Par Raphaël Cario
Alors que près de 99% des voix ont déjà été comptées et que certains Etats, même si pas encore confirmés, semblent très clairement avoir été gagnés par un des candidats, Donald Trump, le candidat du Parti Républicain à la présidence, gagne très largement cette élection, remportant entre 279 et 306 grands électeurs sur les 270 nécessaires pour être élu. Pourtant si la victoire de Trump qui, en gagnant la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan a sécurisé sa main mise sur le collège électoral, parait éclatante, elle surprend les analystes qui donnaient Clinton en tête depuis plusieurs mois. Par exemple, alors que la très grande majorité des sondages la donnaient gagnante avec plus de quatre points d’avance, il semble que le vote des Blancs ayant une éducation du secondaire ait été gagné par le candidat républicain, ce qui a pris de court les commentateurs qui voyaient déjà cette population, votant habituellement républicain, pour la première fois changer de camp. Cependant, si Trump semble avoir gagné très largement, plus largement que Georges W. Bush en 2000 et en 2004, les résultats, bien que clairement en sa faveur, sont plus serrés qu’on pourrait le penser, donnant par une victoire courte, une présidence divisant l’Amérique, et dont on commence à imaginer les premières conséquences.
Source : NBC News
A la grande surprise de l’Amérique, Hillary Clinton gagne, ou est en train de gagner, le vote populaire, par près de 450 000 voix. Un nombre plus important d’Américain l’a choisi. Pourtant, voilà que vers 2h E.T., elle concède par téléphone à son adversaire républicain, sans prendre la peine de demander un recompte des voix ni même de s’adresser à ses supporters. Les détracteurs du collège électoral auront donc encore de quoi crier et se plaindre, alors que c’est la deuxième fois dans les récentes années qu’une présidence démocrate est arrachée aux Etats-Unis par son organisation électorale. Il semblerait qu’on ait sous-estimé le vote blanc, réparti de manière stratégique dans les Etats démocrates et qui semble suivre la classe ouvrière, de la gauche au GOP. De plus, Trump a fait mieux que ses prédécesseurs républicains en gagnant 29% des Latino-Américains et 8% des Afro-Américain avec plus de 35% des Latino-Américains dans le swing state de la Floride, où Clinton perd avec près de deux points de moins que Trump dans cet Etat avec plus de 20% d’hispaniques. Parmi les jeunes blancs, que Trump a gagné de cinq points, eux-mêmes qui soutenaient le candidat malheureux à l’investiture démocrate du candidat Bernie Sanders[1], près de 9% d’entre eux disent avoir voté autrement que pour les deux grands candidats, accentuant l’avance du candidat républicain. Les supporteurs de Trump ne sont donc pas, tout d’un coup devenus majoritaires parmi les blancs, on peut plutôt dire que la part de la population supportant Trump a pris une importance plus grande parmi les électeurs s’étant déplacés pour voter.
L’autre détail important à ne donc pas négliger dans l’analyse des résultats est la part importante des voix qui a été enregistrée pour des candidats indépendants. En effet près de 4,7% des voix sont allés au candidat libertarien Gary Johnson, à la candidate écologiste Jill Stein et au républicain indépendant Evan McMullin. Cette part, bien plus importante que dans les élections passées, est pourtant très réduite par rapport à l’ampleur que ces candidats ont semblée prendre dans les sondages à la fin de l’été. Cependant, ce peu de voix, notamment pour la candidate écologiste qui totalise moins d’un pourcent des votes, ont été décisifs pour les résultats des élections. En effet, la grande surprise de la soirée électorale a été la percée de Donald Trump dans les Etats des grands lacs, pièce maitresse du ‘democratic firewall’ (Etats votant massivement démocrate et constituant leur capital central de grands électeurs) et que Barack Obama avait gagné avec une marge importante, voire très importante (quatorze points en 2008 et 7 points en 2012 dans le Wisconsin). Les courses y sont serrées et, bien que les résultats officiels ne donnent pas encore Trump gagnant dans le Michigan, Clinton semble l’avoir perdu par 16 000 voix. De la même manière, le Wisconsin échappe aux démocrates par 23 000. Et c’est justement dans ces chiffres que se trouve le cœur du problème. La candidate écologique Jill Stein, qui a fait campagne sur l’aile gauche du parti démocrate, et attrayante pour les jeunes étudiants, les ‘col-bleu’ de la classe ouvrière blanche et ce qu’on appelle les ‘working families’, a fait un score de près de 51 000 voix dans le Michigan et 31 000 voix dans le Wisconsin. C’est donc encore une fois le candidat écologiste qui, sans se soucier du tort pouvant être fait, fragilise la course à la présidence pour les démocrates en jouant l’effet de ‘Spoiler Candidate’ dans certains Etats qui avaient soutenu Bernie Sanders pendant le primaire démocrate. Cependant on ne peut pas seulement accuser les ‘Third party candidates’ de voler l’élection aux démocrates et d’avoir, eux seuls, un rôle actif dans leur défaite. En effet, ils sont aussi les symptômes du manque enthousiasme des jeunes démocrates et des ‘milenials’ (génération Y) pour Hillary Clinton, poussant soit à une faible mobilisation, soit à un retournement du vote habituel. La participation à l’élection, généralement très haute dans les Etats clés, a été très réduite dans un certain nombre d’Etats démocrates que Trump s’est vu gagner. Par exemple, dans le Wisconsin, Etat n’ayant pas voté républicain depuis 1988 et dont les sondages annonçaient depuis plusieurs semaines la victoire de Clinton, se sont déplacés 1 860 000 des 4 500 000 citoyens en âges de voter, soit 65% de participation. Nous sommes bien loin des 70% à 75% de participation lors des trois dernières élections de 2012, 2008 et 2004. De plus, dans le Wisconsin, toujours, les ‘milenials’, qui représentent la population entre 18 et 24 ans, et qui sont une des catégories d’électeurs augmentant le plus rapidement, ont représenté seulement 17% des voix contre 21%en 2012[2],[3]. Ce manque de participation Laisse donc un espace pour les soutiens de l’homme d’affaire, qui ont, dès lors, représentés une part plus importante de la population
Mais maintenant qu’attendre, alors qu’on s’apprête à vivre quatre ans d’une présidence de Donald Trump ? Et bien dans son ‘Victory Speech’ le President-elect des Etats-Unis a d’abord fait allusion à une de ses propositions ayant le plus de soutiens à gauche : un plan massif d’investissement dans les infrastructures américaines, de près de mille milliards de dollars. Ce plan de relance keynésien, qui semble déplaire à une partie du camp républicain qui aimerait voir une réduction des dépenses, pourrait être le premier acte du Président Trump l’année prochaine, sans pourtant qu’il ait annoncé comment il le financerait. On peut aussi s’attendre à certaines baisses massives d’impôts, comme annoncées dans son programme, mais là encore comment se fier à celui qui tant de fois a changé de position sur tant de sujets. On ne peut qu’attendre et espérer le mieux pour les Etats-Unis. Les marchés sont pourtant calmes, contrairement à ce que les opposants de Trump auraient pu se dire, peut-être que la perspective d’une déréglementation et d’un congrès restant aux mains des républicains ont pu rassurer les instances financières. L’annonce d’hommes expérimentés à ses côtés y est aussi pour beaucoup pour l’apaisement des marchés. Il prévoit également, lui et les différents dirigeants du congrès républicain, d’abroger l’Abordable Care Act ou Obamacare sans pour autant définir ce par quoi il le remplacerait. En effet le texte a été longuement décrié par les conservateurs américains, spécialement ces derniers mois alors que les prix de l’assurance maladie grimpent en flèche. Cependant, Trump a semblé prendre une position plus modérée ces derniers jours, garantissant qu’il maintiendrait les certaines mesures populaires d’Obamacare. L’annonce de la victoire de Trump a donc rassuré les cours des compagnies d’assurance et de l’industrie pharmaceutique. Cela laisse une grande incertitude du côté démocrate sur la préservation de l’héritage d’Obama, qui pourrait être balayé par un Parti Républicain contrôlant les trois branches du gouvernement bien que, justement, cette séparation stricte des pouvoirs à l’américaine, limite Trump dans ses possibles actions les plus critiquées. Par exemple le ‘Muslim Ban’ (interdiction temporaire de l’entrée des Musulmans aux Etats-Unis) semble avoir déjà été oublié et supprimé de son site de campagne.
Trump commence également à choisir les membres de son administration qu’il nommera dans les deux mois qui viennent. Certains noms sont déjà annoncés, comme Reince Priebus, président du RNC, en tant que probable chief of staff (numéro deux officieux du gouvernement), Hope Hicks, très probablement future porte-parole ou encore Rudy Guiliani, ancien maire de New York, au DOJ (Department Of Justice). D’autres noms, moins sûrs, sont avancés comme Jared Kushner (gendre de Trump, mari de Ivanka Trump pour le post de Chief of staff et qu’on a vu discuter très étroitement à la sortie du Bureau Ovale avec l’actuel Chief of Staff de Barack Obama), Kellyan Conway (Press secretary) ou encore Sarah Palin.
Sur le plan international on s’attend à une détente avec la Russie dont le président, Vladimir Poutine, a déjà chaudement félicité le futur président. Loin de vouloir une confrontation directe, Trump semble osciller vers une conciliation et une convergence d’intérêts avec la fédération.
De plus, dans un rapport publié par Politico, interne à l’équipe de transition, dirigée par le Gouverneur du Massachusetts, Chris Christie, Trump semble envisager d’enterrer le TPP (trans-pacific partnership) le premier jour de son mandat. Il avait très fortement décrié l’accord de libre-échange avec l’Asie tout au long de sa campagne, l’accusant de détruire des emplois américains au profit de délocalisations. En plus de cela, le rapport prévoit dans les cent premiers jours un possible sorti de Nafta (ALENA, accord de libre-échange entre la Canada, les Etats-Unis et le Mexique) si les demandes du gouvernement n’étaient pas accordées. De plus, Trump semble vouloir commencer ses rapports avec le gouvernement chinois en dénonçant la manipulation de la monnaie chinoise par Pékin, ce qui ouvrirait les rapports entre Washington et Beijing sur un reproche hostile.
Du côté français, François Hollande, qui a pourtant félicité Trump, semble devoir regretter les propos dures qu’il avait eu à l’encontre du candidat républicain, propos qui avaient été décriés par une partie de la classe politique française par crainte, justement, d’une victoire de Trump. Le quai d’Orsay va, dès lors, devoir vivre avec cet antécédent durant les cinq prochains mois. Les propres institutions des Etats-Unis vont peut-être couter chère, une fois de plus, à l’Amérique. Dans tous les cas, la déception règne dans le camp de Clinton qui avait choisi le slogan « better together » tout comme certains des opposants malheureux au Brexit.
(*) Source de la photo de couverture : Twitter/realDonaldTrump
[1] http://edition.cnn.com/election/results/exit-polls
[2] http://projects.jsonline.com/news/2016/11/8/2016-presidential-election-exit-polls.html
[3] http://edition.cnn.com/election/2012/results/state/WI/president/