Par Rita Bouziane
Le revenu universel est au coeur des débats d’ordre économique et semble dépasser les clivages politiques, faisant converger la Gauche et la Droite, du moins dans l’idée. En France, il constitue l’un des projets phares du candidat socialiste à la présidentielle, Benoît Hamon. En somme, chaque individu recevrait un versement mensuel – entre 450 et 1 000€ – cumulable avec l’ensemble de ses revenus de transfert. Appliqué, ce revenu devrait être perçu dès de la naissance de la personne physique, et-ce, jusqu’à sa mort, inconditionnellement. Soulignons d’abord que l’idée n’a rien de novateur puisqu’en 1797, l’Américain Thomas Paine proposait la mise en place d’un fonds alimenté par l’ensemble des propriétaires terriens afin de verser un dividende à chaque individu, après sa majorité.
Mais pourquoi l’idée d’un revenu universel fait-elle son grand retour? Une justification à cela serait la hausse du chômage de masse en France auquel s’ajoute la montée de la précarité ainsi que de la pauvreté. En effet, le nombre de chômeurs a été multiplié par 7 entre 1974 et 2016 (Insee, Mars 2017). Ainsi, le revenu universel serait-il un outil de lutte de relancement de l’activité économique. Dans notre développement, nous tenterons de définir ce qu’il est concrètement et explorerons les divers moyens de le financer. Ensuite, nous nous intéresserons à ses détracteurs pour qui il pousserait à l’assistanat et pour qui la majorité de ceux qui en bénéficieraient ne prendraient pas part à son financement. Aussi, où en est le marché du travail aujourd’hui? Enfin, nous marquerons un arrêt en Finlande puisque depuis le mois de Janvier, le gouvernement a décidé de lancer une expérience nationale consistant à distribuer 560€ à un groupe tiré au hasard de 2 000 chômeurs.
Le revenu universel: quézako?
- Le revenu universel en théorie:
Le principe même du revenu universel se retrouve dans l’idée du versement d’une allocation mensuelle à chaque citoyen, dès sa naissance et à vie, inconditionnellement. Un tel revenu fixe permettrait en théorie de couvrir les besoins de base de tout un chacun et il serait évidemment complétable par le revenu généré par un emploi. L’ensemble des partisans modernes de l’idée d’un revenu universel s’accordent à dire que sa mise en place favoriserait l’égalité entre les citoyens mais ils divergent quant à sa méthode d’application au niveau de trois points charnières étant: le profit des bénéficiaires, le montant et le mode de financement. Nous allons nous focaliser pour l’instant sur les deux premiers points.
En effet, aux yeux de ses partisans, le revenu universel devrait être perçu par tout citoyen, qu’il soit une personne physique mineure ou majeure. D’autres cependant, pensent qu’il faudrait le limiter aux adultes ou du moins, octroyer un montant moins important aux mineurs. En ce qui concerne le potentiel montant d’un tel revenu, les plus libéraux souhaitent qu’il soit relativement bas – aux alentours de 500€ – car il encouragerait l’inactivité. D’un autre côté, une partie s’accorde à dire qu’il devrait être relativement élevé, soit 1 000€ environs, afin que les citoyens aient la liberté de choisir ou non de travailler.
- Le revenu universel selon Benoît Hamon:
Selon Julien Dourgnon, le conseiller économique de Benoît Hamon à propos de la question du revenu universel, son instauration est une nécessité et ne serait en rien une incitation à la paresse. Interrogé par les journalistes d’Alternatives Economiques (n°366; Mars 2017), il présente le revenu universel comme “un dû”. Selon Dourgnon, le revenu universel rompt “le lien exclusif entre emploi et revenu. […] [L’emploi] continuera d’être une source de distribution des revenus primaires”. De ce fait, le revenu universel serait un autre revenu primaire continu et inconditionnel, libérant ainsi le pouvoir d’achat des individus de l’employeur ou du marché du travail. En somme, le revenu universel tel qu’il est perçu par Benoît Hamon et son équipe place la société comme un facteur de production, au même titre que le travail et le capital.
Concrètement, une mise en place concrète du revenu universel reviendrait selon Julien Dourgnon à son instauration graduelle qui irait d’une “amorce d’apparence modeste, mais significative dans ses effets” qui se solderait en le versement de 120 euros par adulte et 60 par enfant, dès la naissance. Le financement de cette première phase serait rendu possible par un impôt qui remplacerait la taxe foncière et signerait la mort de l’impôt sur la fortune. Cet impôt sur les entreprises et les ménages serait à hauteur de 0.8% par an. In fine, une hausse en même temps qu’une généralisation du revenu aux alentours de 750 euros nécessiterai des recettes fiscales suplémentaires.
Comment financer le projet en France?
Dans un premier lieu, le revenu universel venant se substituer à certaines allocations sociales, il convient de les déduire pour apprécier le coût de ce premier. De ce fait, il ne sera plus question pour l’état de verser le revenu de solidarité active (RSA) et les allocations familiales seraient nettement réduites. Cependant, une réelle économie ne serait rendue possible qu’en s’attaquant à la Sécurité Sociale et en faisant s’effondrer ses piliers soit toutes les parties de la protection sociale qui couvrent la santé, les retraites et celles qui concernent l’assurance chômage. Alors où trouver les 270 milliards d’euros restant et nécessaires? Selon l’économiste Jean Gadrey (“Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, 2015), le déblocage de la somme serait rendu possible en passant par la fiscalité ou la création monétaire mais il souligne tout de même que l’option de passer par la création monétaire demeure réservée en priorité au lancement effectif de la transition écologique et sa continuité sur le long terme. Quand à la première option, elle ferait passer “le taux de prélèvements obligatoires […] de 44.7% à 57.1%”. Une chose est certaine, sans impôt universel, le revenu universel ne pourra pas voir le jour puisque l’impôt est le premier outil redistributif de la France. Bien plus encore, le revenu universel viendrait remplacer l’ensemble des mécanismes de redistribution verticale des riches vers les pauvres et horizontales.
Pour ce qui est des propositions du candidat socialiste Benoît Hamon, elles demeurent à ce jour floues et peu réalistes.
La Finlande expérimente:
Pendant deux ans et à compter de Janvier 2017, la Finlande va tester les effets du revenu de base sur 2000 habitants, tous âgés entre 25 et 58 ans et tirés au sort. Pourquoi ne pas élargir le dispositif à l’ensemble des chômeurs Finlandais? “Donner un statut aussi avantageux à un groupe de citoyens risque fortement d’être jugé inconstitutionnel” d’après Marjukka Turunen, la responsable du service juridique de Kla, l’institution chargée des assurances sociales en Finlande. A cela, s’ajoute le coût qui plongerait le pays dans un gouffre financier car la Finlande n’a pas de budget suffisant à l’universalité de ce revenu. Selon l’économiste Ikka Kaukoranta, une telle mesure augmenterait le déficit national de près de 5% du Produit intérieur brut.
Ainsi, pour les 2000 concernés, ce revenu vient remplacer leurs indémnités chômage – il s’agit pour beaucoup d’entre eux de demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits aux allocations de base – à raison d’un revenu mensuel de 650 euros, exonéré d’impôts. Le but est tout d’abord d’inciter les chômeurs à se lancer dans une création d’activité ou à accepter un emploi même précaire car leur revenu universel leur permettera de vivre en-deçà de ce salaire précaire. Si les “sceptiques y voient une manière de flexibiliser davantage le marché du travail” (Alternatives Economiques, n°366; Mars 2017), les partisans du projet qui ont permis sa concrétisation pensent bien étendre la liste de bénéficiaires aux jeunes disposant d’un faible revenu, âgés entre 18 et 25 ans, à condition que ce premier échantillon ait largement réintégré le marché du travail. Jusque-là, le projet semble aller bon train:
«J’ai lancé mon entreprise il y a douze ans; puis, je l’ai liquidé il y a cinq ans. Depuis, pour tenir, j’ai accepté de petits jobs. Mais là, avec le revenu de base, je vais enfin pouvoir retenter ma chance et relancer ma propre société.» Juha Jarvinen (37), photographe et vidéaste
Le fin du travail pointe-t’elle réellement le bout de son nez?
Au coeur même du débat relatif au revenu universel se trouve la question de l’emploi, et donc par extension: du travail. En France, depuis 1974, l’emploi se raréfie et surtout, sa qualité se détériore. En effet, de 1974 à 2016, les emplois à temps partiel ont été multipliés par quatre (Insee, 2017) et les emplois temporaires – soit les CDD ou les contrats par intérim – ont été pour leur part multipliés par dix. Une autre chose est certaine, c’est que la croissance ralentit depuis quarante ans (Insee, 2017) et que c’est la croissance qui est le principal générateur d’emplois.
Et si l’emploi ne se faisait pas plus rare, mais se transformait? En effet, en France, l’an passé, alors que la croissance du pays était relativement basse (+1.1%), 200 000 emplois furent créés. Il est certain que le chômage demeure présent et pesant, cependant, une analyse rapprochée du marché de l’emploi montre que c’est la profonde transformation de notre système économique, le vieillissement de la France et la révolution numérique qui y sont pour beaucoup et que ce n’est pas l’emploi en soit qui présente un problème mais son adaptation aux nouvelles réalités économiques. De même, les formations à l’emploi doivent également subir des transformations assez radicales. En effet, selon l’Insee, entre 2007 et 2015, en France métropolitaine, le “nombre de cadres, professions intellectuelles, professions intermédiaires progressaieny de 1.1 million” tandis que “le nombre d’emplois les moins qualifiés – ouvriers, employés – a reculé de 900 000.
L’idée d’un revenu universel a pris corps au XXème siècle, et a su charmer – assez paradoxalement – la droite libérale de Friedrich Hayek ainsi que les membres de l’Ecole de Chicago, menés par Milton Friedman. Aujourd’hui, si il venait à être instauré, il s’inscrirait dans la logique de la mondialisation telle que nous la connaissons ou grâce à l’attribution qu’il génère, l’Etat se retirerait peu à peu, laissant ainsi les individus livrés à une concurrence libre et ouvrant la voie à un marché du travail plus flexible.
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