Par Marion Durteste
Il s’appelle Jean-Claude Romand. Proches et amis se vantent d’un homme érudit, un médecin et chercheur de renom à l’OMS. Un homme qui charme dans les dîners mondains, jonglant avec brio entre anecdotes scientifiques et idées philosophiques. Un homme souvent en déplacement, mais gardant néanmoins un lien fort avec sa famille. En Janvier 1993, alors âgé de 39 ans, il tue sa femme, ses enfants ainsi que ses parents. Macabre et incompréhensible tournure des évènements. Rapidement, les enquêteurs découvrent qu’ils ont à faire à un « Dr Jekyll et Mr Hyde ». Pendant dix-huit ans, petits mensonges et grosses impostures ont rythmé le quotidien de Mr Romand, qui ne fut jamais ni médecin ni chercheur. C’est sur des aires d’autoroute qu’il passait ses journées, à lire des ouvrages et autres articles de recherche afin de crédibiliser son personnage. Il se résolue au meurtre, sentant femme et enfants à deux petits pas de la vérité. Il s’appelle Jean-Claude Romand et forme une allégorie du lien malsain entre homme et mensonge.
Le mensonge est partout : il se glisse dans les draps des politiques, fait rage dans le monde financier, et parvient même à se frayer un chemin dans nos relations personnelles. Bien souvent, les comportements malhonnêtes s’intensifient à mesure qu’ils se répètent. Ainsi, plus on ment plus il est aisé de mentir, les tricheurs avertis ainsi que Mr Romand acquiesceront sans nul doute.
Une équipe de chercheurs à University College London a souhaité comprendre le mécanisme biologique derrière l’effet « boule de neige » du mensonge. Quatre-vingt-huit participants se sont soumis à l’expérience ; 25% d’entre eux avaient pendant ce temps leur cerveau analysé par imagerie à résonance magnétique (IRM). Le participant ainsi qu’un partenaire étaient placés devant une photo d’un verre rempli d’argent ; le partenaire, complice des chercheurs, ne disposant que d’une photo de médiocre qualité. Chaque participant devait aider son acolyte à estimer le montant présent.
Dans un premier temps, les participants étaient informés qu’une estimation correcte leur vaudrait à eux et à leur partenaire une récompense. Ce cas de figure-ci, où tous disaient certainement la vérité, a été utilisé comme point de référence pour les expériences suivantes. Dans les autres scénarios, sous-estimer ou surestimer le montant pouvait représenter un intérêt pour le participant au détriment du partenaire, ou l’inverse, ou bien bénéficier aux deux. C’est ainsi que les opérateurs sont parvenus à faire mentir les participants.
Les chercheurs constatent tout d’abord qu’une région spécifique du cerveau semble active lorsque les participants mentent par intérêt personnel, l’amygdale. Le cerveau est composé de deux hémisphères, chacune pouvant être divisée en quatre lobes, le lobe frontal, le lobe pariétal, le lobe temporal et le lobe occipital. L’amygdale est un noyau à l’avant du lobe temporal, notre cerveau en contient donc deux, un dans chaque hémisphère.
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Cette toute petite région du cerveau est essentielle au bon fonctionnement de nos émotions. Elle s’avère notamment primordiale dans la perception des émotions d’autrui, comme la peur. S.M, une femme dépourvue de ses deux amygdales, a vécu toute sa vie sans jamais faire l’expérience de la peur. Quand des médecins lui demandèrent de dessiner les six émotions principales (la joie, la surprise, le dégoût, la tristesse, l’énervement et la peur), la seule qui lui fut impossible de poser sur papier fut la peur. Bien que controversée, il existe une théorie qui soutient que l’amygdale joue un rôle primordial dans le contrôle de nos émotions négatives : le chagrin, la jalousie et la honte, par exemple. Beaucoup d’études se sont ainsi déjà penchées sur ce petit noyau du cerveau, mais c’est une idée novatrice que de le relier au mensonge.
Que l’amygdale s’habitue aux mensonges est le deuxième point relevé par les chercheurs. En effet, celui-ci est fortement activé la première fois qu’un participant ment, traduisant un certain malaise chez ce-dernier, puis l’est de moins en moins à mesure que l’acte mensonger se répète. Cette baisse d’activité du cerveau est accompagnée d’une augmentation nette du nombre de mensonges. Patrick Vuillemier, professeur à la faculté de médecine de l’université de Genève, s’interroge sur un potentiel lien avec la peur et explique que « Cette région (l’amygdale) s’active typiquement lorsque l’être humain est apeuré, pour susciter chez lui un comportement d’évitement. Vu les résultats de l’étude, il semble que cette fonction disparaît progressivement lorsque le sujet décide d’avoir une stratégie de mensonge. Au fur et à mesure de l’avancée du test, ce dernier anticipe donc moins les dommages sociaux que peuvent engendrer ses mensonges. ».
On pourrait parler de phénomène d’adaptation émotionnelle. Au début, l’amygdale confère une importante valeur affective au mensonge qui s’estompe ensuite avec la répétition. Le cerveau s’habitue au mensonge, plaçant alors l’homme sur une pente glissante avec pour fin un acte de très haute malhonnêteté. Cette adaptation émotionnelle semble s’appliquer à de nombreux autres domaines comme la violence, l’aversion ou la prise de risque, dans le sport notamment.
S’il est fort de constater que la morale n’a pas encore eu raison du mensonge, la science le pourrait-elle ?
Source de l’image de couverture : Daily News – Entretainment