« L’album agit ainsi comme une synthèse boulimique de tous les genres et couleurs, de l’electro-pop ou du rock. »

Les Inrocks, 18 Septembre 2015

Par Rita Bouziane

“Roses” signe le grand retour de Coeur de Pirate – née Béatrice Martin – après trois ans d’absence, sur la scène musicale francophone (et mondiale ?). Celle qui est connue du grand public pour ses deux précédents albums parmi lesquelles on compte ses deux tubes “Ensemble”, “Comme des Enfants” et “Place de la République”, a su se renouveler et nous présente un album très différent de ce qu’elle a pu produire jusque-là. En effet, elle a su s’entourer d’une nouvelle équipe d’éminents producteurs mais pas seulement : en quatre ans, celle qui s’est jusque là inspirée de sa vie personnelle pour écrire ces textes, a trouvé l’amour et a eu un enfant. Et c’est peut-être cela qui fait la particularité et tout l’intérêt de Coeur de Pirate ; cette inlassable habitude qu’elle a de retranscrire ses émotions, et de nous faire voyager avec elle au gré de ses expériences. Aussi, si on l’avait connue comme une personne souffrant de son statut de femme trahie et sous le coup de sa relation amoureuse désastreuse, on la sent aujourd’hui différente tant dans le fond que dans la forme. Elle crie aujourd’hui tout haut son absence de rancœur (ou presque ?).

Voilà donc autant de raisons valables de la voir comme une artiste à part entière car qu’est-ce qu’un artiste si ce n’est quelqu’un qui comme le préconisait Hegel, assume ses passions, les accompagne et sait parfois aller à l’encontre de sa sensibilité pour en tirer quelque chose de créatif. Car en effet, si l’ont attend d’un artiste qu’il soit un être de passion, on peut aussi espérer qu’il puisse ne pas rester dans un état de passivité béate et qu’il sache faire en sorte que la créativité prenne le dessus sur ses émotions, pour mieux les retranscrire, les comprendre et les offrir au public.

De ce fait, c’est une auteur-compositeur plus sûre d’elle et mâture que l’on retrouve dans “Roses”. Il est vrai cependant, que l’on peut lui reprocher l’accent très travaillé de cet album dans le sens où il comporte un son très pop et une partie des chansons qui le constituent sont écrites en anglais ou encore doublée comme “Oublis-Moi” et “Carry On”. C’est d’ailleurs un reproche qui lui a été fait lors de son passage dans On N’est Pas Couchés, quand Léa Salamé a mis le doigt sur l’aspect “bien produit, moderne, et très electro (…) mais moins spontané” que ce à quoi elle nous avait habitués.

Cependant, quand on pense à Coeur de Pirate, c’est sur l’ensemble de son oeuvre qu’il faut se pencher. E oui! Il est vrai qu’à seulement 25 ans, elle s’est forgée une place réelle dans le monde de la musique francophone et c’est cette qualité d’écrivain qu’elle a qui lui a garanti cette place. Car outre la forme – soit sa voix angélique et cet accent qui la rend reconnaissable dès qu’elle fredonne les premières paroles d’une chanson – c’est également dans la forme que Coeur de Pirate marque les esprits. Ces textes sont certes marqués d’expériences personnelles, mais c’est un réel amour de la langue qui en ressort et un plaisir qu’elle a de jouer avec les mots. C’est d’ailleurs un autre élément qu’avait souligné Yann Moix lors de son passage chez Laurent Ruquier, cette manière simple mais si belle qu’elle a d’allier certains mots et de mettre des images sur des émotions pour mieux les transmettre ; le tout accompagné parfois d’un bel ensemble instrumental. Aussi, à l’écouter dans ses deux précédents albums, on ne peut que se replonger dans ses sons des années 1980 en France, portés par la génération France Gall, Françoise Hardy et Vanessa Paradis, aux mélodies simples, mais entrainantes, et aux textes légers mais pleins de profondeurs. C’est tout cela qui fait Coeur de Pirate : elle est à la fois chanteuse, compositeur et musicienne, elle a un air de bonne variété français qu’elle a su remettre à jour mais elle est surtout une artiste francophone à part entière, soit une véritable jeune artiste, encore très prometteuse.