Catalogne: les rouages de l’indépendance

Par Elisenda Gascon

Avec plus de 7 millions et demi d’habitants, la Catalogne est la deuxième région la plus peuplée de l’Espagne. La région est l’une des plus actives économiquement: elle représente un cinquième du PIB espagnol et est la première région touristique de l’Espagne. Maintenant, le mouvement séparatiste catalan a bouleversé la situation politique et économique de la région.

Une histoire bouleversée entre l’Espagne et la Catalogne

Le mouvement indépendantiste catalan tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est né que dans les années 2000, mais les tensions entre l’Espagne et la Catalogne remontent au Moyen Âge. À cette époque, la région, qui faisait partie de la Couronne d’Aragon, possédait déjà une autonomie et une identité fortes, grâce à une langue propre et une organisation institutionnelle développée. Cependant, cette autonomie arrive à sa fin au sortir de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), avec l’arrivée du roi Bourbon Philippe V. Le 11 septembre 1714, date de la fin du siège de Barcelone, est maintenant la fête nationale de la Catalogne. Depuis 2012, cette fête rassemble les séparatistes catalans autour de manifestations organisées par les institutions catalanes.

Le nationalisme catalan se trouve cristallisé au XIXè siècle alors que la bourgeoisie catalane, en réponse à une situation défavorable causée par la perte du marché colonial espagnol en 1898, essaie de gagner du poids politique vis-à-vis des élites espagnoles.

La naissance du mouvement séparatiste contemporrain

Le mouvement indépendantiste actuel voit le jour à la suite de la réforme du statut d’autonomie de la Catalogne en 2003. Le Tribunal constitutionnel a refusé 14 articles qui faisaient référence à la Catalogne comme “nation” et qui plaçaient le catalan dans une position préférentielle dans l’administration. Une grande manifestation eut lieu à Barcelone en réponse à ces réformes. De plus, la crise économique de 2008 a accentué les mouvements nationaux catalans, qui considèrent que la distribution financière est injuste. En effet, les catalans sont les deuxièmes contributeurs d’impôt les plus importants en Espagne.

Depuis 2012, les manifestations pour l’indépendance se sont multipliées, notamment celles du 11 septembre, fête nationale de la Catalogne. En 2014, un premier référendum (non contraignant) s’est produit, où environ 80% des 2 millions de votants se sont prononcés pour l’indépendance, selon le gouvernement catalan. De même, le gouvernement a essayé pendant ces dernières années de donner une dimension plus internationale à la question catalane en appellant la reconnaissance de l’Union Européenne, ainsi qu’en ouvrant des délégations catalanes à l’étranger.

La situation actuelle

Le référendum d’autodétermination qui a eu lieu le 1er octobre 2017 a aggravé les tensions déjà existantes entre la Catalogne et le gouvernement central espagnol. D’une part, le gouvernement catalan a assuré que le référendum s’est déroulé avec succès et que le “oui” a remporté 90% des voix des plus de 2 millions de personnes qui auraient participé au vote. D’autre part, le gouvernement espagnol a essayé d’empêcher le vote à l’aide d’un vaste déploiement policier, ce qui a beaucoup attiré l’attention des média internationaux.

Pour éviter une possible déclaration d’indépendance de la Catalogne, Mariano Rajoy, chef du gouvernement espagnol a activé le 21 octobre l’article 155 de la Constitution, qui permet une suspension temporelle de l’autonomie de la Catalogne. Quelques jours plus tard, la dissolution du Parlement catalan a été annoncée ainsi que de nouvelles élections régionales le 21 décembre.

Pendant ce temps, le Procureur Général de l’Etat a inculpé tous les membres du parlement catalan pour “rébellion”, “sédition” et “malversations”, délits qui peuvent entraîner des peines allant jusqu’à 30 ans de prison. Actuellement, huit membres du gouvernement sont en prison. Ce même jour, Carles Puigdemont, président de la Généralité de Catalogne, s’est replié à Bruxelles, en affirmant qu’il partait pour éviter une montée de la violence.

Quelles implications sur l’économie?

Si l’indépendantisme paraît aussi populaire parmi les catalans, il semble moins séduire les entreprises. En effet, les deux banques les plus importantes de la Catalogne ont déjà transféré leur siège social en dehors de la région, ce qui les protège de l’incertitude juridique que supposerait l’indépendance. Mais le secteur financier n’est pas le seul à vouloir éviter la situation d’incertitude actuelle. Près de 2000 entreprises ont déplacé leur siège depuis le référendum du 1er octobre. La semaine dernière, l’organisation responsable du Mobile World Congress a déclaré que la continuité de Barcelone comme capitale mondiale de la téléphonie mobile était menacée, étant donné qu’une certaine stabilité politique et sociale sont nécessaires pour le bon fonctionnement du congrès. Le tourisme semble également pâtir des symptomes de l’instabilité politique et aurait, d’après les experts dans ce secteur, diminué de 15% depuis le vote du 1er Octobre.

Maintenant, le défi pour les partis politiques catalans est d’obtenir une majorité de votes favorables aux partis indépendantistes. Pour le moment, les deux principales formations favorables à l’indépendance, le Parti démocrate et la Gauche républicaine, ne semblent pas parvenir à former une coalition. Les sondages prévoient une participation record, supérieure à 80%. Cependant, il n’est pas prévu que les formations indépendantistes obtiennent une majorité absolue au Parlement. Ces préoccupations sont pour certains la vitrine de la timide mais nombreuse voix Catalane attachée au maintien de l’unité espagnole, qui s’est finalement exprimée le 29 Octobre 2017 à Barcelone lors d’une gigantesque manifestation. Une jeune manifestante affirmait alors au micro de la BBC: «Je me sens à la fois catalane, espagnole et européenne. Me séparer de l’Espagne serait absurde ! Je refuse désormais d’être l’otage des politiciens indépendantistes… »

Sources: