Par Yael Kunz
Le 27 octobre dernier sortait le dernier opus de la série de jeux vidéos à succès, Assassin’s Creed : Assassin’s Creed Origins. L’opus était très attendu par les fans de la série et a été encensé par la critique dès sa sortie. Annoncé comme l’épisode du renouveau, il a visiblement tenu sa promesse, proposant un gameplay innovant et même étonnant au vue des précédents opus de la série, et offrant un nouveau regard sur le jeu vidéo en général. Certains membres de la communauté gaming espèrent même que la sortie de ce jeu permettra d’ouvrir la voie à un changement de mentalité et, surtout, amènera ceux qui jusque là étaient réticents face aux jeux vidéos, à les considérer comme média à part entière et comme une certaine forme d’art. Car si les jeux vidéo font plus souvent parler d’eux par leur violence que par leur contenu ( comme se fut encore le cas récemment avec les campagnes de Wolfenstein II, Detroit ou encore The Last of Us 2 ), Assassin’s Creed Origins a le mérite d’être aborder sous d’autres angles, notamment celui de sa relation avec l’ Histoire.
A vrai dire, la corrélation entre jeu vidéo et Histoire n’est pas quelque chose de nouveau. En effet, le succès de la série Battlefield par exemple est principalement du à cette volonté d’insérer chaque opus dans un contexte bien précis, comme c’est le cas avec la Première Guerre mondiale dans Battlefield 1 où l’on peut revivre des batailles emblématiques de cette période – telle que la bataille de Verdun – armé de fusils à verrou ou de gaz de combats – des armes qui étaient bel et bien utilisées à cette période. Il y a donc bien une volonté d’offrir aux joueurs un gameplay cohérent, qui s’inscrit dans une certaine réalité historique.
Matthieu Letourneux, chercheur français en littérature, a notamment relevé l’importance de la période médiévale, qui est très fortement représentée dans les jeux vidéo, essentiellement à travers l’univers fantasy. Néanmoins, il reconnaît également l’apparente opposition entre les jeux vidéo et l’Histoire. Quand, dans les jeux vidéoi, le gameplay repose sur une histoire qui ne peut être prédite à l’avance, afin d’entretenir le suspense et l’envie du joueur, l’Histoire, elle, a déjà été écrite. C’est là que réside la puissance d’un jeu tel qu’Assasin’s Creed : s’il utilise l’Histoire comme contexte, c’est bien les parties d’ombres de cette même Histoire qu’il utilise comme bases pour son gameplay. Maxime Duran, historien ayant travaillé sur la production Assassin’s Creed explique :
« Nous exploitons les petits manques de l’Histoire. Par exemple, lors de la prise du Palais des Tuileries, Napoléon Bonaparte était présent, mais l’Histoire n’explique pas pourquoi. Nous si. »
De ce fait, on pourrait notamment comparer la série Assassin’s Creed à des films tel que Da Vinci Code, où certains faits ou éléments historiques marquants de l’Histoire sont exposés, tout en apportant une intrigue riche et complexe sur les raisons cachées de ces événements.
L’essence même de la série Assassin’s Creed repose sur le conflit opposant Templiers et Assassins. Les Templiers font bien sûr référence à l’ordre religieux et militaire chrétien qui se distingua notamment durant la période des Croisades ( XII°-XIII° siècle ). Les Assassins quant à eux font référence aux Nizârites, une communauté qui professait une lecture ésotérique du Coran, et qui existait à peu près au même moment que celle des Templiers. Si les deux communautés ont donc bel et bien existé et professé des visions contraires, le jeu exploite ici le peu de sources historiques disponibles afin de mettre en place ce qui deviendra la base de la mythologie du jeu : le conflit entre deux organisations qui auraient perduré au fil des siècles et qui seraient à l’origine des grands moments ( notamment ceux inexpliqués ) de l’Histoire telle que nous la connaissons. Cette mythologie propre au jeu repose également sur des artefacts tel que la Pomme d’Eden qui est, elle aussi, liée à la véritable Histoire, certains de ses fragments étant présents dans des objets d’une grande importance historique tel que l’épée d’Excalibur. Il y a donc ce parallèle entre l’Histoire en tant que contexte, qui est présentée de façon assez cohérente dans les jeux, et l’Histoire en tant qu’outil, utilisée afin de développer une intrigue et un monde à part entière. Il ne faut pas confondre l’Histoire et l’histoire. C’est pourquoi il ne faut pas interpréter tout ce qu’il se passe ou que l’on peut voir dans les Assassin’s Creed comme de purs faits historiques car il y a en effet des incohérences dans les différents jeux : la présence de Dickens à Londres dans Assassin’s Creed Syndicate, par exemple, alors que ce dernier n’y était pas présent au moment où se déroule l’action du jeu, reflète la volonté de l’équipe d’Assassin’s Creed de rendre hommage aux grandes figures de l’époque, même si cela signifie tordre la réalité afin de l’adapter au jeu.
De ce fait, certains réfutent sa qualité de jeu dit « historique ». Mais comme le dit Aymar Azaizia, directeur contenu de la marque Assassin’s Creed :
« On a pas la prétention de faire un document historique de référence international. On a pour prétention de faire un jeu qui redonne avec excellence le sentiment qu’on pouvait avoir à l’époque. »
C’est là que réside tout l’aspect historique et enrichissant de ce jeu, et notamment du dernier opus, qui est en préparation depuis début 2014. Dans Assassin’s Creed Origins, le joueur se retrouve très vite familiarisé avec un contexte qui est celui de l’Egypte de -49 avant JC. Les premières minutes du jeu peignent le portrait de la vie quotidienne de ces habitants, leurs habitudes et la façon dont ils rendent hommage à leurs dieux par exemple. On y voit aussi le pharaon Ptolémée, traversant la cité à dos d’éléphant d’une façon majestueuse et imposante, reflétant bien la propagande pharaonique de l’époque. Plus tard dans le jeu, Bayek, le personnage joué, fait la connaissance d’importants personnages tel que Cléopâtre ou Jules César et se familiaris avec la période post-ptolémaïque, l’arrivée de l’Empire romain en Egypte et la préparation de la guerre civile. Non seulement le joueur baigne dans ce contexte historique, mais il découvre également les différents aspects de la vie quotidienne et surtout les différents lieux (temples, ville, désert, habitat…). Le joueur est très vite amené à ressentir ce qu’un habitant de l’Egypte antique pouvait ressentir face à ce qui se trouvait autour de lui. Il est amené à connaître la réalité de la vie à l’époque. Pour ce faire, le directeur artistique d’Assassin’s Creed Origins explique que l’équipe artistique a notamment joué sur les proportions des temples et des statues : l’angle de vue ayant tendance à écraser le paysage dans le jeu, ils ont exagéré les proportions afin de re-créer l’impression qu’on pouvait avoir devant les monuments tel qu’ils étaient en réalité. De plus, un gros travail de recherches a dû être effectué, non seulement pour transformer l’image de l’Egypte telle qu’on la connaît aujourd’hui afin qu’elle corresponde à celle qu’elle était deux millénaires auparavant, mais surtout pour re-créer des monuments – tel que la bibliothèque d’Alexandrie- ou même des villes entières – telle que Memphis- qui n’existent plus aujourd’hui. Ainsi, l’équipe du jeu est parvenue à apporter une dimension bien plus réelle et palpable à des monuments aujourd’hui disparus et dont on ne pouvait jusque-là avoir un aperçu que par le biais d’écrits de l’époque ou de croquis.
Avec ce dernier opus, il y a également une volonté d’accentuer l’intérêt historique et pédagogique du jeu. En effet, le 27 octobre dernier, l’équipe du jeu a privatisé le département des antiquités égyptiennes du British Museum. Différentes activités et visites thématiques y ont été organisées tout au long de la journée afin de présenter certains aspects de la vie égyptienne à cette époque ( l’art égyptien et la religion, les hiéroglyphes, la création du monde dans l’Egypte ancienne… ) et d’expliquer par quels moyens ils ont été retranscrits dans le jeu. C’est d’ailleurs lors d’une conférence ce jour-là que l’équipe d’Assassin’s Creed a annoncé la création du mode Discovery Tour. D’après Jean Guesdon, le directeur créatif du jeu, ce nouveau mode donne au jeu une nouvelle dimension, celle d’être « un musée à ciel ouvert ». Ainsi, Assassin’s Creed Origins pourra être utilisé afin de découvrir et apprendre l’Histoire.
À vrai dire, le jeu était déjà utilisé par quelques professeurs afin d’enseigner certains événements historiques à leurs élèves et ce, par le biais d’un outil que la plupart connaissent bien : le jeu vidéo. En filmant le parcours de leur personnage, ces professeurs pouvaient ainsi montrer à leurs élèves à quoi ressemblait le Paris du XVIIIe siècle et les différents lieux historiques liés au programme qu’ils enseignaient. Certains ont également mis en avant les différentes incohérences du jeu, en s’appuyant sur des sources historiques afin de créer une discussion en classe et développer le sens critique de leurs élèves. Un professeur d’histoire-géographie, a même mis à profit les critiques dressées par Jean-Luc Mélenchon à l’égard du jeu Assasin’s Creed Unity, qui selon lui renvoyait une image négative de la Révolution française et du personnage de Robespierre, montrant à ses élèves qu’un jeu vidéo peut également avoir un enjeu politique.
D’ici février 2018, avec ce nouveau mode, Assassin’s Creed ne sera plus seulement un outil pouvant être utilisé à des fins pédagogiques, mais reflétera une volonté d’enseigner aux joueurs l’Histoire dans laquelle ils évoluent. En effet, ce mode annexe proposera au joueur de se plonger dans l’environnement et la vie quotidienne de l’époque à travers différentes visites guidées (le phare d’Alexandire, les pyramides…) ou explications (la momification, le personnage de Cleopâtre…), qui ont été écrites par des égyptologues. La longueur de ces visites a même été étudiée dans l’optique de pouvoir être exploitée au mieux en classe, une vidéo de 20 minutes sur un cours d’une heure permettant de donner les informations nécessaires tout en laissant assez de temps pour pouvoir en discuter ensuite.
Ainsi, avec ce mode sans gameplay, Assassin’s Creed Origins renverse le rôle du jeu vidéo et repousse ses possibilités. Dans la peau de Bayek, le joueur peut désormais remonter le temps, et évoluer dans une civilisation aujourd’hui perdue, d’une façon qui se rapproche au mieux de la réalité. Cette expérience historique et interactive qui peut, d’un certain point de vue, être reconnue comme authentique, nous force à considérer le jeu vidéo, non plus comme un unique passe-temps, mais comme un outil artistique, historique et culturel à part entière.