Christophe Premat (D) est député-suppléant des français installés en Europe du Nord et membre de la commission Affaires culturelles et de l’Education à l’Assemblée Nationale. Morgane Marot (G) est conseillère consulaire au Royaume-Uni depuis un peu plus d’un an.
Parcours de militants, amoureux des Lettres ayant tous les deux fait le choix de mettre leurs compétences au service de la communauté française à l’étranger, mais également du rayonnement culturel de la France et de la francophonie… autant de raisons qui nous ont poussé à aller à la rencontre de Christophe Prémat et Morgane Marot.
Madame, Monsieur bonjour et merci de bien vouloir nous accorder cette entrevue. Ma première question s’impose d’elle même : A travers les postes que vous occupez, vous observez directement l’étendue de la culture française au sein des pays nordiques, aujourd’hui. Alors, à l’ère de la mondialisation, et avec l’importance accrue de la langue anglaise comme langue mondiale de communication et des affaires, qu’en est-il de l’image de la culture et du savoir-faire français ?
Christophe Prémat : En Suède, la France est perçue comme un pays du sud, mais il est vrai que l’image qui a tendance à revenir est celle de l’image de la France avec toute sa tradition philosophique, son amour des arts et de la littérature… Cependant, cela reste à mon avis somme toute assez dommage dans le sens où la France comme toute chose, connait une évolution, et une modernisation à côté de laquelle on a tendance à passer à côté.
Morgane Marot : Pour ce qui est de l’Angleterre, et surtout de Londres je dirais que la relation est beaucoup plus étroite dans le sens ou les deux villes – à savoir Londres et Paris – sont connues pour avoir été rivales depuis des siècles mais aujourd’hui, on y voit plutôt une sorte de beau melting pot culturel ainsi que des échanges artistiques et culturels assez importants, notamment facilités par le rapprochement géographique des deux pays. Aussi, on peut compter sur des organismes comme l’Institut Français et Français du Monde-ADFE pour servir de scène à ces artistes et faciliter le rayonnement de la culture française, ici, en Angleterre.
Christophe Premat, votre dernier livre “Destins d’exilés” est paru en 2011, vous avez suivi des études de philosophie, donc il est assez juste de vous qualifier à la fois d’intellectuel et d’homme politique. Mettez-vous l’un au service de l’autre ou y a-t-il une césure entre les deux ?
C’est une question assez intéressante dans le sens où a priori non car les deux se rejoignent au niveau des idées et de l’organisation de la vie des hommes. Cependant, quand on est un homme politique, on se doit et on est surtout amené à faire face à des éléments concrets et surtout des contraintes. Parfois une idée peut être tournée autrement, ou difficilement applicable.
Le modèle social français fait l’objet de critiques virulentes, notamment son coût économique. Comparativement est-ce que le modèle suédois connait les mêmes contraintes ?
Il est vrai que le modèle social français fait l’objet de critiques parfois virulentes, cependant, je trouve un peu dur le constat qui consiste à le désigner comme système le plus inégalitaire dans le monde. Aujourd’hui, de réelles actions sont mises en place pour le réformer, je pense notamment à l’avancement de l’âge d’apprentissage des langues étrangères. Mais aussi, l’idée du collège pour tous qui est restée intouchée depuis sa mise en place par Napoléon.
De part les fonctions que vous exercez, vous êtes à l’écoute des français résidants au sein de ces pays. En quoi leur situation représente un atout pour la France et quelles sont leurs préoccupations principales ?
Morgane Marot : Je dirais tout simplement que leurs préoccupations sont celles de la vie de tous les jours, soit des questionnements relatifs à l’éducation de leurs enfants, aux questions l’emploi ou encore aux formations.
Depuis près de trois ans maintenant, on entend parler en France d’une véritable crise de la représentation politique. Qu’en pensez-vous ? Peut-on établir le même constat peut-il être établit au niveau de la Suède, où vous résidez ?
Christophe Premat : On parle souvent du pouvoir comme case vide, et je suis assez d’accord avec cette expression empruntée à Claude Lefort. En effet, je ne suis au fond qu’un numéro, j’ai fait campagne auprès d’Axelle Lemaire mais au fond, un jour quelqu’un prendra ma place. Les électeurs ne s’attache pas à ma personne. Evidemment j’ai des retours très chaleureux de la part d’un certain nombre d’entre eux, mais ce n’est pas là, la finalité de ma fonction. En effet, en France, en comparaison a la Suède, dans le cadre de notre démocratie représentative, on a tendance à aller vers l’incarnation des politiques. Une personne qui se met au service de la nation à aussi envie de durer dans le temps, et pour incarner un contrat social, il faut pouvoir exercer une influence. Ainsi, à bien y voir, cette tension peut faire effet de bonne tension permanente, dans le sens où il n’existe pas pas d’hommes ou de femmes providentiels. Aussi, l’engagement sur des valeurs est important, c’est un court temps de s’engager dans des mouvements et accepter l’aspect laborieux des luttes de pouvoir. On pourrait établir un parallèle entre cela et une partition d’un morceau de jazz, où l’on se répond avec des tons différents mais cela reste un ensemble.
La France, quand à elle, est une démocratie indirecte qui puise ses racines sur le principe de contractualisme. Ainsi, l’implication des citoyens, mais aussi des jeunes, y est primordiale. Quel est le message que vous aimeriez faire passer aux jeunes français, où qu’ils soient dans le monde, aujourd’hui ?
Morgane Marot : Dans un premier lieu, il faut changer les attentes que l’on a et le regard que l’on porte sur les politiques. Après ce stade, l’engagement commence à revêtir un cachet important, car en effet, la démocratie n’est pas que l’affaire des politiques. Il n’est pas possible de se reposer sur eux être acteur d’une démocratie. Aussi, cela me laisse parfois un certain parfum d’amertume dans le sens où les citoyens ont parfois tendance à oublier qu’ils sont une masse unie qui, quand elle se regroupe, peut faire face aux élites, quelles que soient leurs natures.
Christophe Premat : Oui, je dis aux gens tout simplement, rassemblez vous. Aussi, les jeunes disposent aujourd’hui de nouvelles formes possibles d’auto-organisation. Ce qui sera possible demain, ne l’est pas à l’heure actuelle et ce qui n’était pas imaginable hier l’est aujourd’hui. Ce qui m’inquiète le plus c’est l’apathie en France car plus que jamais face aux nouveaux défis énergétiques notamment, on devrait par exemple remettre en question notre mode de vie, notre rapport à la consommation et sommes toutes, la société dans laquelle on vit.
Enfin, et ce sera la dernière question : comment définiriez-vous l’identité français, aujourd’hui ?
Morgane Marot : C’est se sentir français, déjà. Vous savez, je connais des personnes qui ne disposent que de la nationalité française mais qui ne sont jamais allés physiquement en France métropolitaine. Pourtant, ils n’en sont pas moins français, car il s’agit pour moi d’un ressenti avant toute chose. Ainsi, et surtout à notre époque, c’est de moins en moins une appartenance territoriale, c’est un état d’esprit qui transcende l’espace délimité géographiquement.
Christophe Premat :
En effet, un territoire peut changer de taille, de forme. A mes yeux, être français, c’est aller à la rencontre de l’Autre, c’est une façon de penser le monde, avec un attrait intellectuel mais surtout, une éternelle remise en question. Et c’est peut-être cela l’un des plus beaux joyaux de notre héritage philosophique : l’esprit critique doit continuer de traverser les âges et les époques. Aussi, l’identité française passe par la langue et la francophonie ! Je pense par exemple à un texte de Abou Diouf – l’Ancien président sénégalien (1981 – 2000) –consacré à Léopold Sédar Senghor et qui rendait compte de l’impact énorme que cet homme, cet intellectuel, ce francophone brillant a eu sur l’organisation de la francophonie aujourd’hui.
Propos recueillis par: Rita Bouziane
Liens utiles :
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