Russie : L’ingérence comme nouvelle doctrine ?

Par Marion Russell

 

Ingérence : intervention d’un État dans la politique intérieure d’un autre État.

Il y a 100 ans, au sortir de la Révolution d’Octobre 1917, la Russie des Tsars s’éteignait aux côtés de ses Armées Blanches, tournant la page sur deux siècles d’Empire pour sonner la Genèse de la Russie des Soviets. Cependant, le passé communiste dont Moscou s’était fait le porte-drapeau semble maintenant plus éloigné que jamais et le pays s’est depuis ouvert au capitalisme et à l’économie de marché. Depuis 2000, pour pallier aux détours de l’influence du pays au 20ème siècle, Vladimir Poutine cherche à redéfinir la place de la Russie sur l’échiquier mondial… Parfois au détriment des relations avec l’Occident.

Après une enquête de plusieurs mois, le FBI a rendu publiques les conclusions de son enquête concernant une possible ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016. A la suite de ces révélations, deux proches du Président ont été mis en examen. Georges Papadopoulos, membre de l’équipe de campagne de Trump, a reconnu avoir menti aux enquêteurs quant à ses relations avec des proches du gouvernement russe. Il aurait notamment été en contact avec un homme surnommé « le professeur », qui affirmait détenir des e-mails compromettants sur Hilary Clinton. Le second homme incriminé –par une douzaine de chefs d’accusations, est Paul Manafort et n’est autre que l’ancien directeur de campagne de Donald Trump, déjà mis en cause en aout 2016 après des révélations sur ses liens avec des oligarques ukrainiens pro-russes. Face à la tourmente, la réponse de Washington ne s’est pas faite attendre et le président Trump a notamment tweeté qu’il n’y avait eu aucune collusion entre dignitaires russes et son équipe durant la campagne.

Mais là n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le 13 novembre dernier, la ministre de la défense espagnole, Maria Dolores de Cospedal, a dénoncé une possible ingérence russe lors du référendum pour l’auto-détermination de la Catalogne en octobre. Ainsi, selon la ministre, des groupes basés en Russie aurait volontairement inondé les réseaux sociaux à l’approche du référendum afin de mener une véritable campagne de désinformation. Deux jours après les déclarations espagnoles, c’est au tour du Royaume-Uni d’accuser les hackers russes d’attaques informatiques. Le responsable de la cybersécurité britannique est resté vague mais affirme que l’ingérence russe observée vise « les médias britanniques, les télécommunications et le secteur de l’énergie ». D’après The Guardian, l’ingérence russe aurait eu un impact direct durant la campagne du référendum sur le Brexit. De nouveau, les hackers auraient utilisé les réseaux sociaux pour inonder les fils d’actualité occidentaux de tweets et posts, dans le but de semer la discorde.

Le grand méchant russe?

a Russie, et son gouvernement, se retrouvent donc aujourd’hui sous le feu des critiques et plus que jamais au cœur des inquiétudes occidentales. S’il semble difficile de totalement discréditer les accusations dont le pays fait l’objet, la Russie a réagi en niant formellement toutes ces allégations, allant même jusqu’à les qualifier d’« aberrantes » dans le cas des accusations espagnoles et « irresponsables et sans fondement » dans le cas des accusations de Theresa May.  La question qui subsiste, cependant, est : quel(s) intérêt(s) la Russie trouverait-elle à agir ainsi ? La réponse la plus évidente est qu’il s’agit d’une campagne de déstabilisation des pays occidentaux, déjà fragilisés par un contexte politique domestique compliqué. Le but étant de consolider le rôle de la Russie sur le plan international, face à des Etats « rivaux » de plus en plus affaiblis. Le « Grand Méchant Russe » aurait donc succédé aux hordes de hackers chinois, puis nord-coréens, qui, ces dernières années étaient presque systématiquement accusés de toutes les attaques informatiques, ou tentatives d’attaques, contre les gouvernements. A tort ou à raison ? Si la Russie est indéniablement un acteur important lorsque l’on parle de cyber attaque à but politique, il ne faut pas oublier que d’autres pays (qui blâment la Russie), tels que les Etats-Unis, ne sont pas en reste (voir l’affaire Stunext !). Les méthodes sont différentes mais le but est le même : espionner, déstabiliser et finalement, régner ! Il est extrêmement difficile de prouver l’implication directe du Kremlin dans de telles attaques et certains s’interrogent : pointer du doigt la Russie n’est-il pas un moyen pour des gouvernements en difficulté de détourner l’attention des citoyens vers un ennemi extérieur, et qui plus est commun ?

La question est légitime, tant les services secrets américains et européens peinent à prouver de manière irrévocable l’implication directe du gouvernement russe dans ces affaires. Certains journaux russes par ailleurs proches, voire possédés par le Kremlin, ne se sont d’ailleurs pas fait prier pour accuser les média et gouvernements occidentaux de tenter de camoufler les réels problèmes de leurs pays. Néanmoins, si l’ingérence reste à démontrer entièrement, l’interférence ne fait aucun doute aux yeux des gouvernements occidentaux. Alors la Russie semble vouloir se targuer d’un rôle de « coupable idéal », afin de discréditer ces accusations et ne pas avoir à répondre de ses actes. Les titres sont donc étonnamment différents d’un media à l’autre : si l’Express titre « Piratage, intox, contacts… Les intrusions russes dans la politique américaine » et Libé : « Brexit: la Russie aussi y a mis le doigt, révèlent les grandes oreilles britanniques », le site d’information proche du Kremlin, Sputnik, titre: « ‘Ingérence russe’ en Catalogne? Moscou met les points sur les I ».

Une autre certitude demeure : si les allégations contre la Russie se font de plus en plus insistantes, les relations entre la Russie et l’Occident sont, depuis peu, régulièrement entachées par ces affaires. Car derrière la seule accusation d’ingérence, c’est en fait le cœur de la politique étrangère occidentale envers la Russie qui est remis en cause. Les relations avec le Kremlin ont longtemps été tumultueuses et l’ère Poutine a été marquée par de vifs désaccords, notamment sur les questions ukrainiennes ou syriennes. L’élection de Donald Trump avait pourtant suggéré la fin possible de l’entente simplement cordiale entre les deux pays au profit de relations plus collaboratives. Malgré un contexte apparemment favorable, ces accusations ne font finalement que renforcer la crainte et la défiance mutuelle qui caractérise en partie les relations Russie-Ouest depuis le début des années 2000.

(c) Photo de couverture:  Trip advisor

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ing%C3%A9rence/43065#1DFoyqdO7JbWeijr.99

http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/11/16/madrid-denonce-une-ingerence-russe-en-catalogne_5215715_3214.html#Zx6rpCBdjSgGAhf3.99

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/10/30/enquete-russe-l-ancien-directeur-de-campagne-de-trump-doit-se-livrer-a-la-justice_5207890_3222.html