Manifestation étudiante: La National Demonstration for Free Education sous l’ombre de Corbyn

Par Charlotte Gross

Le 15 novembre, des milliers d’étudiants, venus de tous les coins du Royaume-Uni, se sont rassemblés à Londres pour exiger un retour à une éducation supérieure gratuite. La “National Demonstration for Free Education” est partie de Malet Street, où les organisateurs de la manifestation ont commencé à soulever les étudiants. Les intervenants – des étudiants, des représentants syndicaux, des chefs de partis…- ont bien sûr commencé par mettre l’accent sur la question de l’éducation gratuite, rappelant que, il y a moins une trentaine d’année, jusqu’aux années 1990, l’éducation était un droit, pas un privilège (“education is a right, not a privilege”, un slogan repris plusieurs fois par la foule de manifestants), c’est-à-dire qu’elle était gratuite et accessible à tous, pas qu’aux élites. Pourtant, le gouvernement britannique  est progressivement passé, après le consensus de “l’ère Robbins” (des années 1960 à 1980), à une commercialisation de l’enseignement, avec une hausse exponentielle du coût de l’année universitaire – de  £1000 en 1997 (payés directement, pas en prêt), à un maximum de £3000 en 2004 (cette fois, sous forme de prêt dépendant des revenus familiaux), jusqu’à un plafond de £9000 en 2010, et, il y a presque un an, une augmentation de £250. Ce changement radical illustre un mouvement de radicalisation vers un retour au conservatisme et à l’austérité, avec en conséquence l’abandon de l’éducation entre les mains de la loi du marché. La solution, selon les manifestants? S’unir avec la classe ouvrière, se syndiquer, abolir les privilèges et augmenter les impôts sur la fortune – des tories en grande partie, l’élite qui a bénéficié du système éducatif accessible à tous dans les décennies précédentes, et qui à présent semble voir les étudiants comme des machines à profit.

En parallèle, les intervenants semblent avoir tenté d’englober le plus de questions sensibles possibles – les droits des travailleurs, les “zero hour contracts”, la syndicalisation, le harcèlement sexuel et l’exploitation des ouvriers; les problèmes de “colonisation du curriculum”, le manque de respect des institutions envers les identités sexuelles des étudiants, la discrimination sur le campus; les déportations de migrants, leurs conditions de vie; et enfin, un retour sur la manifestation précédente, “cut the rent”, pour protester contre les prix trop élevés des loyers étudiants dans les logements universitaires. En somme, une sorte de melting-pot de tout ce qui affecte la vie étudiante, de près et de loin. Forcément, on peut comprendre que les intervenants tenter de toucher à autant de ces sujets possibles, de profiter du fait que tant de manifestants se soient mobilisés en masse à cette occasion, mais il se peut que le fait d’amalgamer autant de notions dans une même manifestation obscurcisse quelque peu les objectifs principaux. Le fait d’avoir autant de messages disparates – par exemple, faire un point sur la question de l’indépendance de la Catalogne – part évidemment d’une intention de faire de la manifestation un événement global et inclusif, ce qui a dû se faire au détriment du maintien d’une ligne droite d’action.

Un nom revient, clamé par la foule: “Oh, Jeremy Corbyn”. Le leader du parti Labour depuis 2015 dépend en effet assez de cette plateforme étudiante et ouvrière, qui s’est largement mobilisée pour les élections générales de 2017 et qui a permis au parti de gagner une majorité parlementaire (même si le parti conservateur reste le plus large). Corbyn a, un jour avant la manifestation, envoyé ce message de soutien –  “Everybody should have access to high quality education from the cradle to the grave, without being forced into debt and anxiety (…) Together we can build a movement to demand high quality education for the many, not the few. And in government, Labour will deliver it.” Le sentiment général semble être un grand élan d’espoir, en comptant sur un rassemblement ouvrier et étudiant vers le leader charismatique, un sentiment qui va d’ailleurs (dangereusement, en ce qui concerne les besoins de crédibilité) presque jusqu’à la parodie – aperçus hier: un ballon rouge avec une photo du visage de Corbyn scotchée dessus, et une pancarte avec Corbyn couronné d’une guirlande de fleurs. Theresa May, elle, a été l’objet des slogans les plus agressifs, de “Say Hey, Say Ho, Theresa May has got to go” jusqu’à “F… you Theresa May”, en passant par “When we say ‘Tories’, you say ‘scum’”, criés devant le logement du Premier Ministre, à 10 Downing Street.

Le mouvement s’est arrêté à Parliament Square. Les intervenants ont remercié les manifestants, ont distribué des pamphlets pour les événements et conférences à venir. Les slogans de base – “What do we want? Free Education! When do we want it? Now!” ou “When they say ‘cut back’, we say ‘fight back’” – ont été clamés encore quelques fois, jusqu’à ce que la foule se disperse, et se sépare sur le chemin de retour. Je pense que nous nous doutons bien que beaucoup des demandes resteront ignorées avant un certain temps, et que le chemin vers une éducation désembourgeoisée, débarrassée de toute forme d’élitisme, et complètement accessible pour tous, sera long. Mais, en partant de Parliament Square, nos pancartes sous les bras, les slogans dans la tête, et la voix détruite à force d’hurler toujours plus fort, il est dur de se séparer de la croyance tenace que, hier, nous avons mis en marche quelque chose.

Quelques événements à venir: 

21 Novembre, 18h30: “Fighting Racism and Islamophobia”, Ricardo Lecture Theatre, Drayton House, 30 Gordon St, London, WC1H 0AN

21 Novembre, 18-20h: “University of London In-House NOW: Foundation Day Protest”, Senate House

22 Novembre, 12h: “Scrap Uni Fees! Protest Budget Day”, rassemblement à Parliament Square

27 Novembre, 18h: “How do we bring down the Tories?”, meeting room 1, West Wing, Guy Campus