Par Dorianne Motte-Guillon
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras, vous serre sur son cœur, ce ne sont que des condoléances. (…) Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu » écrit Romain Gary en 1960.
Depuis le mois de décembre 2017, est diffusée une nouvelle version de la Promesse de l’Aube, drame biographique adapté du roman de Romain Gary et réalisé par Eric Barbier. Ce film nous transporte entre Romain, un jeune Polonais qui émigre en France, et Nina, sa mère, à travers leur relation passionnelle, ambiguë, voire parfois œdipienne.
Romain Kacew (Gary), de sa vie difficile en Pologne à son déménagement pour Nice, la terre de toutes les espérances, puis ses expériences de l’entraînement militaire en passant par ses aventures aériennes en Afrique pendant la suite des combats hors de France durant la Seconde Guerre mondiale… aura vécu des expériences extraordinaires, une vie hors du commun. Cet attachement pour la vie, il le doit à la compagne de ses jours, celle qui l’épaulera dans toutes les situations et lui évitera la mort à de nombreuses reprises, sa mère, Nina Kacew. Mais ce garde-fou, ce catalyseur, sera également ce qui causera sa perte.
Pour Nina Kacew, seule la France, par son prestige et sa grandeur, ne peut être à la hauteur de Romain. Lui qui sera ambassadeur et chevalier de la légion d’honneur ! Tu réussiras mon fils, tu seras fort, tu dois être fort !
Dès lors Nina vit pour cet avenir. L’enfance de Romain en Pologne dans les années 1920 se déroule plutôt durement et tristement. Cette première partie du film est donc illustrée par des tons noirs et blancs, grisailleux. Et puis l’arrivée à Nice pleine de couleurs vives, pastels, de plans d’ensemble et de douceur montre immédiatement le changement, la nouvelle vie tant attendue. La musique aussi, qui joue un rôle presque ensorcelant, nous permet une immersion totale dans le cœur et l’esprit des personnages. L’accent russe de Nina renforce encore cet envoûtement et la mise en valeur, par des plans rapprochés et superposés, d’une calligraphie rédigée par le jeune Gary tout en en filigrane, nous plonge dans un univers quasi mystique.
Car on va suivre les protagonistes, mais plus que cela, on va se fondre et se confondre en eux et, comme Romain, hésiter entre l’amour et la passion, mais aussi la folie et la haine, pour ces deux personnages. A la fois attachants, fascinants, mais teintés d’une relation incertaine, et d’une certaine perte d’autonomie pour Romain, qui ne vit que pour contenter les souhaits de sa mère, et pour Nina, dont tous les espoirs sont placés en son fils.
Cette relation ambigüe se remarque dans les relations entre les personnages, leurs attitudes, leurs personnalités propres, et est rendue de façon admirable par Charlotte Gainsbourg et Pierre Niney.
Le côté à la fois extravagant et très réel de Charlotte Gainsbourg jouant le personnage de Nina, si forte, si dure, exclusive et castratrice mais si aimante, rend bien compte de l’ambivalence de la vie de Romain Gary.
Dès petit, les femmes ne sont pas douces avec lui. Pour séduire une jeune Polonaise il est contraint de manger des escargots, des vers, et même une semelle… Pour l’amour il fait tout, sans rechigner. Serait-ce un aperçu de ce qu’il fait ou fera pour sa mère ? De tous les sacrifices qu’exaucer ses souhaits demandent ?
Le jeune Romain a peu d’amis hommes, il est moqué, ridiculisé, c’est « l’ambassadeur » dont sa mère ne cesse de vanter les mérites. Cette image restera en arrière-plan lors de ses épisodes militaires, sa mère vient lui rendre visite et il est capable de la haïr pour ça. Mais il la choisit, il la choisira toujours.
Ainsi, le personnage tantôt apeuré, tantôt dur du jeune Romain, celui qui ne peut avoir qu’un but, le destin tracé par sa mère, mais qui semble vouloir résister quelquefois, pour mieux retomber dans l’amour fou pour celle-ci, est fort bien rendu par Pierre Niney duquel émane une grande douceur.
L’affiche du film nous conforte dans cette impression : l’image à la fois douce d’une mère veillant sur son fils, mais aussi d’une mère qui enferme son fils dans un carcan, qui le domine.
L’amour sans limite de sa mère l’a condamné à ne plus jamais retrouver l’équivalent, mais lui aura épargné la médiocrité, faisant de lui un grand homme, et un formidable écrivain.
La guerre est un élément non-négligeable de cette relation si singulière : omniprésente, symbole d’un engagement héroïque, bien français, bien que compliqué par sa naturalisation récente et ses origines juives. La mort est frôlée de nombreuses fois, de multiples façons, mais jamais n’atteint Romain. Pas avant d’avoir accompli sa mission, malgré la distance : agir tel que sa mère l’espère, pour lui faire vivre une vie idéale, par procuration, que ce lien fusionnel entre eux permet. Elle vit à travers lui, le suit dans tous ses déplacements, place en lui toutes ses espérances, il est sa procuration, sa raison de vivre.
Plusieurs paris ont été tenus ici : celui de rendre compte d’un livre très personnel et très riche, écrit plus pour s’exorciser que pour être lu… La tumeur au cerveau qu’il s’imagine avoir en tant qu’écrivain, et qui constitue la trame du film, la raison pour laquelle sa compagne lit son ouvrage et nous le fait découvrir, ne représenterait-elle pas le mal de sa vie, une vie dictée par une mère envahissante, l’empêchant finalement presque de vivre en lui permettant de survivre ?
De nombreux évènements du livre manquent à l’appel, mais s’ils apportent beaucoup à la lecture, ils peuvent être mis de côté car la dynamique du film nous éclaire assez et l’émotion nous étreint. Car on n’en ressort pas complétement indemne, mais avec des interrogations et l’on ne peut pas trancher. Romain a bien vécu certes, il aura bien été ambassadeur et aura été décoré. Mais est-ce bien lui ? Aurait-il été un autre sans elle ?
L’amour de Nina pour son fils, à la fois catalyseur, mais aussi bouée à laquelle se raccrocher est aussi impossibilité de vivre pour lui-même, et surtout d’aimer, d’aimer une autre. La place qu’occupe sa mère empiètera toujours sur l’amour qui devait être réservé à une autre femme.
La Promesse de l’Aube est à la fois dramatique et tragique. Une histoire remplie d’amour et de réussite, mais également d’une immense tristesse. Romain et sa mère ne forment qu’un et représentent, dans le même temps, l’amour plein, réel, ainsi que la projection des désirs de l’un pour conditionner les actions de l’autre, mais il s’agit d’une mère et de son fils, dont les rapports devraient être dans le registre de l’affection plus que de la passion.