres, un nombre monumental d’ordures diverses et variées se doivent d’être jetées. Idée simple, et pourtant. Quiconque déménage dans la ville, sans y avoir auparavant vécu, remarquera au moment venu combien il est difficile de trouver une poubelle publique. La thématique peut paraitre futile, plus encore, sans importance. Il s’avère qu’elle reflète certaines problématiques politiques et historiques qu’il vaut la peine de comprendre.

 

Le constat est simple : Londres abrite peu de poubelles. Dans les rues de la City, par exemple, on en compte à peine 46, tandis même que l’endroit est quotidiennement envahi par trois cent mille travailleurs. Cela a de quoi étonner, cependant, la ville a ses raisons de limiter les dépôts de déchets dans l’espace publique. La principale est évidente, connue de tous : la peur d’attaques terroristes.

On fait souvent remonter le retrait progressif des poubelles de Londres à 1991. Le 18 février de cette année-là, les stations de métro Victoria et Paddington sont victimes des bombes de l’Armée irlandaise républicaine provisoire, PIRA en abrégé. Bilan : un décès et trente-huit blessés. Cette attaque suit de près celle de Downing Street, qui, onze jours plus tôt, avait vu la même organisation tirer trois obus vers la résidence du premier ministre – par bonheur sans succès. Les attaques du métro de février 1991 ont tout d’abord cela d’exceptionnel qu’elles visent directement des civils, cible rare à l’époque. De plus, la totalité des dégâts humains engendrés résulte de la déflagration causée par la bombe posée dans la station de Victoria, laquelle était dissimulée dans une poubelle. Ces deux ingrédients, semble-t-il, furent déterminants dans la décision des autorités d’en débarrasser la ville.

Ce n’est pourtant pas la première attaque de ce genre à faire usage de ces méthodes. Le Tube, premier réseau de train souterrain au monde, officiellement inauguré en 1863, ne dût attendre que vingt années pour être le théâtre d’attaques à la bombe. Du reste, les corbeilles de Londres furent utilisées pour les mêmes desseins dès 1940, lorsque le 23 février de cette année, deux bombes dissimulées dans des poubelles explosèrent à West End, blessant 13 personnes. Ces deux ingrédients, métro et poubelle, ont souvent été (et risquent d’être encore) utilisés par toute organisation désireuse de propager la peur. Il est simple, en effet, de viser l’Underground: grouillant de monde, il est extrêmement fréquenté aussi bien par les Londoniens que par les touristes, pour qui il représente un des symboles de Londres. Il n’est pas surprenant, dès lors, que toute attaque en son sein provoque la panique dans toute la ville, sans compter les dégâts matériels importants qui peuvent être causés ainsi que l’impact titanesque que peut représenter l’arrêt, même momentané, d’un tel réseau de transport. Les poubelles, malgré elles, sont les réceptacles idéaux des bombes, lorsqu’on veut maximiser leur impact : elles les abritent, les protègent des regards, et surtout, provoquent des dommages supplémentaires lorsque contenu et contenant sont projetés par l’explosion.

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C’est sans doute la raison pour laquelle le retrait des poubelles concerne principalement le métro. Il est rare, sinon impossible, de trouver une poubelle en matériau solide dans le réseau souterrain. Au mieux, mais peu fréquemment tout de même, des sacs plastiques translucides –et donc, ne pouvant servir de cachette– servent de récipients aux déchets. Il est bien entendu complexe d’évaluer les résultats d’une mesure telle que le retrait des poubelles, cependant, force est de constater que le dernier attentat en date en ayant fait usage pour la dissimulation de dispositifs explosifs remonte à 1996. Plus encore, le dernier attentat réunissant simultanément le métro comme lieu d’action et l’usage de poubelles est l’attentat susmentionné de Victoria et Paddington. Ces changements d’aménagement public n’ont toutefois pas stoppé net les attaques terroristes, et l’arrêt progressif des actions de l’Armée républicaine irlandaise (qui à elle seule représente la quasi-totalité des décès dûs au terrorisme du vingtième siècle à Londres) rend flou leur réel impact.

Outre ces considérations sécuritaires, il apparait en réalité que le retrait des poubelles satisfait les autorités Londoniennes pour d’autres raisons. Un rapport de la City of Londonindique ainsi que la présence de poubelles dans les rues encourage le dépôt illégal de déchets en rue, la présence d’animaux nuisibles, et donne une apparence disgracieuse aux rues. Faudrait-il donc bannir les poubelles pour une ville plus propre ? L’idée semble contre-intuitive, et les avis divergent à ce propos. D’un côté, il parait évident que la présence de poubelles permet de jeter ses déchets dans un contenant approprié, à défaut de les abandonner, ce qui devrait contribuer à la propreté publique. C’est ce que confirme une étude commandée par la ville de Philadelphie1, qui rapporte sobrement que la diminution du nombre de poubelles dans un endroit public entraine une augmentation du temps nécessaire à nettoyer les déchets de cet endroit, pour la raison évidente que ceux-ci ne sont pas déposés dans des corbeilles d’où ils seraient faciles à évacuer. Bien que ces résultats semblent s’accorder au sens commun, d’autres avis rapportent le constat inverse : la présence de poubelles entraînerait inévitablement une diminution de la propreté. En effet, nulle ville n’a les moyens d’entretenir parfaitement ses rues à tout instant, aussi viendra fatalement le moment où une poubelle sera pleine, auquel cas, l’observation le montre, les immondices s’accumulent à son sommet et/ou à ses côtés. Selon ce raisonnement, la présence d’une poubelle entrainera nécessairement tôt ou tard la présence de déchets à ses abords, présence qui à son tour encouragera le dépôt de déchets hors des endroits prévus à cet effet, et donc, diminuera la propreté de la ville. Tokyo, par exemple, est réputée pour avoir très peu de poubelles, s’en étant débarrassée ces dernières années similairement à Londres, mais elle est également connue pour être très propre. En effet, il apparait que les déchets abandonnés en rue ont diminué en même temps que les contenants destinés à les accueillir2.

Pour ces raisons diverses, Londres est donc équipée de peu de poubelles. Il semble complexe d’évaluer les conséquences d’une telle mesure, espérons seulement que la sécurité, tout comme la propreté, continuent d’être au cœur des préoccupations de la ville.

Par Timothée Maniquet

Sources
1 https://apolitical.co/solution_article/behavioural-science-decrease-litter-philadelphia/
2 https://jpninfo.com/54373

Crédits Photo: 
(1): Bose London 
(2): Le Figaro