Crise des réfugiés : vers une concurrence entre les pauvres ?

Un reportage de Simon Carpentier


Alors que le gouvernement français s’est engagé à accueillir près de 30 000 migrants d’ici 2017, la crise des réfugiés pose de réelles questions en terme d’accueil et d’intégration: « pourquoi eux et pas moi? » ou « on était là avant! ». Autant de questions qui soulignent le malaise d’une partie des français, et plus particulièrement celui des 3.5 millions de mal logés que la France compte en 2015. Cette situation entraîne-t-elle une concurrence entre les pauvres? Si oui, comment l’éviter?


Paris, Gare du Nord. 29 Juillet 2015, 19h. C’est sur le parvis de la célèbre gare parisienne que j’attends Aude Couturier, animatrice des activités de rue au pôle « grande exclusion, migrants, logement » du Secours Catholique Paris. A cet instant, je ne me rends pas bien compte de la réalité qui se joue derrière ces murs. Je veux parler de celles et ceux qui n’ont plus d’autres solutions que la rue et l’errance. Parmi eux, des sans-abris, des migrants et des réfugiés; des hommes, des femmes, et des enfants. Ils s’appellent Mousse, Pascal, Giovanni, Martine, Ibrahim, Roland…

Avec Aude, nous rejoignons une équipe de bénévoles de l’association. Cachés derrière l’immense building de la gare, ils se préparent pour accueillir les nombreuses personnes qui, chaque mercredi, se rassemblent pour le traditionnel « café de rue ». Le principe est simple: discuter autour d’une boisson chaude. « C’est le premier pas pour sortir de la rue. Autour d’un café, les langues se délient, les liens se créent », m’explique-t-elle.

« On était là avant! », « Pourquoi eux et pas moi? ». Ces mots résonnent comme un cri de détresse, d’incompréhension aussi. Je peux l’entendre et le percevoir dans leurs yeux. Car pour ceux qui galèrent, il est difficile de concevoir « d’accueillir un peu plus de misère en France », me confie Martine, sans domicile fixe. Martine, qui va à nouveau pouvoir bénéficier du Revenu de Solidarité Active (RSA) après une lutte administrative de longue haleine, espère maintenant trouver un toit le plus rapidement possible. Mais elle se doute bien que la procédure prendra du temps. Et l’accueil de milliers de réfugiés semble la préoccuper davantage. Il est vrai qu’il existe une longue file d’attente pour l’accès à l’hébergement et au logement social, comme en témoigne le chiffre de 3.5 millions de mal logés en France en 2015, d’après un rapport de l’INSEE.

Martine, comme beaucoup d’autres, est indéniablement dans une situation de forte précarité. Cependant, il est dangereux de mettre en compétition les sans-domiciles-fixes et les réfugiés. C’est une facilité idéologique à laquelle nous ne devons pas succomber, et que nous devons combattre avec force. Il faut bien comprendre que cette situation est une situation générale, anormale, qui est la conséquence d’une mauvaise gestion de nos ressources. Notre société n’a jamais été aussi riche, et pourtant nous assistons à l’explosion des inégalités sociales; c’est le mal de notre société actuelle.

De plus, l’opinion publique ne peut rester de marbre devant ses destins brisés, et ses vies sacrifiées. Il est de notre responsabilité et de notre humanité d’accueillir les réfugiés en France. Si on n’agit pas, on devient complice. Notre pays, sixième puissance économique mondiale, peut et doit tendre la main à toutes les personnes à la rue, quelle que soit leur situation administrative. Car après tout, est-il réellement possible de distinguer les réfugiés des « pauvres »? Ne sont-ils pas tous des êtres humains en difficulté?

Ainsi, si ces familles parviennent à se reconstruire en France, alors elles pourront devenir une formidable valeur ajoutée pour notre pays: « la diversité n’est pas une tare mais un cadeau » (Abd al Malik).