Comment la France vivrait-elle un « Brexit » ?

A première vue, on ne pourrait pas imaginer que les français fondent en larmes dans le cas d’un « Brexit » ; les deux pays ont des perspectives infiniment divergentes sur le plan européen. D’une part, François Hollande espère voir l’arrivée d’une ère plus intégrationniste et régulatrice. De l’autre, David Cameron exige que le Royaume Uni puisse se désengager d’un renforcement de l’Union. Mais à mesure que s’accroissent la pression, l’incertitude et même la peur d’une rupture, les états membres deviennent plus conscients qu’ils souffriraient des effets d’un « Brexit ». Souvent, leur analyse d’une telle situation se base surtout sur la question économique de l’adhésion britannique. Or, son départ aura des conséquences d’une grande portée, surtout en France.

Ces deux pays ont longtemps cherché à obtenir l’harmonisation et la concordance de leurs systèmes de défense. En 2010, ils ont signé un traité de défense dans l’intention d’encourager la collaboration et soutenir leurs économies, ainsi que d’entreprendre l’armement et la recherche militaire collectifs. Ensemble, ils ont exécuté une intervention en Libye en 2011, devenant les acteurs militaires principaux de l’Union. Cependant, comme souligne Alain Dauvergne, un analyste de l’institut Jacques Delors, au cours des dernières années, on voit les Britanniques s’extraire de ce domaine, « laissant la France intervenir seul en Afrique en 2013 ». Selon Charles Grant, le directeur du think tank Centre pour les Réformes Européennes (CER), cette aversion britannique trouve sa source dans la crainte publique de s’enliser dans un nouveau Irak. Est-il, donc, toujours valable d’affirmer que la France souffrirait d’un « Brexit », de point de vue militaire ? Bien que la branche de défense européenne, la PSDC, n’ait eu qu’un impact mitigé à l’échelle internationale, la perte de l’armée britannique laisserait Paris solitaire et engendrait une crise d’influence en Europe. On pourrait même voir une Union qui réadopte une puissance plutôt civile, basée sur le pouvoir de convaincre et la force économique, non pas l’engagement de leurs instruments militaires.

Le départ du Royaume Uni impliquerait aussi une agitation politique, qui dérangerait l’équilibre des pouvoirs habituel à l’intérieur de l’Europe, mais également entre partis politiques. D’un côté, la France s’inquiète que l’absence du contrepoids britannique dans l’Union, avec son grand pouvoir diplomatique, ferait pencher la balance en faveur de l’Allemagne, et donc marginaliserait la France au sein de l’Europe. D’un autre côté, il est déjà évident que les courants d’opinion politique changent en France. Le Parti Socialiste, ainsi que les Républicains, se méfient de la montée du Front National, qui partage une vision eurosceptique et revendique le retour de toute la souveraineté à la nation. Bien que Marine Le Pen envisage d’aller plus loin que Cameron, en réclament le démantèlement de la monnaie unique, un « Brexit » lui servirait de tremplin pour convaincre le public français de soutenir son parti.

En ce qui concerne plus précisément les relations franco-britanniques, la question se pose aussi de repenser les frontières de la Manche. Aujourd’hui, la frontière de la Grande Bretagne se trouve effectivement à Calais : selon le traité de Toquet de 2003, la Grande Bretagne peut mener ses contrôles aux frontières en France. L’impact de cet accord était déterminant pendant la récente crise de réfugiés : si le poste de contrôle britannique s’était trouvé à Dover, le pays aurait eu des difficultés non seulement avec l’hébergement de ces milliers de personnes, mais également avec l’opinion publique, qui devient de plus en plus anti-migratoire. La possibilité de l’abrogation du traité de Toquet, en cas d’un « Brexit », sans doute empêcherait le gouvernement britannique de maintenir son engagement de réduire le taux d’immigration. Or, ceci est la pierre angulaire de la méfiance britannique envers l’Europe, grâce à Nigel Farage, le chef du parti nationaliste UKIP.

Les relations franco-britanniques coopératives risquent d’être mises à l’épreuve très prochainement. Bien que l’état de l’Europe après un « Brexit » reste inconnu, il est certain que la France sera profondément touché par une telle rupture.

Author: Aarti Shankar