Les ‘Third Party Candidates’ ou Clinton, Trump… et les autres

Par Raphaël Cario

A trois jours seulement de l’élection présidentielle américaine, les cinquante Etats de l’Union s’apprêtent à désigner le prochain locataire du bureau ovale. Le système électoral américain poussant au bipartisme de par l’impossibilité d’accéder à une quelconque représentation à l’extérieur des grands organes des partis, anéantit toutes chances à un petit candidat de se démarquer. Même si ces derniers obtiennent des parts élevés du vote populaire il leurs est impossible d’espérer rivaliser. On peut prendre l’exemple du milliardaire Ross Perot, d’étant présenté en 1992 sous la bannière du parti de la réforme et ayant obtenu 19,6% des voix mais aucun grand électeur. Cependant, alors que la course à la présidence s’achève, des candidats extérieurs aux deux partis s’étant partagé le pouvoir depuis plus de cent ans, s’invitent dans la campagne, prêts à en changer le cours. Non pas qu’aucun d’entre eux ait une chance de remporter une majorité de deux-cent soixante-dix voix au collège électoral, ni même de remporter une majorité des voix dans un seul Etat, mais ils prennent de l’importance dans le contexte du système électoral américain. En effet, hormis la particularité du collège électoral qui peut en théorie faire gagner un candidat ayant obtenu une minorité des suffrages [1], les élections de presque tous les Etats fonctionnent sous le système du First-Past-The-Post ou scrutin majoritaire à un tour en français. Ce scrutin désigne comme vainqueur le candidat ayant remporté le plus de voix, même si ce dernier est minoritaire. Cela donne aux ‘Third Party Candidates’ la possibilité de se placer en position de ‘spoiler candidate’ faisant gagner le candidat le plus éloigné de ses propres valeurs en prenant des voix au candidat lui faisant face, plus proche idéologiquement.

On peut ici prendre l’exemple de Ralph Nader, candidat en 2000 de l’Association of State Green Parties (ASGP) qui deviendra le Green Party un an plus tard. Nader réalisa un score très faible lors de l’élection, ne pouvant rivaliser face aux candidats républicain et démocrate, respectivement Georges W. Bush et le Vice-Président Al Gore. Il changea pourtant le résultat de l’élection. En effet, Ralph Nader fit campagne sur un programme généralement considéré comme à gauche du Parti Démocrate et fit un modeste score de 2,7%. En Floride, swing state central de la campagne il récolta seulement 97 000 voix. Cela aurait paru anodin si Al Gore n’avait perdu cet Etat, et avec lui la présidence, avec seulement 537 voix de moins que son adversaire. Depuis que la Cour Suprême a départagé les deux candidats, les militants du parti Démocrate considèrent Nader comme ayant couté à la gauche américaine 8 ans d’une présidence qui aurait changé la face des Etats-Unis.

Il y a donc au sein des grands partis de gouvernement une peur bien réelle du ‘spoiler candidate’, plus que du rival potentiel. En étant en présence des nominés à la présidence les moins aimés de l’Histoire des Etats-Unis[2],[3], les Third Parties semble être bon pour récolter une part plus importante des voix que dans les élections précédentes.

« Third Party Candidates », mais qui sont-ils ? 

Ils sont  trois à s’êtres frayés un chemin au sein de la Présidentielle américaine en dehors des sentiers battus républicains et démocrates.johnson_weld_2016_yard_sign-rad555a767ec5419dbbbd439b5d8a047e_fomuz_8byvr_512

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Le premier est le candidat libertarien, Gov. Gary Johnson. Seul candidat à être ‘On the Ballot’ (i.e. une option sur le bulletin) dans les 50 Etats américains, il se positionne autour de 5% d’intentions de vote (après un pic à près de 9% en août loin des 1% récoltés en 2012)[4]. Avec son acolyte Gov. Bill Weld, chargé des levées de fonds lors de la campagne présidentielle de Romney en 2008, ces deux anciens gouverneurs sont solidement placés en troisième position dans la course. Difficile de dire à quel candidat le couple ferait le plus de tort. En effet, bien que libertarianisme soit considéré comme une idéologie attirant plus facilement les Républicains de par la même volonté de ’fiscal conservatism’ (i.e. libéralisme économique et fiscal), une partie des démocrates, notamment les supporters de Bernie Sanders, se plaisent à les voir comme une alternative à la candidate démocrate.

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Le deuxième candidat faisant (modestement) parler de lui est une candidate du parti Vert : Jill Stein. Tout comme Ralph Nader, Stein mise sur un programme considéré à gauche (voir très à gauche ?), visant à attirer une partie de la jeunesse démocrate commençant à se reconnaitre dans certaines valeurs du socialisme. N’étant sur le ‘Ballot’ de seulement 45 Etats et en ‘write-in’ (i.e. pas une option directe mais peut être écrite à la main) dans trois autres, la candidate tourne autour des 2% d’intentions de vote.  Bien que ces 2% semblent bien inoffensifs à un œil extérieur et sur une échelle nationale ou Clinton mène avec plus de 5% d’avance, dans un swing state comme la Floride, où Trump et Clinton semblent mener alternativement avec moins d’un pourcent d’avance, on pourrait s’interroger sur la répétition des événements de 2000. Du moins on le pourrait si le reste de la course à la présidence s’avérait plus serrée, et si, dû au fort travail de sensibilisation des électeurs en Floride, Stein ne s’y maintenait pas à seulement 1% des intentions de vote. Malgré un appel du pied assez grossier fait à ceux qui ont précédemment ‘Feel The Bern’ (slogan du sénateur indépendant) avec une reprise des mêmes thématiques (salaire minimum, WallStreet) et même de la même sémantique (constante allusion au ‘top 1%’, i.e. les plus fortunés), Jill Stein peine à rassembler.

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https://www.evanmcmullin.com/

Le dernier candidat est, quant à lui, le dernier à être entré en campagne et à un profil des plus singuliers, comparé aux autres. En effet, Evan McMullin n’est soutenu par aucun parti politique et n’est enregistré ‘on the Ballot’ que dans seulement 11 Etats. Ancien agent de la CIA et Policy Director de la chambre des représentants, ce jeune candidat de 40 ans ne s’est lancé dans la course que début Août[5]. Malgré son anonymat médiatique presque total, il est populaire dans un Etat, qui normalement échappe au tourmentes de la campagne, : L’Utah. En effet, Evan McMullin est un mormon bien connu de cette communauté représentant près de 62% de la population. L’Utah, dont les six voix au collège électoral n’ont pas été attribuées à un démocrate depuis 1968 et où le candidat républicain gagne généralement avec une avance d’en moyenne 30 points, pourrait bien changer ses habitudes alors que Donald Trump ne mène que de 5 points avec 31% des intentions de vote, contre 26% pour McMullin et 25% pour Hillary Clinton. C’est ici le seul état ou un candidat indépendant se trouve en deuxième place avec une réelle possibilité d’y gagner et, dans le cas où aucun des autres candidats ne rassemblerait les 270 voix nécessaires à l’élection au collage électoral, d’avoir un rôle à jouer.

Cependant, si c’est le rejet des candidats des grands partis qui pousse les électeurs vers de petits candidats sans chances réelles d’être investi le 20 janvier prochain, c’est leur anonymat médiatique, dont ils aiment tant parler et se plaindre, qui les font apparaitre, aux yeux d’un certain public, comme une alternative viable. En effet, peu sont ceux qui se sont souciés de se plonger en profondeur et d’analyser les programmes des différents candidats, afin de définir s’ils étaient à même d’être appliqués. Dès lors qu’on l’a fait, une image bien différente des candidats est apparue et leur popularité a baissé.

Garry Johnson, alors même qu’il plaisait à une certaine partie du jeune électorat démocrate, en partie pour sa proposition de légalisation du cannabis, a un programme qui économiquement est très libéral, même pour les Etats-Unis.  Il propose par exemple la suppression de la Banque Fédérale, de IRS (fisc américain) ainsi que d’un grand nombre d’autres institutions et départements (comme Obamacare et une partie de la sécurité sociale). Ces coupes sont incluses dans son plan de supprimer près de 43% du gouvernement fédéral. Il veut également la suppression de l’impôt sur les sociétés afin qu’il soit remplacé par une augmentation de leur TVA, cette dernière pouvant atteindre plus de 30%. Il n’y a pas de doutes qu’un telle augmentation serait massivement payée par la classe moyenne et les citoyens les plus pauvres. Il ne veut pas non plus de régulation sur le climat, sur le contrôle des armes à feu ou sur les énergies fossiles et polluantes[6]. En plus de ces propositions, Garry Johnson est apparu sur les média américains comme ayant du mal à défendre ses idées, lorsqu’on en questionnait le réalisme, et comme complètement incompétent en politique internationale. Une scène, qui fut l’objet de nombreuses moqueries, le montre ne sachant pas répondre au journaliste qui venait de lui demander ce qu’il comptait faire au sujet d’Alep. La raison de cette hésitation ? Le fait qu’il ne soit pas familier avec ce qu’est Alep, ancien pôle économique de la Syrie et centre de la crise des réfugiés.

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De la même manière, lors d’une autre interview, il peine, au grand damne de celui avec qui il partage le ticket, à nommer un leader étranger qu’il admire. Ces différentes mésaventures médiatiques le font maintenant passer aux yeux du grand public, au mieux comme un naïf sympathique, au pire comme un idiot cachant un programme dévastateur.  C’est en partie ce qui explique sa dégringolade dans les sondages d’opinion, diminuant de moitié son score potentiel le 8 novembre.

De la même manière, Jill Stein se porte mieux lorsqu’on ne regarde pas trop dans son programme et dans les positions qu’elle défend médiatiquement. En effet, la proposition phare de son projet est l’annulation de la dette étudiant, dette qui s’élève à plus de 1200 milliards de dollars. Le véritable problème de cette proposition est que le président n’a pas l’autorité d’annuler une telle dette, seule la Banque Fédérale le peut pour une raison très simple : annuler une dette est l’équivalent d’imprimer des dollars et donc mène à une dévaluation, principe que Jill Stein ne semble pas comprendre alors qu’elle défendait le contraire sur les plateaux de télévision. En effet, il faut d’abord voir les prêts étudiants comme ce qu’ils sont, c’est-à-dire, un investissement ; il faut c’en inquiéter dès lors qu’il cesse d’être rentable. Alors qu’est-ce qui empêche les diplômés du supérieur américain de rembourser leurs prêts ? Cela survient dans un contexte de faible progression du revenu disponible brut des ménages et donc de post-crise économique, de la hausse graduelle des frais de scolarité et surtout d’un taux de chômage élevé soit l’état actuel du marché de l’emploi américain. En effet, les étudiants américains fraîchement diplômés n’occupent pas tous des emplois à la hauteur de leurs qualifications. En somme, la hausse continue des coûts de l’éducation, parallèlement à la baisse du revenu moyen des jeunes diplômés tend à remettre en cause l’intérêt d’investir dans des études supérieures aux Etats-Unis. Plusieurs commentateurs politiques ont d’ailleurs comparé cette proposition au mur de Donald Trump, ayant tous deux le même rôle central dans la campagne des candidats et la même absurdité. Ajouté à cela le fait que Stein ait peiné à condamner des supporters lui faisant part de leurs théories du complot sur le 11 septembre, Stein perd ses soutiens la faisant donc de moins en moins apparaître comme une candidate plausible.

Evan McMullin, quant à lui, semble être le seul Third-Party-candidate à ne pas paraitre trop incompétent une fois ses propositions étudiées. Bien qu’il ait un programme très simpliste, sa campagne n’ayant pas deux mois, il arbore des valeurs classiques du conservatisme américain, à l’exception de son opposition à la peine de mort et de ses propos (étonnamment) tolérant sur la diversité. Il semble d’ailleurs être le seul à avoir une chance – certes minime – d’accéder à la fonction. En effet, étant le seul Third-Party-candidate à pouvoir gagner un Etat, l’Utah, et donc ses six électeurs, il pourrait, dans le cas d’une course serrée, rentrer en jeux. Si aucun des deux grands candidats ne récoltent les 270 voix nécessaires pour gagner, ce qui semble possible aux vues des récents et nouveaux scandales, ce sera à la chambre des représentants de départager l’élection. Cependant, les représentants américains, dans cette situation, voteraient par Etat, donnant aux conservateurs l’avantage (de nombreux Etats ruraux comme les Dakota votent massivement républicain et n’ont qu’un député, ils compteraient donc autant que les 53 représentants de la Californie). McMullin aurait ici la possibilité d’attirer les Républicains ne voulant pas de Trump, c’est là sa seule chance.

Aux vues de leurs programmes et de leur carrure, les Third-Party-candidates n’ont pas la capacité de gagner en novembre. Cependant, leur popularité grimpante, ainsi qui la montée d’outsiders au sein même des grands partis, montrent un écart se creusant entre les hommes politiques et les Américains, entre, comme ils se plaisent à le présenter, les hommes du quotidien et ceux de Washington. Cependant, ces candidats extérieurs aux rouages des partis, et même aux partis, ont pour points communs des programmes irréalistes et une carrure loin d’être présidentiable. L’évidence accablante d’une course perdue d’avance pour les petits partis a donc tendance à limiter l’intérêt porté par les candidats au réalisme de leur programme, et aux supporters des partis la carrure de leurs candidats.

[1] En théorie, en gagnant une courte majorité dans nombres de petits Etats, un candidat pourrait remporter la présidence avec seulement 22% des voix

[2]https://www.washingtonpost.com/news/the-fix/wp/2016/08/31/a-record-number-of-americans-now-dislike-hillary-clinton/

[3]http://www.usatoday.com/story/news/politics/onpolitics/2016/08/31/poll-clinton-trump-most-unfavorable-candidates-ever/89644296/

[4]http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/us/general_election_trump_vs_clinton_vs_johnson_vs_stein-5952.html

[5] https://www.evanmcmullin.com/

[6] http://presidential-candidates.insidegov.com/l/39/Gary-Johnson