Restauration rapide: Londres, prisonnière de ses chaînes?

Par Aurélien Kong

McDonald’s, Burger King, Wasabi, Leon, Caffe Nero, Pret A Manger, itsu, Eat, Le Pain Quotidien, Pret A Manger, KFC, Starbucks Coffee, Caffe Nero, Costa, Greggs, Eat, Starbucks Coffee, Pret A Manger, Leon, itsu, Subway, Caffe Nero. Encore un Wasabi. Et un dernier McDonald’s pour la route. Une impression de déjà-vu ? Cette suite étrangement familière est celle des chaînes de restauration que l’on trouve sur son chemin en remontant Tottenham Court Road, sur le kilomètre séparant Oxford Street de Warren Street. Un scénario désormais typique de nombreux quartiers de la capitale et de centres-villes à travers tout le pays. La prolifération des chaînes de restauration rapide et de cafés a en effet été fulgurante au cours des dernières années. Dans cet article, nous nous penchons sur les tenants et aboutissants de ce phénomène de plus en plus critiqué.

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Un récent rapport de la Local Data Company, organisme qui publie régulièrement des études sur l’évolution des commerces au Royaume-Uni, révèle qu’environ 6000 cafés, restaurants et chaînes de restauration rapide ont ouvert dans le pays entre 2011 et 2016 [2]. En particulier, le nombre de Caffe Nero a augmenté de 44% en 5 ans, et le nombre de Pret A Manger de près de 50%. L’évolution la plus spectaculaire est celle de l’enseigne britannique Costa, passée de 658 cafés en 2010 à plus de 2000 en 2016, ce qui en fait la chaîne de cafés la plus développée du pays [1][3].

Comment expliquer l’incroyable succès de ces chaînes ? Certains avancent d’abord une évolution des mentalités, et suggèrent que la pause-café gagne en popularité par rapport à la traditionnelle consommation au pub [2] [4]. Le déclin rapide du nombre de pubs au Royaume-Uni semble confirmer cette tendance : en 2015, plus de 1400 pubs ont fermé dans le pays, dont 500 dans la capitale et le sud-est de l’Angleterre [5]. Un débat organisé par le Guardian entre deux journalistes autour de ce sujet met évidence des motifs culturels similaires [6]. Le point de départ semble être un vide dans le secteur de la restauration, que ces chaînes sont venues combler. Là où les Français peuvent compter sur un important patrimoine de boulangeries, bistros et cafés-brasseries, il semblerait que les Anglais aient longtemps eu plus de mal avec les sandwichs et déjeuners sur le pouce. Passée la première vague d’euphorie à l’arrivée des fast-foods américains, les repas plus diététiques proposés par des établissements comme Pret A Manger ont alors été accueillis à bras ouverts par les consommateurs.

À l’heure des cinq fruits et légumes par jour, du véganisme et du bio, c’est bien sur cette vague du healthy diet que surfent la plupart de ces chaînes. En témoignent les slogans accrocheurs du type « eat beautiful », « organic coffee, natural food », « eat fresh » ou « naturally fast food » (reconnaîtrez-vous les enseignes correspondantes ?). D’autres astuces de marketing, comme les jeux de mots sur les emballages ou votre prénom écrit sur la tasse de café, ont permis aux enseignes de se donner une image de marque honnête et conviviale, et finalement de s’imposer comme des valeurs sûres de la restauration.

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Si ces chaînes aspirent à la bonne santé des consommateurs (du moins en apparence [17] [18]), elles semblent aussi être devenues signe de bonne santé économique pour les quartiers où elles s’implantent. Les cartes ci-dessus montrent qu’elles occupent principalement la City et le West End, mais conquièrent progressivement la banlieue de la capitale. En septembre 2016, l’ouverture d’un Pret A Manger dans le quartier populaire de Wood Green, au nord de Londres, a ainsi provoqué l’inquiétude d’une partie de la communauté locale, qui y voit la première étape d’un processus de gentrification du quartier [7]. L’implantation d’une chaîne signifie en effet que le site est jugé digne d’investissement, et ouvre la voie à l’installation d’autres groupes. Ainsi, outre la concurrence qu’elles représentent, les chaînes mettent en danger les commerces indépendants en poussant les loyers vers le haut. Sur le Strand, les coûts sont devenus trop élevés pour les restaurateurs indépendants, qui ont pour la plupart laissé place à des géants de la restauration [8].

À mesure que les centres-villes se standardisent et se mondialisent, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer la perte de caractère qui en découle. Faudrait-il donc mettre un terme à la prolifération de ces chaînes ? Dans un contexte de baisse de fréquentation dans les centres-villes, il existe encore peu d’alternatives durables. Chaque jour, 15 commerces mettent la clef sous la porte dans le pays [9]. La « nation de boutiquiers », comme disait Napoléon, est en passe de devenir une « nation de chaînes ou de locaux à vendre ». En effet, dans les quartiers qui n’intéressent pas encore les grandes chaînes, les rues commerçantes sont en mode survie. À Loughton, dans la banlieue nord-est de Londres, la rue principale s’est vidée de ses boutiques et a même perdu sa branche KFC. Comme dans de nombreux autres quartiers populaires de la capitale, ils ont été remplacés par des linéaires de vendeurs de téléphones ou de cigarettes électroniques, interrompus çà et là par des salons de beauté et de coiffure qui n’inspirent pas toujours confiance [9] [10]. Et l’augmentation des impôts pour les businesses de la capitale et du sud-est de l’Angleterre, à compter du 1er avril 2017, n’aidera certainement pas les petits commerces dans leur lutte contre les grandes enseignes [11].

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La résistance s’organise malgré tout, par exemple sous la forme de petits cafés et restaurants hipsters qui se veulent les défenseurs de l’authenticité, de la proximité et de l’originalité. Cependant, ils restent une alternative limitée aux chaînes globales, principalement car ils ne contribuent pas moins au phénomène de gentrification. Dans les quartiers en pleine restructuration tels Camden Town, Southwark, ou Brixton, le développement de ce genre de cafés suscite les mêmes inquiétudes, et parfois même des réactions plus violentes comme ce fut le cas en septembre 2015 à Shoreditch, lorsque des manifestants saccagèrent le café Cereal Killer [12]. Parmi les autres victimes des grandes chaînes, les pubs, déjà fragilisés par la hausse des taxes sur l’alcool, s’adaptent à la concurrence en insistant sur leurs gammes de boissons chaudes et de petits déjeuners [13] [14]. Ironie du sort, c’est la chaîne de pubs Wetherspoon qui semble s’en sortir le mieux, ayant été élue meilleure chaîne de restauration rapide du pays dans un récent sondage de YouGov [15].

L’enjeu est donc de maintenir la vitalité des rues commerçantes et des centres-villes tout en ménageant les communautés et structures déjà présentes. Actuellement, les chaînes de cafés et de restauration rapide restent une valeur sûre pour attirer les consommateurs, mais elles sont de plus en plus critiquées pour leur impact négatif sur les villes. Pendant que les commerçants font face en adaptant leur offre, les autorités s’invitent petit à petit dans le débat : en 2016, la mairie de Camden a ainsi refusé à Starbucks l’implantation d’un nouveau café à Kentish Town [16], en raison du trop grand nombre d’établissements similaires déjà présents (Costa et Pret A Manger ont été plus rapides). Mais au final, c’est aux consommateurs qu’il reviendra, par leurs choix, de décider du type de commerces qu’ils souhaitent trouver en ville.

Le but de cet article n’est pas du tout de diaboliser les chaînes de cafés et restaurants, mais bien de montrer la façon dont leur essor rapide intervient dans le problème plus large de l’essoufflement des centres-villes. Elles restent des lieux de consommation aussi recommandables que les autres, et certains établissements valent même tout à fait le détour par leur décor ou leur emplacement : http://londonist.com/london/food-and-drink/london-chain-coffee-shops-worth-visiting

Une belle vidéo vaut parfois mieux qu’un long article: https://www.youtube.com/watch?v=puT56Tz_KDU

Dernière minute : Prêt A Manger a révélé des plans très ambitieux pour Londres

http://www.thedailymash.co.uk/news/business/every-building-in-london-to-be-a-pret-a-manger-by-2020-20170105119703

Références

[1] http://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/retailandconsumer/12033580/Mapped-the-spread-of-coffee-shops-across-the-UK.html

[2] http://www.thetimes.co.uk/article/off-to-the-local-it-s-probably-a-coffee-shop-wcs2ltqmq

[3] https://www.whitbread.co.uk/content/dam/whitbread/pdfs/investors/reports-and-presentations/annual-reports/2015-16/Annual_Report_and_Accounts_2015_16.pdf

[4] http://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/retailandconsumer/leisure/11084328/Why-coffee-shops-are-replacing-pubs-in-Britain.html

[5] http://www.independent.co.uk/news/business/news/uk-pubs-closing-at-a-rate-of-27-a-week-camra-says-a6853686.html

[6] https://www.theguardian.com/commentisfree/2012/apr/08/observer-debate-pret-a-manger

[7] http://www.standard.co.uk/news/london/residents-hit-out-at-middle-class-pret-in-wood-green-shopping-centre-a3348616.html

[8] https://www.ft.com/content/328a7ccc-7bfa-11e6-b837-eb4b4333ee43

[9] http://www.dailymail.co.uk/news/article-4018692/What-death-high-street-shops-says-Britain-today.html

[10] http://startups.co.uk/independent-shops-on-the-up-as-large-chains-continue-high-street-retreat/

[11] http://www.thebookseller.com/news/winterson-fears-species-wipe-out-london-shops-after-business-rate-hike-473966

[12] https://www.theguardian.com/uk-news/2015/sep/27/shoreditch-cereal-cafe-targeted-by-anti-gentrification-protesters

[13] http://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/retailandconsumer/leisure/11462443/Time-at-the-bar-can-Britains-pubs-survive.html

[14] https://www.theguardian.com/business/2016/may/18/jd-wetherspoon-99p-tea-and-coffee-pubs-uk

[15] http://www.morningadvertiser.co.uk/Operators/JD-Wetherspoon/JD-Wetherspoon-takes-top-brand-spot

[16] http://archive.camdennewjournal.com/starbucks-kentish-town-appeal

[17] http://www.cityam.com/249449/these-surprisingly-unhealthy-high-street-breakfasts-pret

[18] http://www.dailymail.co.uk/femail/food/article-3827462/Unhealthiest-high-street-coffee-chain-breakfast-pastries-revealed-Pret-Starbucks.html

Image couverture : The Independent https://static.independent.co.uk/s3fs-public/thumbnails/image/2013/10/09/10/coffee-shops.jpg