Elections sénatoriales : L’autre grande élection américaine

Par Raphaël Cario et Joséphine Corre

Nous sommes à un jour des élections américaines. Oui, élections et non-pas ‘présidentielles’. En effet, demain – Mardi 8 novembre – les Américains seront amenés à choisir leur futur(e) Président(e) mais pas que ! Si depuis quelques mois la saga présidentielle a animé les débats, et-cela à juste titre puisqu’elle a été entretenue et rythmée par une série de scandales, il ne faut pas pour autant laisser s’éclipser les élections sénatoriales, ô combien importantes. En effet, l’issue de cette élection qui contient 115ème Congrès des Etats-Unis ainsi que le renouvellement du tiers des membres du Sénat – soit trente-quatre sièges – pourrait notamment faire perdre la Chambre Haute aux Républicains.

Le Sénat américain : Une pièce institutionelle maîtresse 

Le Sénat américain est composé de 100 sièges, dont 54 détenus par les Républicains contre 44 sièges démocrates et 2 sièges indépendants. En 2014, Barack Obama perd la majorité démocrate durant les ‘Mid-Term elections’ et doit alors faire face au barrage républicain pour mener à bien sa politique. Il utilise plusieurs fois des ‘executive orders’ (pouvoir de décret présidentiel) et met son véto sur un grand nombre de lois. Cependant, un Congrès entièrement républicain à le pouvoir de passer outre ce veto. Par exemple, le 28 septembre dernier, lors du vote d’une loi donnant la possibilité aux familles des victimes du 11 septembre de poursuivre en justice l’Arabie Saoudite, la Chambre Haute rejette le veto d’Obama. En cela, le président est soumis aux positions de la majorité sénatoriale, d’où son importance stratégique.

L’un des principaux leviers du Sénat américain réside également dans sa capacité à élire les juges de la Cour suprême, elle-même pouvoir législatif et jurisprudentiel puissant. La légalisation du mariage gay par la Haute Cour le 26 juin 2015 en est un exemple probant. Ainsi, Hillary Clinton ou Donald Trump auront ou non la possibilité d’imposer un des leurs à la Cour Suprême, notamment pour remplacer le très conservateur Antonin Scalia, nommé par Reagan en 1986, et décédé en février dernier. Ce dernier servait de rempart à la Constitution en raison de son interprétation dite « originaliste » du texte fondateur américain. Cet évènement, conjugué à la multiplication des juges arrivant à l’âge de la retraite – trois d’entre eux ont près de 80 ans-, rend l’enjeu sénatorial, et ainsi présidentiel, encore plus crucial. Le remplacement du juge Scalia s’annonce toutefois épineux. Hillary Clinton devra faire face au blocage de plusieurs sénateurs républicains comme Richard Burr, John McCain ou encore Ted Cruz qui ont appelé à bloquer les éventuels nominés que la présidente pourrait choisir une fois élue.

Au sein des 34 sièges à renouveler au Sénat, seulement 10 sièges démocrates sont en jeu, contre 24 républicains. Les Républicains ont donc plus de chance de perdre des sénateurs puisqu’il suffirait que les Démocrates gagnent cinq sièges de plus que ceux qu’ils possèdent déjà pour reprendre la majorité. Cependant, en cas d’égalité des sièges entre Républicains et Démocrates, le vice-président, lui-même nommé par le président, serait appelé à trancher. La corrélation entre les élections présidentielles et sénatoriales est donc extrêmement étroite ; l’élection présidentielle donnant une nouvelle dynamique et les électeurs ayant tendance à voter de manière cohérente (i.e. démocrate ou républicain sur la totalité de leur bulletin).

L’obtention d’une majorité au Sénat ajoutée à la victoire du candidat du même camp rendrait celle-ci encore plus écrasante. Cette combinaison permettrait au président sortant d’être exempté de toute contrainte venant de l’opposition. En cela, la majorité sénatoriale détermine la radicalité des réformes proposées et la profondeur des réformes possibles.

Quelles sont les issues possibles ? 

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Source: Five thirty eight, prévision 2016, 5 novembre 2016.

Certain Etats sont déjà comptés comme perdus par le RNC (Republican National Comitee). Parmi eux, l’Illinois où le sénateur républicain sortant, Mark Kirk, a fait une campagne catastrophique en questionnant les origines et l’engagement militaire de son adversaire démocrate, la congressman Tammy Duckworth. De plus, le candidat républicain est soumis à de fortes pressions concernant le nominé de son parti pour la présidence. En effet, l’Illinois possède la troisième population d’Américains d’origine mexicaine, ce qui a poussé Mark Kirk à retirer son soutien à Donald Trump après qu’il a questionné la capacité d’un juge mexicain à remplir son office en raison de ses origines. Les sondages annoncent à présent un retard de quatorze points de Mike Kirk sur son adversaire sans qu’il semble être en mesure de redresser la barre. De la même manière, dans le  Wisconsin, Ron Johnson le candidat républicain semble déjà avoir perdu cet Etat, traditionnellement démocrate. Dans l’Indiana, la Pennsylvanie,  le New Hampshire, la Caroline du Nord et le Missouri, qui sont des Etats plus partagés, les Républicains sont sur la défensive et  comptent surtout sur le fait qu’une victoire de Trump pourrait entraîner la leur. Seul le Nevada pourrait passer dans le giron républicain malgré une population ‘Latino’ importante. Ces Etats sont les plus susceptibles de faire pencher la balance mais selon le contexte, les candidats oscillent entre rapprochement avec Trump (comme Roy Blunt du Missouri[1]), ou distanciation (comme Pat Tommey en Pennsylvanie[2] ).

Selon la majorité des sondages et des prévisions, les Démocrates ont de fortes chances de regagner le Sénat américain. Le site de synthèse de données américain FiveThirtyEight prévoyait une large avance des Démocrates selon une étude réalisée fin septembre avec 58,6% de chances de prendre le contrôle de la Chambre haute pour le parti Démocrate contre 41,4% pour le Grand Old Party. Cependant, les dernières prévisions voient les Républicains regagner du terrain avec moins d’un point d’écart entre les deux partis. Certains sénateurs républicains, soucieux de conserver leur électorat, se désolidarisent progressivement de Donald Trump. Ils entendent ainsi inverser la tendance et conserver leur siège. On a donc aujourd’hui un résultat des élections sénatoriales fortement corrélée à celui de l’élection présidentielle et qui influencera l’avenir des Etats-Unis autant que cette dernière

[1] http://www.politico.com/story/2016/10/roy-blunt-donald-trump-229818

[2] http://www.politico.com/story/2016/10/pat-toomey-trump-undecided-229624