Etats-Unis : Quel avenir pour les relations avec l’Amérique latine ?

Par Lou Wander

Le 8 novembre dernier Donald Trump a remporté l’élection présidentielle des Etats-Unis et cette victoire inquiète. Cette tension est révélée par les nombreuses manifestations anti Trump les jours suivant les résultats. Parmi les inquiétés, on peut inclure l’Amérique Latine. En effet, durant sa campagne, Trump n’a cessé de répéter que s’il était élu il ferait expulser les 11 millions d’immigrés clandestins vivant aux Etats-Unis illégalement, ce qui serait source de problème pour les pays d’origine. De retour dans leur pays, les immigrés n’auront plus d’emplois alors qu’à l’extérieur du pays ils généraient un revenu en travaillant aux Etats-Unis. Trump a également annoncé qu’il ferait construire un mur le long de la frontière mexicaine, aux frais de ces derniers. Le programme de Trump sur la politique étrangère et économique n’est pas clairement défini, mais ce qui est sûr est que s’il mène une politique isolationniste (isolement des autres pays concernant les affaires étrangères, mais également sur le plan économique en faisant appel au protectionnisme), le futur de l’Amérique Latine changera.

Pendant les huit années de son mandat, Barak Obama a tenté de réconcilier son pays avec l’Amérique Latine. Le 24 mars dernier, il s’est rendu à Buenos Aires en Argentine pour rendre hommage aux victimes de la dictature menée par Videla après un coup d’état en 1976. Obama a déclaré que les Etats-Unis « avaient tardé à défendre les droits de l’Homme en Argentine et dans d’autres pays », faisant référence au soutien des Etats-Unis aux dictatures militaires qui servaient les intérêts américains au 20ème siècle. Il devient le premier président à reconnaitre l’implication des Etats-Unis dans ces dictatures.

 Sa volonté a été d’améliorer les liens entre les Etats-Unis et l’Amérique Latine en redonnant une image positive de son pays pour lutter contre l’anti-américanisme persistent. Il a également construit de bonnes relations avec le Mexique, le qualifiant de partenaire stratégique lors de sa visite là-bas en mai 2013. Les deux pays travaillent sur l’élaboration d’un « agenda » visant à une plus grande indépendance mexicaine vis-à-vis de son voisin américain.

 Enfin, on peut considérer le rapprochement diplomatique entre La Havane et Washington, dont le conflit remonte à la Guerre Froide, comme événement majeur du mandat d’Obama. Cependant, 25 ans après la fin de cette guerre, l’embargo américain continue d’exister. Le désir de lever cet embargo montre l’envie de « tourner la page » avec le passé, pour que l’Amérique avance vers le futur avec des liens solides.

Cependant, la victoire de Trump pourrait détruire les efforts faits ces dernières années, en remettant en cause la politique d’Obama. Si Trump mène une politique isolationniste, cela pourrait conduire les pays de l’Amérique Latine à des difficultés économiques.

Lors de sa campagne il a clairement affiché l’idée de retirer les É-U de ce traité qu’il considère comme « catastrophique ». Après son élection il a affirmé vouloir renégocier le traité de l’ALENA dès le premier jour de son investiture. Les critiques portées à l’ALENA concernent seulement le Mexique et n’évoquent en aucun cas le Canada.  

Dans ce contexte, on peut se demander à qui l’ALENA profite réellement. Sa création est une idée américaine. Dans les années 90, les É-U avaient du retard dans l’industrie par rapport à L’Europe ou au Japon. Le Canada avait les matières premières et le Mexique la main d’œuvre très bon marché. L’alliance de ces trois pays fut un succès notamment pour les É-U. Le marché commun a généré un PNB supplémentaire de 7 795 milliards de dollars pour les USA contre 392 milliards dollars pour le Mexique. Les salaires au Mexique sont 6 à 10 fois moins élevés qu’aux É-U et les 3 500 usines frontalières emploient ces ouvriers payés avec des salaires très bas et où les droits de l’Homme sont très peu respectés. Cependant les É-U ferment les yeux sur les conditions de travail inhumaines dans ces maquiladoras car cela représente un véritable avantage économique : faible coûts de transports en comparaison avec l’Asie, et les mexicains effectuent des métiers d’usine hérités du model fordiste qui ne sont plus aujourd’hui acceptés par les américains. Finalement l’ALENA profite moins au Mexique qui est envahi par le « made in USA » et qui a connu une hausse des fermetures d’entreprise depuis le début du libre échange. Ce serait un véritable désavantage économique pour les É-U de se retirer de l’ALENA. 

La construction d’un mur entre le Mexique et les É-U remettrait en cause les échanges commerciaux entre les deux pays et avec l’Amérique Latine, ce qui mettrait d’autant plus en cause l’ALENA.  

Les Etats-Unis sont un client essentiel pour les pays de l’Amérique Latine. Les exportations mexicaines vers les É-U représentent 80% de l’ensemble des exportations, et sont de l’ordre de 40% pour le Venezuela. Les É-U sont aussi partenaire commercial avec le Brésil et l’Argentine.

De même si les relations avec Cuba ne continuent pas de s’améliorer, cela pourrait être problématique. Selon un article du Monde datant de juillet 2016, la levée des sanctions économiques de Cuba pourrait créer une croissance cubaine de 5 à 6% entre 2016 et 2020, ainsi attirant une hausse de 15 à 20% des IDE (investissements direct à l’étranger). Le bénéficiaire serait les É-U avec une hausse des exportations vers Cuba de 1 Mds USD par an. Ainsi une mauvaise relation politique les priverait de ces avantages économiques, et les efforts faits pour se rapprocher de Raoul Castro deviendraient inutiles.

La politique extérieure de Trump pourrait mener à une prise de « pouvoir » de la Chine en Amérique. Cela fait plusieurs années que la Chine tente de s’en rapprocher, dans l’idée que les pays en développement devraient s’allier contre la suprématie des pays occidentaux tels que les É-U. Ce rapprochement s’observe par les nombreuses visites du président chinois XI Jinping sur le sol latino. Ces visites ne sont pas toujours bien perçues par les Etats-Unis qui observent la montée en puissance de la Chine en Amérique Latine. Elle représente seulement 1,3% des exportations mexicaines mais cela pourrait changer dans le futur. Améliorer les relations avec la Chine est une priorité du gouvernement de Pinieto, afin de pouvoir ouvrir une nouvelle page entre les deux pays et ainsi équilibrer les échanges commerciaux. De même, l’ex-présidente argentine C. Leirchner accordait beaucoup d’attention aux relations diplomatiques et commerciales avec les pays émergents tel que la Chine.

De même, la relation entre le Brésil, première puissance économique d’Amérique Latine, et la Chine est très importante, d’autant que les deux pays appartiennent aux BRICS. Les 15 et 16 octobre derniers, les présidents des BRICS se sont réunis à Goa afin de fixer certaines politiques communes. Malgré la récession économique de certains pays (baisse de 3,5% de la croissance au Brésil en 2015), ils ont montré que les BRICS continuaient d’être actifs. La hausse des investissements en Amérique Latine montre l’efficacité de ces pays. Le poids économique du Brésil y est important et son influence sur les autres pays également. Pays leader du MERCOSUR, le Brésil pourrait jouer un rôle essentiel sur l’influence qu’aurait la Chine en Amérique Latine. Le poids de la Chine s’y observe déjà: elle est considérée comme le banquier et financier de l’Amérique du Sud. Le Venezuela connaît une crise profonde depuis 2 ans avec une récession de 8% mais trouve secours auprès de la Chine. Le pays finance également Cuba qui, grâce à lui, a relancé sa croissance en 2010. La Chine va devenir le deuxième partenaire commercial de Cuba grâce à l’élaboration d’un projet pétrochimique de 6,5 Mds USD et lui donnera des aides substantielles. La Chine se place comme facteur économique et financier majeur en Amérique Latine.  

La victoire de Trump pourrait donc agir sur les relations économiques et politiques entre les Amériques. Le retrait des Etats-Unis pourrait amener la Chine à les remplacer sur ces deux plans, cette dernière n’ayant pas « d’exigences » politiques, sa priorité étant principalement économique : améliorer les échanges entre les pays sans intervention dans les affaires internes de ses partenaires commerciaux, contrairement à leur concurrent américain. Le rejet de l’Amérique Latine par Trump pourrait accélérer et légitimer ce processus. Sa politique pourrait faire reculer la politique étrangère de cent ans en arrière, ravivant l’anti-américanisme en Amérique Latine, qui n’a pour le moment pas totalement disparu.

  • Source de l’image : panamericanworld.com