Par Raphaël Cario
Alors que Yannick Jadot vient de se retirer au profit de Benoit Hamon, à l’aube du premier tour de la présidentielle, l’écologie n’est pas mise au premier plan du débat politique et ne semble pas non plus une des priorités des Français (rarement dans le top 10[1]). Alors même que le mouvement peine à se remettre de son score de 2012 et des querelles internes égrainées tout au long du quinquennat, les Verts semblent rester dans l’ombre du parti socialiste. Mais le problème majeur de EELV n’est pas seulement d’ordre politique, c’est un problème de fond. On pourrait croire que l’écologie soit le sujet le mieux maitrisé par ce parti dont c’est l’engagement premier or c’est sur ce sujet même que ses propositions semblent étonnamment discutables. A côté de propositions classiques d’une gauche dure assez traditionnelle – opposition aux grands accords de libre-échange, antilibéralisme, etc.-, le noyau (que l’on ne saurait rompre) de son programme, repose sur deux propositions clés ; l’arrêt total du nucléaire[2], et une réforme de l’agriculture, sans pesticides ni OGM[3]. C’est de ces dernières dont nous traiterons.
S’agissant du nucléaire ; c’est un sujet central étant donné que la consommation d’énergie en France, domestique et industrielle confondues, provient à 78% de l’énergie nucléaire. (Indépendance énergétique, transition suivant un arrêt des centrales vers le pétrole.). Cette énergie est bon marché. Par ailleurs, elle est produite à partir de vapeur d’eau (i.e. chauffée avec l’énergie thermique dégagée par la fission nucléaire). On produit donc une énergie à l’utilisation propre car électrique. Cela a pour conséquence de réduire très largement notre émission de gaz à effet de serre, nous faisant figurer à la 65ème place du classement d’émission de C02 par habitant, loin derrière quasiment tous nos partenaires européens (Royaume-Uni, Espagne, Italie, Allemagne, Grèce, Belgique, Pays-Bas, etc.)[4]. Et cela est vrai, malgré le fait que la France revende à ces pays une partie de sa production nationale d’énergie (réduisant par conséquent leur production de C02). De plus, cela rend les initiatives personnelles de responsabilité écologique pertinentes. En effet, et à titre d’exemple, lorsqu’aux Etats-Unis, on achète une voiture hybride ou électrique, l’impact carbone
est plus élevé que ce qu’on pourrait imaginer. En effet, dans une région à forte production de charbon, une Nissan Leaf électrique produira quasiment autant de C02 que certaines voitures à essence classiques[5]. Un Etat au parc nucléaire important comme l’Etat de New York émet deux fois moins de C02 par habitant qu’un Etat minier comme le Kentucky.[6] Rouler en voiture électrique dans le Kentucky n’a pas le même impact que dans l’Etat de New-York ou en France.
L’opposition au nucléaire argue généralement de problèmes de sécurité nucléaire et de traitement des déchets. Il est évidemment essentiel d’adresser le problème de la sécurité nucléaire. Tchernobyl ou Fukushima ont fortement marqué les esprits. Cependant, ces incidents ont été dus au contexte particulier dans lesquels ils se sont déroulés plus qu’au risque nucléaire lui-même, contexte très éloigné de notre réalité d’aujourd’hui. En effet, Tchernobyl est survenu surtout à cause d’un grave problème de conception du réacteur. Il était, non seulement mal construit, mais mal entretenu. Il était dénué de certains dispositifs de sécurité les plus primitifs et géré par des hommes non qualifiés. Le fonctionnement des réacteurs modernes est radicalement différent. Au Japon, le contexte était également central car Fukushima est une zone à forts risques sismiques et la société d’exploitation était déjà connue pour sa négligence notamment s’agissant de la rédaction des rapports de sécurité.[7] Il y a, bien entendu, un risque réel de surchauffe dans le cas, par exemple, d’une fuite dans le conduit de refroidissement. Ces événements sont très improbables, grâce à la présence de nombreux systèmes de sécurité et la situation géographique de la France, auraient des impacts, certes, mais limités et moindres par rapport à ceux présents dans notre imaginaire collectif. (Pour plus de précisions, je vous renvoie, par exemple, au livre passionnant « Physics for futur Presidents » de richard A. Muller, professeur à UCLA et journaliste au MIT Tech Review »[8]). De ce fait, aujourd’hui, en France, où les centrales sont bien conçues, construites en dehors de zones à risque et bien entretenues, le risque de fuite est quasi nul.
Par ailleurs, contrairement à une idée assez répandue, une centrale nucléaire ne peut en aucun cas exploser comme le ferait une bombe nucléaire, et cela par la nature même de la fission provoquée. La réaction en chaîne dans l’éventualité d’un incident s’arrête d’elle-même en raison de l’utilisation dans les centrales d’uranium 238, bien différent de l’uranium 235 des armes nucléaires, qui lui seul peut déclencher une réaction en chaîne.
Les déchets nucléaires sont une autre affaire. Il est impossible de stocker ces déchets avec 100% de chances qu’aucune fuite ne se produise. Mais on considère généralement sous un mauvais angle cet argument. En effet, lorsqu’on mine de l’uranium, on retire de la radioactivité du sol, on n’en crée pas. La démarche suivie tend à arriver à une neutralité de radioactivité. C’est-à-dire que les risques de rejet soient égaux à la radioactivité des éléments sorties du sol à l’origine de ces déchets. Si l’on sort pour un rem (unité de mesure de la radioactivité)[9] de matériaux radioactifs du sol, et que l’on produit 1000 rems de déchets radioactifs, alors afin de rester durable, il faut que le stockage de ces déchets ait 0,1% de chance que la totalité des déchets fuit ou 1% de chance que 10% des déchets fuient (0,001×1000=1 ; 0,01×100=1, etc.). Ajouté à cela que la réduction de la radioactivité diminue par un facteur 10 (elle diminue non pas de moitié par demi-vie mais est divisée par 10), on estime qu’après 300 ans les déchets présentent des risques dix fois moindres. On pourra alors avoir 10% de chance que 10% des déchets s’échappent, etc. Sans affirmer que la fission nucléaire représente une solution à long terme, bien au contraire, nous pouvons considérer que c’est une bonne solution de transition vers une production d’énergie moins polluante, possiblement au sein même de l’industrie nucléaire. En effet, on estime que la solution qui garderait tous les avantages du nucléaire (abondance, bon marché, électrique) en en supprimant les inconvénients est la fusion nucléaire. Cette dernière est la réaction se produisant continuellement dans le soleil. La fusion nucléaire, qui est une production d’énergie après la fusion et non plus la fission de deux noyaux d’atomes, pourrait produire une quantité astronomique d’énergie pour une masse de combustible incroyablement réduite et sans déchets produits. Elle n’est pas encore possible aujourd’hui, non pas que la fusion en elle-même n’ait pas été reproduite, mais l’énergie est dégagée pendant un instant trop court pour qu’on puisse l’utiliser. Cependant, des recherches sont en cours à l’échelle européenne, recherches dont les écologistes demandent l’arrêt unanimement[10] (notamment l’arrêt du financement du ITER, projet européen de création d’un réacteur à fusion nucléaire). Et là, on peut avoir du mal à suivre leur raisonnement.
Le second enjeu écologique dont les écologistes semblent faire leur fer de lance est l’agriculture, notamment l’utilisation des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés). En effet, la ligne de l’ex-candidat, et plus généralement du parti, est d’interdire non seulement l’entrée des OGM sur le marché européen, mais également de freiner la recherche, notamment publique. Cependant, lorsque l’on fait le diagnostic de la situation de l’agriculture dans le monde, on en vient à la conclusion que la population mondiale, qui devrait atteindre 9 milliards de personnes en 2050, croit plus rapidement que notre production agricole. Or, si l’on a des raisons de se méfier des possibles conséquences des OGM développés par des laboratoires privés, et dont les effets sont testés d’une manière peu sûre, l’absence de recherche publique mettrait un terme à la possibilité de trouver des formes d’OGM possiblement sûres appartenant à l’Etat et non à un grand groupe privé. De plus, dans l’optique de produire plus, les grandes industries agricoles utilisent un nombre très important de pesticides, si l’on n’est pas sûr des effets des OGM, on connait bien ceux des pesticides et si l’on ne trouve pas de solutions de substitution, ces pesticides pourraient garder leur place centrale dans l’agriculture à long terme avec les conséquences catastrophiques que l’on connait (assèchement des sols, destruction de la faune et de la flore, problèmes de santé publique etc.). Sans vouloir promouvoir l’utilisation irresponsable d’OGM avant d’arriver préalablement à des conclusions claires sur les conséquences de leur utilisation, fermer la porte à ce qui pourrait devenir une solution à long terme en refusant notamment de continuer toute recherche, ne semble pas être le meilleur moyen de trouver une alternative aux pesticides. Par peur d’un problème futur, on se coupe d’une possible solution à un problème bien présent, qui plus est urgent.
Le problème majeur des écologistes semble être leur refus d’explorer les solutions qu’offre la science même si elles sont constamment perfectibles. Vouloir bloquer toute recherche dans un domaine, par peur de risques potentiels, a comme effet pervers d’empêcher la résolution de ces risques sans prévenir le fait qu’ils adviennent du fait d’Etats étrangers ou de groupes privés. Ce n’est pas en sortant du nucléaire ou en arrêtant la recherche dans le domaine des OGM que l’on rendra leur utilisation plus sûre ou plus efficace mais bien en augmentant la recherche et les fonds disponibles. Les problèmes d’énergie, de population en forte croissance, la pollution des sols et le réchauffement climatique ont peut-être (sûrement ?) leur solution dans ces domaines et il serait bien dommage de s’en priver par idéologie. Dans l’archétype narratif du roman d’aventure, EELV est le compagnon de voyage voulant abandonner au premier obstacle rencontré par les héros. Son nom n’est pas retenu par les lecteurs, ni par la postérité, bien au contraire.
(c) Photo de couverture: Europe 1
[1] 1 rem = 0,01 Sv en SI
[2] http://yannickjadot.fr/iter-un-veritable-hold-up-sur-le-contribuable-europeen/
[1] https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle-2017/0211739192332-sondage-le-suivi-quotidien-de-la-presidentielle-2062937.php
[2]http://yannickjadot.fr/yannick-jadot-a-la-manifestation-anti-nucleaire-de-lyon-samedi-13-octobre/
[3] http://www.michele-rivasi.eu/medias/projet-de-fusion-nucleaire-iter-le-parlement-europeen-refuse-de-cautionner-le-gaspillage-d’argent-public/
[4] Nations Unies, « Émissions de dioxyde de carbone (CO2), tonnes métriques de CO2 par tête (CDIAC) »
[5] http://www.nytimes.com/2012/04/15/automobiles/how-green-are-electric-cars-depends-on-where-you-plug-in.html?_r=0
[6] NY : 160 millions de tonnes métrique de CO2 pour 9 millions d’habitants (i.e. 17 per capita), KY : 137 million tonnes métrique de CO2 pour seulement 4 millions d’habitants (i.e. 35 per capita), https://www.eia.gov/environment/emissions/state/
[7] http://www.japantimes.co.jp/news/2002/09/01/news/tepco-executives-to-quit-over-atomic-plant-scandal/
[8] Muller, R. Physics for Future Presidents: The Science behind the Headlines. New York: W.W. Norton, 2008. Print.
[9] 1 rem = 0,01 Sv en SI
[10] http://yannickjadot.fr/iter-un-veritable-hold-up-sur-le-contribuable-europeen/