OrelSan: Le retour du rap « sous un crachin normand »

Orelsan, pour beaucoup de gens, c’est un intrus dans ma playlist. Il est tranquillement installé au milieu de mes chansons de Dragonforce, Marylin Manson ou encore Falling in Reverse et apparemment, ça choque. Moi je défends qu’il y est à sa place. Orelsan, c’est violent parfois, ça transgresse les règles souvent, et c’est toujours innovant, c’est tout autant de points communs avec la musique que j’aime !

Sorti fin octobre, son nouvel album La fête est finie est un autre OVNI (soi-disant !) dans ma biliothèque musicale. Avec ce nouvel album, le rappeur caennais explore plus de possibilités musicales encore qu’avec ses 2 albums précédents. Lui et son producteur, Skread, quittent les beats rétro-futuristes et répétitifs sur certains des titres pour des atmosphères musicales plus construites, avec notamment les voix des chanteuses d’Ibeyi sur Notes pour trop tard, apothéose de l’album. Orelsan reste malgré tout lui-même : un gamin de l’ouest, cru et cynique qui parle de la célébrité, des filles et évidemment de la pluie lorsqu’il rappe au moins autant qu’il chante sur ces 14 titres.

Le premier est « San » qui commence sur un ton pessimiste, dans l’atmosphère de son précédent album Le Chant des Sirènes (2011). Pourtant on observe un retournement de situation, un refus de « craquer », où il nous crie son désir d’aller de l’avant, c’est presque une promesse vis-à-vis de la suite de l’album. Promesse qu’il concrétise avec « La fête est finie ». Son intro et ses refrains au piano donnent une touche de nostalgie parfaitement adaptée à ce son rythmé par les « Un jour » où Orelsan réalise l’âge qu’il a et à quel point il a changé. Le rythme, assez mélancolique, reste néanmoins dansant. On retrouve d’ailleurs un beat très rythmé sur « Basique », cet enchaînement de punchlines sur un son  électro sorti un mois avant l’album où Orel nous (re-)donne les « bases » pour le comprendre.

On change d’atmosphère avec « Tout va bien ». Co-produit par Stromae (et ça se sent), cette chanson dénonce les problèmes de notre société en leur donnant des explications infantilisantes. C’est bien écrit, la chanson est touchante. Le titre suivant est beaucoup moins enfantin : « Défaite de Ffmille » décape. C’est cru et méchant, quand Orel décrit les défauts d’une famille des classes moyennes. C’est vraiment cathartique d’entendre dénoncer toutes ces choses qu’on déteste mais qu’on accepte dans notre propre entourage. Et puis on retrouve indirectement le personnage de Janine (la mamie d’Orelsan), déjà présent lors de son long-métrage Comment cest loin !

Nouveau changement total d’état d’esprit avec « La Lumière », une musique planante pour une description presque trop cheesy d’un coup de foudre. Orelsan livre enfin le début d’une histoire d’amour plutôt qu’une rupture, et réussit à nous faire ressentir à quel point ce sentiment le transporte. Pourtant, « Bonne meuf » (avec ce style minimaliste que j’adore chez Orelsan) est très clair sur le fait que ce n’est pas tout rose : la tentation est toujours là. Et puis la célébrité a changé Orelsan en « Bonne meuf » qui prend soin de son apparence. Quand est-ce que ça s’arrête » reprend à son tour ces problèmes de célébrité et de fidélité et la déception que la réalité ne colle pas aux idées qu’il s’était faites sur ces deux sujets.

Avec « Christoph», on est loin de la profondeur des titres précédentes, c’est un délire entre potes, une chanson pas sérieuse sur un blanc qui fait du rap en se moquant des codes et un black à mi-chemin entre le rap US et la variété française, puisqu’il est « le pont entre Young Thug et George Moustaki ». C’est un featuring réussi avec « Le Noir le plus aimé du Central-Massif » Maître Gims, qui dénonce malgré son refrain absurde, le racisme latent en France et dans l’univers de la musique.

Un featuring un peu moins réussi ensuite : « Zone ». Composé de 3 couplets pour 3 rappeurs (Orelsan, Nekfeu et le Britannique Dizzee Rascal), c’est du rap qui parle du rap, avec un couplet d’Orelsan à l’ancienne pessimiste et enragé.

« Zone » s’écoute sans difficulté et le titre suivant vient changer la donne. Dans ma ville, on traîne » est une ode à la ville de Caen. Orelsan nous livre sa hate-love relationship avec sa ville natale, les critiques s’enchaînent avec les souvenirs d’enfance « sous un crachin normand ». Une chanson pleine de poésie donc, que « La pluie » qui lui succède, vient compléter. Le tout premier album (Perdu d’avance, 2009) commençait par le bruit d’un orage, et cette humidité n’a jamais cessé d’imprégner les textes du rappeur normand, c’est tout naturellement le Belge Stromae qui apparaît pour lui donner la réplique. En tant que gamine de la Lorraine, je peux pas m’empêcher d’apprécier cette chanson.

On arrive pour moi à la crème de la crème : les deux derniers titres. Le premier est « Paradis », et c’est une déclaration d’amour. Passé le choc de voir une deuxième chanson romantique sur l’album d’un rappeur célèbre pour ses chansons de ruptures plus que douloureuses (« Sale pute », la chanson qui a fait le buzz et a rendu Orelsan connu, en est notamment une), on se plait à sourire en entendant certaines punchlines comme « Nos enfants donneront aux nazis l’envie d’avoir des enfants métissés ». Alors oui, c’est outrageusement idéaliste, mais c’est complétement assumé dès le titre, donc je prends. Et puis l’apothéose, dans « Notes pour trop tard », le rappeur donne des conseils de vie à un grand ado (lui-même à 17 ans ?) pour l’aider à traverser cette période et grandir. Le beat discret, les chants d’Ibeyi et la bienveillance des paroles donnent un petit chef-d’œuvre de la chanson française.

Si on devait dresser un bilan stylistique et musical de l’évolution d’Orelsan à travers cet album, on pourrait faire comme les Inrockuptibles, et affirmer qu’on n’est presque plus dans le rap. Après tout, que retrouve-t-on de la culture hip-hop chez cet Orelsan ? Pas grand-chose. Même en terme de sonorités, on est plus proche da la chanson française et de la pop music. Et effectivement, c’est une des caractéristiques centrales de l’évolution d’Orelsan. Lui qui est parti d’un rap bien rap, il finit progressivement par chanter un rap bien pop. Que l’artiste en ait conscience ou non, il est de moins en moins un rappeur « qui fait de la musique de Noirs », mais un Français qui fait de la musique francophone.

Musique francophone, avec tous les imaginaires symboliques et émotionnels que cela implique. Musique francophone, avec la richesse des textes de la chanson française, du rap français, des imaginaires de toutes les régions du monde qui sont francophones. Orelsan ouvre la page à un nouveau style qui en agrège plusieurs, un style typiquement francophone, peut-être davantage que français.

Comme pour tout style musical, dans le rap il suffit de creuser un peu pour trouver de la qualité. Loin de la masse du rap français ou américain commercial, aux thèmes simplistes et aux textes sans aucune profondeur ni poésie, Orelsan nous livre un troisième volet à la hauteur des 6 années d’attentes. Dans La fête est finie il déclare ses sentiments ambigus pour sa ville natale, sa famille et souvent sa célébrité tout en gardant sa célèbre habilité à jouer avec les mots. Si cet album est celui de l’acceptation de la maturité, il frise malgré tout la niaiserie dans ses chansons d’amour (« Paradis » et « La Lumière) avec une maladresse touchante. Orelsan n’est plus un jeune rappeur presque alcoolique, anti-système et dépressif. Son rap s’élève toujours plus haut musicalement et intellectuellement, cet album est donc à écou